[THEMA] Animaux de compagnie : je t’aime, moi non plus

Publié le lun 03/04/2023 - 12:00

Par Céline Cammarata

En France, un foyer sur deux déclare posséder un animal. Cette présence de l’animal domestique, puis de compagnie, aux côtés des humains remonte à la préhistoire. Des scientifiques nous expliquent les liens complexes qui nous unissent.

« Lorsque l’on remonte le cours du temps, on constate qu’il y a toujours eu des gens qui ont considéré l’animal avec détachement et d’autres comme un membre de leur famille, assure Jessica Serra, docteure en éthologie, à la tête de la collection Monde des animaux de la maison d’édition Humensciences. Selon l’article L214-6 du code rural et de la pêche maritime, un animal de compagnie est un animal appartenant à une espèce ayant subi des modifications, par sélection, de la part de l’être humain. C'est un animal qui, élevé de génération en génération sous sa surveillance, a évolué de façon à constituer une espèce, ou une race, différente de la forme sauvage primitive dont il est issu. « On ne sait pas si c’est la curiosité ou l’attirance pour les mammifères nouveau-nés qui incita Sapiens à ramener des louveteaux orphelins dans le campement mais ces derniers montrèrent un fort attachement aux hommes qui les élevèrent. Une fois apprivoisé et devenu adulte, cet animal puissant défendait les hommes, quitte à mettre sa propre vie en péril. Ces animaux se répandirent à une vitesse grand V, accompagnant Sapiens dans toutes ses migrations jusqu’à sa couche », raconte l’éthologue. Cet allié permit à l’être humain de se nourrir plus facilement en mettant ses techniques de chasse à son service. Ce fut le début d’un grand mouvement de domestication, toujours mû par la volonté de Sapiens et de ses descendants d’améliorer ses propres conditions de vie.

De l’animal machine à Mickey

Aujourd’hui, l’humain compartimente son empathie : les animaux d’élevage subissent le système industriel alors que les animaux de compagnie sont considérés comme dotés d’une personnalité et de sensibilité. « Les sciences naturelles et l’éthologie se sont intéressées à l’environnement et à l’interaction des animaux entre eux et nous ont permis de passer de l’animal objet à l’animal sujet, explique Marianne Celka, docteure en sociologie, chercheuse spécialisée dans la relation entre l’humain et l’animal.  Nous devons ce changement à l’essor des médias visuels, du documentaire animalier au cinéma de fiction. Progressivement à travers l’histoire, les chiens et les chats sont entrés d’abord dans les foyers des classes les plus aisées puis dans celles des classes populaires. Aujourd’hui, on les retrouve à cette place partout dans la société occidentale. » Ce changement de regard a été favorisé notamment par les dessins animés qui ont contribué à humaniser leur existence – qu’on pense par exemple à Mickey, la fameuse souris de Disney.  « La caméra a médiatisé l’animal et nous a rapproché de lui en nous plongeant dans ses yeux, poursuit cette spécialiste de l’animalisme (1). Mais même à l’époque de Descartes, des contemporains attaquaient son objectification de l’animal. »

Manque affectif et dérives

Pour Cécile Magnan, vétérinaire très impliquée dans la protection des animaux avec son sanctuaire pour les animaux de cirque et son soutien au refuge C.H.E.V.A.L (2), les animaux de compagnie, notamment les chiens et les chats, viennent aussi combler un manque affectif, dans une vie de plus en plus urbaine. Plus d’un foyer sur deux déclare avoir au moins un animal de compagnie (3), en tête desquels les chats (33% des foyers) et les chiens (25%). Sur 80 millions d’animaux de compagnie, la France compte 32 millions de poissons, 14 millions de chats, 12 millions de poules et 8 millions de chiens.  « Les gens se sentent de plus en plus seuls, et le chien compagnon est parfois aimé comme un enfant, observe-t-elle. Cette attitude est surtout celle de personnes qui ont perdu leur lien à la terre. C’est moins vrai chez les citadins vivants en ville depuis plusieurs générations qui ont pris de la distance avec les animaux. »

De ces rapprochements naissent aussi des dérives qui peuvent faire retomber les animaux de compagnie dans le rôle d’objets.  Tel est le cas avec les « chiens de parure ». « Ces chiens de race représentent pour leur propriétaire une façon de se distinguer des autres. Ils sont clairement objectifiés, affirme la sociologue Marianne Celka. Etre passé du statut de l’animal sujet à celui de la personne n’est pas irréversible. » Même si la majorité de la clientèle de la vétérinaire Cécile Magnan se comporte normalement, « se renseigne sur la race d’un animal et son caractère avant de faire un choix », puis s’entoure de professionnel·les pour faire suivre ses compagnons, elle rencontre parfois ces dérives. « Nous repérons aisément les comportements à problème comme les ‘’collectionneurs’’ d’animaux, qui abandonnent leur animal puis en achètent un autre de façon compulsive, témoigne-t-elle. En général, lorsque je fais une saisie chez une personne car elle s’est laissée débordée par le nombre de ses animaux, je suis dans la plupart des cas obligée d’y retourner une deuxième, voire une troisième fois, car après une saisie les gens recommencent. C’est pathologique. » Une pathologie répandue puisque 100 000 animaux domestiques sont abandonnés chaque année en France, dont 60 000 l’été.

Maltraitance passive

Autre dérive observée par l’éthologue Jessica Serra : la négation de l’animalité. « On prête à nos animaux des intentions humaines et, de ce fait, on ne respecte plus leur animalité, ce qui peut conduire à de la maltraitance passive », explique-t-elle. La vétérinaire Cécile Magnan confirme que parfois des propriétaires de chiens en viennent à ne même pas pouvoir manipuler leur animal tellement il a pris le dessus. « Les gens ont besoin d’aide. C’est la raison pour laquelle on voit se multiplier le nombre de comportementalistes », complète-t-elle.

De nouveaux animaux de compagnie (NAC) sont apparus ces dernières années : visons, furets, rongeurs, primates, lézards… Cela s’explique, pour l’éthologue Jessica Serra, par une « curiosité envers un monde que l’on ne connaît plus ». Pour pallier la disparition de la nature dans son quotidien, notre société recrée un environnement de poche. A défaut de pouvoir observer les animaux dans leur élément naturel, nous les installons chez nous. « L’interaction avec un poisson reste quand même limitée, pourtant certaines personnes peuvent observer durant des heures leur comportement, leur recherche d’interaction sociale avec leurs congénères », poursuit-elle, s’interrogeant sur le paradoxe d’enfermer les animaux qui nous tiennent compagnie, les poissons dans des bocaux, les lapins ou les furets dans des cages. La solution ? Une éducation des enfants plus éthique, pour « qu’on leur donne une autre vision du monde animal. » Ouvrir la cage aux oiseaux, un débat qui ne date pas d’hier…

Pour en savoir plus :

La bête en nous et Dans la tête d’un chat, de Jessica Serra, Ed. Humensciences.

Le zèbre rouge, de Cécile Magnan, Ed. du Panthéon

Note de bas de page :

(1) Mouvement de défense des animaux en tant qu'êtres sensibles.

(2) Centre d'Hébergement d'Equidés Vétérans Antenne Languedoc.

(3) Sondage Ifop de 2020.

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