[TRIBUNE] - Gilles Berhault : LOST IN TRANSITION ?

Publié le ven 08/06/2018 - 15:59

Gilles Berhault est Président du Comité 21 et du Club France Développement durable, organisateur de Solutions COP21, il a dirigé des agences de conseil au croisement du développement durable, du numérique et de la communication. Auteurs de nombreux articles sur le sujet, en parallèle de ses activités associatives, il travaille à l’Institut Mines Telecom. 

 

« Nous sommes tous acteurs : être citoyen, ce n’est pas vivre en société, c’est la changer » Augusto Boal

Les mutations actuelles ne sont pas forcément plus révolutionnaires que celles du passé - l’invention de l’écriture, la Renaissance ou la machine à vapeur - mais elles sont caractérisées par la multiplicité, leur synchronicité planétaire et surtout leur vitesse. Tout va vite, très vite… trop vite ? La règle de l’urgence prévaut pour la transition énergétique, le chômage, les migrations non désirées, l’évitement des pollutions nuisibles pour la santé, la cohésion sociale, l’évolution des modes de vie…

Quelle place prend ou devrait prendre l’entreprise dans la société ? l’ESS est-elle la réponse ? Peut-elle devenir la norme comme le propose le député Bruno Bonnel ? Elle pèse et montre la voie : 10,5% de l’emploi français ; 14% de l’emploi privé ; 2,37 millions de salariés ; 221 136 employeursavec de vraies difficultés à définir les périmètres.

Nos outils démocratiques, fondés sur l’équilibre entre représentativité et participation, sont-ils adaptés ? La vision de la démocratie est aujourd’hui tiraillée entre, d’un côté, plus de capacité contributive de chacun (facilitée par l’internet), de l’autre, une approche plus collective, qui recherche l’intérêt général au risque de devenir totalitaire dans la démarche et d’aboutir à de nouvelles injustices. La question de la responsabilité prend plus de place, les positions sociétales se renégocient, avec les entreprises par leurs politiques RSE, et de nouvelles prises de responsabilités.

L’objectif d’amélioration de la qualité de vie est heureusement de plus en plus partagé, mais il se confronte à la tension permanente entre la satisfaction de participer à la transformation du monde et l’absence de repères, dans une mise en abime vertigineuse. C’est cela la question « Lost in transitions ? », elle se situe à la convergence des métamorphoses du numérique, du développement durable, de la gouvernance, des cultures… dans une inclusion des territoires, de l’économie et des démarches citoyennes.

La digitalisation est-elle un atout au service de la transition énergétique et écologique ? Nous entraîne-t-elle vers une société bas carbone, avec des systèmes de production et de consommation locaux, des réseaux énergétiques intelligents ? Alors que le numérique est un formidable accélérateur de transformation sociétale, comment en faire une démarche juste, partagée, respectueuse et écologique ? Et saurons-nous anticiper les prochaines disruptions ? En se mettant en capacité de les vivre.

Le numérique collaboratif, outil de gouvernance horizontale, est une désintermédiation des échanges et peut ainsi amener une répartition de la valeur plus équitable, c’est tout l’espoir de la blockchain. C’est aussi une clé d’entrée de l’économie de l’usage, ce partage favorisé qui permet de sortir des modèles de consommation compulsive de la possession de la fin du 20e siècle, aux impacts environnementaux et sociaux dramatiques.

N’oublions pas aussi qu’une reconsidération de la notion du territoire va de paire avec celle de l’identité, portée par une forte envie d’individuation et un renouveau démocratique, qui se cherche de nouvelles souverainetés.

Nos structures sociales, autoritaires et verticales, s’ouvrent enfin à la coopération, essence même d’une démarche de développement durable, du fait de changements éducatifs et aussi du développement des réseaux sociaux, cette civilisation du 2.0 (deux point zéro). Est-ce qu’il y a cohérence entre les territoires physiques et numériques (souvent multiple) ? Est-ce que la “génération Minecraft”, qui n’a pas connu le 20e siècle, vit et vivra différemment sa relation aux territoires dans une approche plus systémique et responsable ?

Les inégalités s’expriment dans tous les domaines : économiques, financiers, sociaux, écologiques, politiques. Comment se manifestent-elles et surtout quelles sont les capacités qui permettront de les réduire ? Comment mettre les transformations sociétales au service du développement humain ? Comment ne plus les subir voire les accélérer positivement ? Comment l’entreprise peut (doit) de se développer dans un contexte global.

C’est le sens affirmé par les Nations Unies quand sont votés les 17 Objectifs de développement durable (NY septembre 2015) : « ne laisser personne au bord du chemin ». Doit-on encore sacrifier des générations ? des quartiers ? des peuples ?… pour permettre aux autres de se développer et de viser à une bonne qualité de vie ? C’est une question communautaire humaine, de méthode et de valeurs. Tous les pays du monde sont confrontés à ces difficultés, même les plus riches.

Les transitions actuelles posent la question même des valeurs. Mais quelles sont celles des transitions ? Y aurait-il des valeurs plus porteuses que d’autres ?1. Les problématiques sociétales que nous avons à affronter aujourd’hui sont très lourdes. Mais, en parallèle, les initiatives citoyennes pour répondre à ces défis, se développent rapidement : le film « Demain » en est une expression. Il y a de plus en plus souvent une véritable effervescence dans les territoires, dans les entreprises et plus largement dans la société dans une approche généreuse, voire altruiste. Nous sommes au cœur d’un vaste patchwork qui cherche sa cohérence…

Un changement d’échelle par la généralisation des initiatives est une part de la solution, il faut pour cela multiplier ce qui peut l’être, inciter à inventer, mobiliser les talents, renforcer les capacités, financer… mais aussi de nous adapter. Nous devons nous transformer dans l’urgence, sans y être préparé sur les plans intellectuel, culturel et spirituel par un siècle des lumières. Bien sûr cette période plus que d’autre se centre sur elle-même, ici et maintenant. Un tel contexte de transition nous oblige à tout revoir : modes de vie, gouvernance des territoires et de l’économie, apprentissages, relation à l’autre, travail… et plus globalement sur ce qui fait l’Humain : spiritualités, amour, valeurs…

Oscar Wilde a dit « si vous savez ce que vous voulez être, alors vous le devenez inévitablement - c'est votre punition, mais si vous ne savez jamais, alors vous pouvez être n'importe quoi. »

Il est encore temps de choisir ! et de changer d’échelle vers une économie sociale, solidaire et environnementale.

Gilles Berhault

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1 Cahier des Entretiens Albert Kahn « Les valeurs de la transformation sociétale » avec la Fondation des transitions et l’Observatoire des valeurs, http://eak.hauts-de-seine.fr/les-publications/quelles-valeurs-pour-la-t…

 

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