[ODYSSEUS] : Ils se jettent à l’eau pour l’environnement

Publié le dim 06/12/2020 - 07:57

Odysseus rassemble des plongeurs amateurs et confirmés. L’association possède ses propres embarcations / Photo © Jérémy Pain 

Par Jérémy Pain

Du repêchage de déchets dans les eaux du Rhône à l’exploration de lacs gelés dans les Alpes, l’association lyonnaise Odysseus 3.1 œuvre pour la préservation des milieux naturels. Elle s'est donnée comme mission d’allier recherche scientifique et transmission aux générations futures. Le tout avec une communication choc. De quoi faire des émules.

Le soleil frappe fort ce dimanche1 à Lyon et les quais du Rhône sont bondés. Près du pont de la Guillotière, les passants sont venus se balader le long du fleuve et n’avaient pas prévu d’assister à un tel spectacle. Complètement rouillé, une branche coincée dans le guidon et des algues sur les pédales, un vélo gît sur le quai. À côté, des trottinettes électriques sont dans un sale état et des panneaux de circulation font grise mine. Le Rhône recrache un à un ces objets qui n’auraient jamais dû finir leur trajet ici. « C’est abominable », souffle un couple de Lyonnais, médusé.

Depuis le matin, Lionel Rard, fondateur de l’association lyonnaise Odysseus 3.1, et son équipe s’activent dans l’eau et ses abords. « Il faut combien de personnes pour remonter la trot’ sur le bateau ? Rachid tu veux y aller ? » Combinaison et bouteille d’oxygène sur le dos, une dizaine de plongeurs sondent le fleuve en mode commando, cherchant à extirper de ses profondeurs un maximum de déchets.

« Explorer sans peur, éduquer sans reproche »

En septembre 2019, l’association avait organisé une première journée comme celle-ci et 109 trottinettes avaient été repêchées dans la Saône. Si ces opérations permettent de nettoyer les cours d’eau, Odysseus 3.1 espère surtout sensibiliser à la préservation de la biodiversité. « L’objectif, c’est de montrer la pollution causée par l’activité et l’incivisme de l’homme », pointe Lionel Rard, persuadé que la prise de conscience passera avant tout par des images chocs. « C’est un peu le concours de la photo dégueulasse. Les passants, regardez leur tête… Ils n’y croient pas ! » Les détritus et la communication efficace de l’association produisent leur petit effet. « C’est de la bêtise humaine, un manque de respect, déplore Abdel, un habitant du quartier. C’est écœurant, je ne savais pas qu’il y avait tout ça dans l’eau. » Ecœuré, Yvan l’est aussi. Cet ancien agent d’entretien sur les quais de Lyon a vu comment, au fil des années, ces actes d’incivilités se sont amplifiés. « Tous les jours, je voyais des gens balancer des trucs dans l’eau. Et c’était de pire en pire. Il y a pourtant des panneaux. Mais ils font ça en toute impunité. Ça ne changera jamais », s’énerve-t-il.

Le fondateur et président d’Odysseus 3.1, inspiré par Paul Watson et Sea Shepherd, veut croire que le message finira par passer, même si cela prend du temps. « Si, demain, j’arrête quelqu’un qui est en train de jeter une trottinette, cela va se transformer en conflit. Mais si j’éduque son enfant qui lui dira ‘‘arrête’’, ce sera un autre levier. »

Derrière son slogan « explorer sans peur, éduquer sans reproche », l’association lyonnaise mise sur l’enseignement et la transmission en organisant des conférences, expositions photos et projections des films documentaires réalisés lors des expéditions. Mais Lionel Rard aimerait aller encore plus loin en proposant d’intervenir dans les écoles et directement « transmettre aux enfants ».

Des fleuves aux lacs gelés

L’équipe d’Odysseus 3.1 attire les plongeurs chevronnés mais aussi des gardes-moniteurs de parcs naturels, des pisteurs ou des personnalités engagées dans l’écologie, tels l'écrivain et naturaliste Yves Paccalet qui a collaboré avec le commandant Cousteau et est devenu président d’honneur de l’association ; ou encore le plongeur Pierre Passot. Certains ont découvert l’association avec les premières expéditions dans les lacs de montagne dont celle de six jours au lac Merlet, dans le parc national de la Vanoise (Savoie) en mars 2019. Gelé 8 mois par an, il n’avait jamais été exploré en période glaciaire.

En juin 2019, les hommes-grenouilles se rendent à 2074 mètres d’altitude, dans les Alpes suisses, le « château d’eau de l’Europe ». L’expédition mène au lac Sassolo, une plongée sous trois mètres de glace parmi les plus dangereuses au monde. « Nous sommes allés observer les lacs qui subissent d’énormes couloirs d’avalanches. Nous avons faits des prélèvements sur les glaces sous-marines qui s'y forment », se rappelle un des plongeurs. Là-bas, les conditions n’ont rien à voir avec ce dimanche ensoleillé. « La pluie, la grêle, la neige. » Analysés à Genève, les prélèvements révèlent alors des pollutions micro-plastiques dans les eaux du lac Sassolo, pourtant réputées pour leur pureté. « L’homme doit appuyer sur la pédale de frein » s’alarme-t-il.

Mais l’expédition qui a marqué le plus les esprits est sans doute celle menée dans le lac Léman en novembre 2019. L’opération “OP 642” vise à explorer les tonnes de bombes et autres explosifs de la Seconde Guerre mondiale, stockés au fond de l’étendue d’eau. La confédération helvétique affirme que les obus ne constituent pas un danger, recouverts de couches de sédiments. Mais ce que les plongeurs d’Odysseus découvrent, à 50 mètres de profondeur, est tout autre. Les obus se trouvent à peine recouverts au fond du lac, à moins de 150 mètres d’une station de captation d’eau qui alimente la ville de Genève et à proximité d’un gazoduc. L’annonce de la découverte fait l’effet d’une bombe. « La Suisse niait cette réalité. Il manquait les images. Ils sont maintenant devant le fait accompli. Nous avons été mandatés officiellement par l’université de Genève pour retourner sur place et effectuer des prélèvements. Le dialogue est ouvert avec les autorités dans le but d’arriver à assainir le site », savoure Lionel Rard.

3,5 tonnes de déchets extraits du Rhône

Sur les quais du Rhône, Cassandra, 26 ans, observe les plongeurs depuis quelques minutes. Elle a connu l’association grâce à l’opération menée au parc de la Tête d’Or, en mai. Après le déconfinement, les plongeurs se sont, en effet, jetés dans le lac du célèbre parc lyonnais. Pas tant pour tenter de dénicher le trésor qui s’y trouverait mais surtout pour dresser l’inventaire de la faune et de la flore des lieux. « On veut donner à la collectivité des documents très fournis », précise Lionel Rard.

L’esprit pirate couplé aux prises de vues extraordinaires de l’association séduisent les jeunes générations. Après des études de biologie marine en Corse, Cassandra aimerait apporter ses compétences à Odysseus. « Depuis que je suis petite, je suis sensible à la protection de notre environnement, terrestre ou marin. Le Rhône est tellement pollué… »

La journée touche à sa fin et le bilan est édifiant : 3,5 tonnes de déchets ont été extraits du fleuve. Mais il reste encore beaucoup de travail pour vider le Rhône de tous ses encombrants. En guise de réveil collectif, l’association s’est fendu d’un message sur les réseaux sociaux : « Nous laissons tristement derrière nous une montagne de Vélo'v, repérés dans une zone très difficile d'accès entre 8 et 17 mètres de profondeur, avec un courant important et une très faible visibilité. Remonter tous ces vélos nécessitera une opération spécifique avec du matériel adapté. Une demande d'intervention sera rapidement effectuée par Odysseus 3.1. » Il faudra alors compter sur toutes les bonnes volontés.

1. Opération menée le 28 juin 2020

Plus d’infos:

Site de l’association : https://odysseus31.com/

Expédition au lac Sassolo :https://www.youtube.com/watch?v=ergPDdT5kn8&feature=youtu.be

Expédition au lac Merlet : https://www.youtube.com/watch?v=Ff5xywyh7O8&feature=youtu.be

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