[THEMA] Dénoncer l’élevage intensif

Publié le ven 28/04/2023 - 12:00

Par Catherine Stern

Chaque jour, 3,5 millions d’animaux sont tués dans les abattoirs français, soit un milliard par an. De nombreuses associations de défense des animaux dénoncent l’élevage industriel où grandissent 80% d’entre eux, s’engagent pour améliorer leur bien-être voire pour abolir leur exploitation.

Victoire ! Le broyage et le gazage des poussins mâles de la filière des poules pondeuses (50 millions par an) sont désormais interdits. La campagne, qui a porté ses fruits en janvier 2023, a été menée conjointement par diverses associations de protection des animaux, aux méthodes très différentes. « Des vidéos chocs de L214 aux actions de libération d’animaux dits d’élevage de Boucherie Abolition, en passant par les happenings de sensibilisation de Anonymous for the voiceless, on observe une véritable diversité de militantismes qui reflète des visions très hétérogènes de la manière de transformer le monde », écrit (1) Romain Espinosa, économiste spécialiste de la condition animale. Pour parvenir à ce résultat, le chercheur a envoyé des questionnaires à 47 associations. Conclusion : « le militantisme français de défense des animaux se veut majoritairement welfariste et modéré. »

Welfarisme

Les organisations dites welfaristes (de l’anglais welfare, bien-être) sont la branche historique du mouvement de protection des animaux. Elles demandent l’arrêt des pratiques les plus douloureuses comme couper le bout du bec des poules, les queues des porcs ou les cornes des vaches, mises en place pour éviter les conséquences de l’agressivité des animaux due à la surpopulation et à l’ennui engendrés par l’élevage industriel. L’association Welfarm (2) « œuvre pour une meilleure prise en compte du bien-être des animaux, à toutes les étapes de leur vie (élevage, transport, abattage) », sans remettre en cause l’élevage lui-même. « Nous ne voulons pas fermer d’abattoirs mais, au contraire, avoir davantage d’établissements de proximité », expliquait Ghislain Zuccolo, directeur de Welfarm au magazine La France agricole. Autres associations welfaristes, le CIWF (3) (Compassion in world farming) se dit « pour un élevage durable », tandis que l’OABA (4) (Œuvre d’assistance aux bêtes d’abattoir), la plus ancienne, reconnue d’utilité publique en 1965, souhaite améliorer les conditions d’abattage et réalise même des audits dans les abattoirs pour les y aider. C’est à elle qu’on doit l’introduction en France, dans les années 1960, du matador, pistolet d'abattage destiné à « étourdir » l’animal avant de le tuer.

Abolitionnisme

D’autres associations vont plus loin. Ce sont les abolitionnistes, qui souhaitent la fin de l’exploitation des animaux pour la chair, les œufs ou le lait. Ainsi, 269 Libération animale dénonce dans son texte J’accuse (5) « l’élevage, la boucherie, les consommateurs et consommatrices, la culture spéciste » qui entraînent « 3 000 milliards d’animaux marins pêchés et 65 milliards d’animaux terrestres abattus chaque année » dans le monde. Ses actions radicales de blocages d’abattoirs et de sauvetage d’animaux ont valu à certain·es de ses membres des peines d’amendes ou de prison avec sursis. Le nom de l’association vient d’ailleurs du numéro du premier veau sauvé par l’association sœur israélienne, que certain·es militant·es se font tatouer au fer rouge.

En finir avec l’élevage intensif

Welfaristes et abolitionnistes se retrouvent sur le souhait d’« en finir avec l’élevage intensif, cet ennemi de l’intérêt général », comme le titre le Monde dans une tribune publiée en 2019 à la suite du livre manifeste de l’association L214 (6). L’OABA et le CIWF reconnaissent d’ailleurs qu’elles « étaient peu visibles et peu écoutées jusqu’à ce que L214, par ses vidéos, donne un ‘’coup de pied dans la fourmilière’’. » Créée en 1993, l’association L214 (7) « a un objectif abolitionniste mais adopte une stratégie welfariste », estime Romain Espinosa. Elle a publié plus de 100 enquêtes vidéos choc révélant les conditions d’élevage, de transport et d’abattage des animaux. Celle de 2015 sur l’abattoir d’Alès a été vue plus de 1,7 million de fois et la pétition a recueilli 280 000 signatures en faveur de la fermeture de l’abattoir. « Les images obtenues à Alès (8) ont choqué tout le monde. L’ensemble de la presse a relayé, on n’a pas pu raccrocher nos téléphones pendant deux jours ! », raconte sa cofondatrice Brigitte Gothière. Grâce à des lanceurs d’alerte en interne, à des incursions en élevage ou en abattoir, l’association donne à voir ce que souhaitent cacher les industriels : des scènes épouvantables qui sont « les pratiques routinières et les dysfonctionnements d’une industrie qui considère et traite les animaux comme des marchandises ».

Et la méthode fonctionne ! L’opinion publique change et fait pression sur les politiques, les producteurs, les distributeurs... Des progrès indéniables ont lieur pour les animaux d’élevage, même si Welfarm dénonce le fait que « nombre d’engagements du gouvernement pour une amélioration du bien-être des animaux d’élevage n’ont pas ou faiblement été tenus en 2022. » La fin de l’élevage industriel semble un objectif bien lointain.

 

(1) Divisés dans l’unité : une analyse empirique de la diversité des stratégies de communication et d’action des organisations de défense des animaux, revue Traits-d’Union, 2021 https://shs.hal.science/halshs-03428176v1

(2) welfarm.fr

(3) www.ciwf.fr

(4) https://oaba.fr

(5) www.269life-france.com

(6) Quand la faim ne justifie plus les moyens, en finir avec l’élevage intensif, Ed. Les liens qui libèrent, 2019.

(7) Du nom de l’article du Code rural qui reconnaît pour la première fois, en 1976, les animaux comme des êtres sensibles. www.l214.com

(8) Vidéos montrant l’abattage avec et sans étourdissement des bovins, chevaux, moutons, cochons descendus dans un puits de dioxyde de carbone…

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