[THEMA] La chasse ou la vie ?

Publié le lun 10/04/2023 - 09:00

Par Céline Cammarata

22 millions d’animaux sont tués chaque année en France par un million de chasseurs qui se déclarent pourtant les « premiers écologistes » et se réclament de traditions ancestrales. Malgré un soutien au plus haut niveau de l’Etat, ils se heurtent à l’opposition des associations de défense des animaux et à un rejet croissant de la population, inquiète des accidents à répétition qui ont amené au Plan gouvernemental sécurité à la chasse 2023.

« L’objectif du pratiquant [de la chasse] est-il de donner la mort ? Non, mais la mort est le moyen le plus simple de prendre l’animal, de le tenir. Tuer n’est pas l’objectif premier du chasseur. On ne chasse pas pour tuer mais on tue pour avoir chassé », écrivait, en 1942, le philosophe espagnol Jose Ortega Y Gasset dans son ouvrage Sur la chasse. En France, un million de chasseurs tirent et tuent, chaque année, 22 millions d’animaux, selon une étude de 2013-2014 de l’Office français de la biodiversité, dont 80% d’oiseaux et 20% de mammifères. Soutenus par le président Macron qui leur a offert en 2019 la division par deux du prix du permis de chasse, ils ne comptent pas s’arrêter, alors que 80% de la population réclame pourtant des dimanches sans chasse (1). Pour défendre leur activité favorite contre des « attaques de la ruralité » et protéger leurs prérogatives, ils parlent de cultures ancestrales et affirment que leur activité est nécessaire pour la régulation des espèces. En somme, ils sont « les premiers écologistes de France » et aiment la nature, a fortiori les animaux.

Chasse de classe

« La première distinction à poser dans cette relation entre le chasseur et les bêtes est la suivante : le chasseur a une véritable affection pour les animaux qu’il a domestiqués, son chien, sa meute, ses chevaux. Quant aux bêtes sauvages, il éprouve ce qu’on peut métaphoriquement désigner comme du respect parce qu’elles représentent ce que l’homme ne peut pas dompter et ne veut pas dompter, l’exact inverse de la civilisation », explique la philosophe Violaine Ricard, aujourd’hui conseillère au cabinet du ministre de l'Intérieur (2). L’affection à son chien et le plaisir d’être dans la nature, Jean-Marie Lambert s’en souvient. « Moi, je chassais uniquement pour me promener en forêt avec un but et pour voir chasser le chien, car on ne marche pas toutes les semaines durant quatre heures sans but, raconte cet ancien chasseur des Landes de Gascogne qui s’est toujours tenu loin des battues. La chasse procure un certain plaisir et tirer n’est que le final. L’approche et l’écoute sollicitent nos sens de façon beaucoup plus aiguë que lorsque l’on marche sans raison. »

Même état d’esprit chez Michel Blanc. Lui pratique la chasse au bâton où une meute d’une douzaine de chiens lève des lièvres en suivant leurs traces. « Je chasse d’abord pour le plaisir des chiens. D’ailleurs, nous essayons de les arrêter avant qu’ils n’attrapent le lièvre, afin de le conserver pour la fois suivante », témoigne cet éleveur de chiens varois. Il ne se prive pas non plus de dénoncer la maltraitance par certains chasseurs de leurs chiens de chasse, qui peuvent être éventrés par des sangliers lors des battues.

De la chasse nourricière à la chasse loisir

Pour ces chasseurs, « la chasse est naturelle car l ’homme chasse depuis la nuit des temps pour se nourrir. »  Ce rapport au gibier comme nourriture est d’ailleurs une différence marquée entre les classes sociales. « La consommation de la viande est fondamentale dans la chasse des milieux populaires, explique l’anthropologue Charles Stépanoff. L’idée qu’on ne chasse pas pour se nourrir est fausse et correspond à la chasse bourgeoise ». Il y a peut-être aussi une question d’époque. « Dans les années 50-60, la paysannerie vivrière existait encore et justifiait la chasse nourricière, estime Jean-Louis Chulion, président de l’Alliance des opposants à la chasse, qui regroupe 40 associations et 50 000 personnes. Mais aujourd’hui, il ce n’est plus le cas. »

Maîtrise et domination de la nature

Comment expliquer alors l’attirance pour cette activité ? Longtemps privilège des seigneurs, « la chasse a toujours représenté l’image de la force brute de l’homme, le plaisir de vaincre », explique Isabelle Grégor, rédactrice pour le site d’histoire Hérodote. Avec la chasse à courre et les chasses présidentielles, elle reste aujourd’hui encore l’apanage d’une certaine élite.  « Aujourd’hui, nous faisons face à une chasse sportive dont le seul objectif est de traquer et de tuer, dénonce encore le président de l’Alliance des opposants à la chasse. Des safaris de plaisir pour lesquels les lâchers de gibiers se poursuivent alors que ces gibiers d’élevage polluent la génétique de la faune sauvage. Les battues ne tiennent aucun compte des destructions d’oiseaux nichant au sol, de petits mammifères par les meutes de chiens. Les dégâts se font aussi sur la faune et des espèces invasives se développent avec l’agrainage (3). »

Régulation des écosystèmes ?

Alain Bougrain-Dubourg, le président de la ligue de protection des oiseaux (LPO), s’insurge également. Il rappelle qu’« en France, on chasse 64 espèces, dont plus de vingt classées sur la liste rouge des espèces menacées. » Même son de cloche à France Nature Environnement, la fédération française des associations de protection de la nature et de l'environnement, qui réfute la régulation des espèces comme justification de la chasse. « Si on n’avait pas éliminé les prédateurs des cervidés comme les loups ou les lynx, si nous arrêtions les agrainages, nous ne serions pas ‘’obligés’’ de réguler, explique Dominique Py, responsable de la chasse et de la faune sauvage chez FNE. Les écosystèmes se régulent très bien si l’homme ne les perturbe pas ! » Sans se positionner pour ou contre un ‘’loisir’’ de notre pays, FNE réclame que « la chasse soit assujettie à des règles et des contraintes comme toute activité et qu’elle ne s’exerce pas au détriment des autres activités. »

Chasses traditionnelles

Les partisans des chasses traditionnelles luttent contre leurs interdictions. Charles Stépanoff, co-auteur d’une étude anthropologique à ce sujet (4), rappelle que l’oiselage (5) s’avère un vecteur crucial de transmission de savoirs locaux et d’attachement des communautés locales au vivant. Dans une tribune dans Le Monde co-écrite avec deux autres anthropologues de l’Ecole des hautes études en sciences sociales, il distingue des « pratiques d’origine paysanne [qui] sont des techniques préindustrielles sans arme utilisant des matériaux souvent autoproduits, (…) stigmatisées depuis plusieurs millénaires comme immorales et déloyales par contraste avec la chasse armée des élites sociales. » D’un côté les battues (qui deviennent majoritaires) ou la chasse à courre, et de l’autre la tenderie (6), la tendelle (7), la chasse aux pantes (8) ou à la glu (9) et autres chasses traditionnelles... Certaines sont interdites par la direction européenne Oiseaux de 2009, dénoncées régulièrement par La LPO, mais régulièrement autorisées par dérogation par l’Etat français. Max Alliès, président de la fédération de chasse de l’Hérault, souligne que « les chasseurs adeptes de ces techniques vieillissent, se font rares, et qu’il suffit de laisser les chasses traditionnelles disparaître naturellement. » Or pour Charles Stépanoff, ce serait une perte culturelle ! « Notre planète connaît deux érosions fulgurantes simultanées : perte de la diversité biologique de ses espèces et perte de la diversité culturelle de ses modes de vie, écrit-il avec ses collègues dans Le Monde. Des études récentes ont montré que ces deux érosions résultent des mêmes causes : le remplacement de modes de subsistance traditionnels par une exploitation intensive des milieux du fait du colonialisme et de l’industrialisation agro-chimique. »

Note de bas de page :

(1) Sondage Ifop de janvier 2023.

(2) Sur le site www.chassons.com

(3) Attirer le gibier en répandant du grain sur un terrain de chasse

(4) Chasses traditionnelles et savoirs écologiques, Tiffany Cherix Dorsaz, Léo Filiu, Gabriel Tropini, Charles Stépanoff.

(5) Chasse aux oiseaux

(6) Un collet ou un lacet se resserre sur le cou, l'aile ou la patte d'un oiseau.

(7) Une grosse pierre plate est maintenue soulevée par des brindilles. L’oiseau reçoit la pierre en les faisant tomber.

(8) Des filets qui sont déposés sur le sol.

(9) Datant de la Grèce antique, elle permet d'attraper des oiseaux à l'aide de tiges en bois ou de branches d'arbres enduites d'une sorte de colle.

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