© Pierre Lacroix. Ci-dessus, un extrait du mémoire du paysagiste Pierre Lacroix, qui a imaginé un monde « post-effondrement », sans pétrole, dans le cadre de ses études en architecture du paysage à Gembloux Agro-Bio Tech. L'intégralité de la bande dessinée est à retrouver ici : urlz.fr/82hz
Par François Delotte
Pour certains, l’effondrement de nos sociétés reposant sur l’exploitation des énergies fossiles n’est qu’une question de temps. Il serait même souhaitable pour laisser la place à un autre monde dans lequel pourraient émerger des communautés « résilientes ». Une vision des choses loin de faire l’unanimité et qui pose de nombreuses questions.
« Pour que le réchauffement climatique n’excède pas 2 °C en moyenne, il faut que le pic d’émission de CO2 soit derrière nous en 2020 », affirme le climatologue Jean Jouzel, commentant le rapport spécial du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec), publié le 8 octobre dernier. Il poursuit : « Maîtriser le réchauffement est le seul moyen de permettre un développement harmonieux de notre civilisation. Sinon, nous risquons de voir se multiplier les conflits à l’échelle de la planète. Certains parlent d’effondrement. Je n’irai pas jusque là. » Il n’est pas le seul.
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« Je ne minimise pas les risques de destructions environnementales et sociales. Ce que je conteste, c’est que cela soit inévitable, comme semblent le dire les collapsologues », indique Daniel Tanuro. Cet ingénieur agronome belge se réclame de « l’écosocialisme », mouvance politique mêlant critique du capitalisme et écologie. Il est l’auteur de L’impossible capitalisme vert (La Découverte, 2012). C’est aussi l’un des plus féroces détracteurs de la collapsologie, science de l’effondrement des sociétés « thermo-industrielles », dépendante aux énergies fossiles. Pour lui, « ça n’est pas parce que la mer va monter ou que le climat change que le capitalisme va s’effondrer. Les dominants feront tout pour conserver leur domination », indique-t-il.
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D’où, pour le chercheur, l’importance de ne pas baisser les bras. « Nous sommes certainement au bord du ravin. Mais dire que tout va s’effondrer est une conclusion millénariste1. Elle détourne des mesures politiques qu’il faudrait prendre pour limiter les impacts du changement climatique », continue celui qui est aussi cofondateur de l’ONG Climat et justice sociale.
Pousser les États à agir
Cette critique renvoie à celle d’économistes de gauche, comme Stéphanie Treillet, enseignante-chercheure, membre du conseil scientifique de l’association altermondialiste Attac, spécialiste critique de la théorie de la décroissance. « Les collapsologues conçoivent l’économie et les faits sociaux comme répondant à des lois physiques et biologiques. Or, ce ne sont pas des phénomènes naturels. Il y a là une sorte de fatalisme. Comme si nous n’avions pas de marge de manœuvre pour changer les choses au travers des luttes sociales et des politiques économiques », analyse-t-elle. Au contraire, pour l’économiste, il faut changer de braquet ce qui, pour les gouvernements, signifierait « mettre en place des politiques de planification volontariste en matière de transition dans les transports, l’agriculture l’urbanisme, l’énergie ». La chercheure cite pour exemple le scénario Négawatt, élaboré par des professionnels de l’énergie. Et qui prévoit de diviser par deux les consommations énergétiques en France d’ici 2050, en s’appuyant sur la sobriété (économies d’énergie), l’efficacité énergétique (isolation...) et le développement des énergies renouvelables.
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Jean Jouzel et Pierre Larouturou, cofondateur du mouvement politique Nouvelle Donne, plaident aussi pour une action publique rapide et volontariste. Une vision qu’ils exposent dans un ouvrage intitulé Pour éviter le chaos climatique et financier (Odile Jacob, 2017). « Nous connaissons les solutions à mettre en œuvre si nous voulons diminuer les émissions de gaz à effet de serre. Nous avons estimé à 1000 milliards d’euros la somme qu’il faudrait utiliser par an en Europe pour cela », précise Jean Jouzel. Les auteurs proposent eux aussi d’investir dans une économie réelle « verte » (énergie renouvelable, transports publics, agriculture durable...), pourvoyeuse d’emplois, et non dans la spéculation, qui augmente les potentialités de crises financières.
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Face au risque de chaos, les collapsologues proposent eux le concept de « résilience ». L’idée est aussi débattue. « Il est particulièrement cynique de la part d’Yves Cochet de tabler sur le fait que la moitié de la population mondiale va disparaître et que ceux qui s’en sortiront seront ceux qui auront réussi à fonder des communautés résilientes, dans lesquelles l’on pratique la permaculture », s’agace Daniel Tanuro. « Un mouvement comme Via Campesina2 promeut depuis longtemps l’agriculture écologique au service du climat et des paysan-ne-s. Mais ça n’est pas la même approche. Il s’agit d’éviter la catastrophe, pas de préparer des communautés avec les survivants de l’hécatombe », s’emporte le militant politique belge. « Beaucoup de choses intéressantes peuvent se faire à l’échelle locale. Mais j’ai peur que parfois, chez les collapsologues, cela puisse cacher une indifférence vis-à-vis de la défense des services publics ou de la sécurité sociale, tous ces acquis remis en cause par néo-libéralisme », affirme de son côté Stéphanie Treillet.
Sécurité post-effondrement
Plus déroutante au premier abord est l’appropriation de la thématique de la sécurité par les collapsologues. Une musique notamment entonnée par Alexandre Boisson, proche de Pablo Servigne. Cet ancien policier est le fondateur de SOS Maires, une association ayant pour objet de sensibiliser les municipalités aux problématiques de l’effondrement en les incitant à gagner en autonomie. Cela passe par des actions en matière d’agriculture ou de transition énergétique. Mais aussi de sécurité.
« Il faut que les collectivités s’emparent de ce sujet. Regardons ce qui s’est passé à Saint-Martin après le passage de l’ouragan Irma. Il y a eu de multiples points criminogènes. Il y a de nombreuses armes qui circulent dans les cités en France. Cela ne me rassure pas », déclare Alexandre Boisson. « Si un jour l’État n’est plus présent, que fait-on en matière de sécurité ? Il ne faut pas être obsédé par cette question. Mais il faut en parler », assure aussi Pablo Servigne.
L’ancienne ville minière de Loos-en-Gohelle (6000 habitants, Pas-de-Calais) est souvent citée comme un exemple en matière de résilience : installation de toitures solaires, création d’une ceinture verte, écoconstruction (voir le dossier, Petites communes, postes avancés de la transition ?, dans Sans Transition n° 10). Contacté par Alexandre Boisson pour parler résilience et sécurité, Julien Perdrigeat, chef du cabinet du maire écologiste de Loos, n’a pas souhaité aller plus loin dans la discussion avec lui : « Je suis sensible à cette question de l’effondrement. Mais lorsque j’ai en face de moi une personne qui me parle de sécurité militaire, je m’interroge. À Loos, nous proposons des réponses coopératives et inclusives. C’est tout sauf un retranchement dans notre bunker. » Avant d’envisager l’après « collapse », certains agissent encore pour le présent.
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