[ ROB HOPKINS ] " Les rues devraient être pleines de gamins qui jouent "

Publié le mar 18/06/2019 - 11:31

Par Nicolas Troadec

Durant le cycle de conférences qui était organisé par Sans transition !, la Vallée du Gapeau en transition et Actes Sud, en avril, Rob Hopkins a rappelé le puissant pouvoir de l’imagination, indispensable pour créer des villes en transition, concept dont il est l’initiateur. Voici de larges extraits de l’intervention de l’enseignant en permaculture, issu de Totnes, en Angleterre. Il donne ici des clés et des exemples pour un futur positif et joyeux qui reste à construire.

« Une étude a montré que l’imagination et le QI ont évolué de façon égale jusqu’au milieu des années 1990. Le QI a ensuite continué à augmenter, mais l’imagination, elle, a commencé à diminuer. Les résultats de cette étude ont fait beaucoup de bruit. Quelles pouvaient en être les conséquences pour la croissance économique, pour Hollywood ? Mais personne ne s’est demandé quelles pouvaient être les conséquences pour nous, qui luttons contre le dérèglement climatique et faisons des efforts pour la justice sociale.

En parallèle de ce déclin, nous avons assisté à un autre : celui du jeu libre et non structuré. Auparavant, on voyait des gamins jouer partout. Dans le cadre de ces jeux, ils apprenaient à coopérer et à gérer les conflits. Ils se créaient des univers, des langages codés, à l’insu des parents. Le problème, c’est que, maintenant, on s’inquiète du CV des enfants à partir de 4 ans. On élève des enfants qui vont devenir des adultes inaptes à prendre des risques, et c’est la dernière chose dont nous avons besoin.

Dans le cadre de mon travail de documentation pour l’un de mes livres, je suis allé à Bristol, une grande ville de transition. Une fois par semaine, on ferme une rue à la circulation pour permettre aux enfants de jouer. Une mère à l’origine du projet m’a expliqué que cette démarche n’est pas “anti-voiture”, mais “procommunauté”. Les rues devraient être pleines de gamins qui jouent. L’ancien maire de Bogotta dit que pour mesurer le bien-être d’une ville, il faut compter combien d’enfants jouent dans les rues. Mais le jeu est de plus en plus quelque chose qu’on achète, et pas qu’on fait. »

Rob Hopkins à la faculté de Lyon, le 19 avril 2019

L’humour : une arme politique

(Rob Hopkins projette la photo d’un homme dans un costume de super-héro cousu main, ndlr) « Voici une photo de Antanas Mockus, le maire de Bogota. Et ça, c’est son costume de campagne avec lequel il a gagné les élections ! C’était un maire incroyable, qui a fait beaucoup de choses. Il a dit : “Les gens réagissent à l’humour quand il est bien utilisé. Dans la sphère politique, c’est l’outil le plus puissant pour opérer le changement.” Il a mis en place différentes mesures. Par exemple, il y avait beaucoup de morts sur les routes à Bogota, et la police qui faisait la circulation était particulièrement corrompue. Il a donc viré temporairement tous ces policiers et, à la place, a recruté 400 mimes. Ceux-ci réprimandaient les mauvais conducteurs et félicitaient ceux qui avaient un bon comportement. Les accidents ont baissé de 50 % ! Les jeux ne sont donc pas que pour les enfants ! (...)

Voici maintenant John Muir, l’un des premiers écologistes. Il est ici en compagnie de Franklin Roosevelt, 32e président des États-Unis. Ce dernier adorait John Muir et tous ses ouvrages. Il lui a dit un jour qu’il aimerait faire une expédition de camping avec lui. Au début du siècle dernier, ils ont fait une expédition de trois jours dans ce qui est aujourd’hui le parc national du Yosémite, dans les montagnes de la Sierra Nevada. Ils ont fait des balades, ont longuement discuté autour du feu de camp... Et à l’issue de cette expédition, Roosevelt a créé les parcs nationaux. De façon générale, cette expédition a eu un fort impact sur le reste de sa vie. Et si c’était Emmanuel Macron et Pierre Rabhi qui allaient faire du camping pendant trois jours ? (…) »

Rob Hopkins et son interprète Xavier Combe, au Jardin des Mille Pas à Rennes, le 19 avril 2019

« Nous pouvons rebâtir notre imagination »

« Nous vivons une époque où la biodiversité est en déclin. Cette situation ralentit de façon délétère notre imagination. Le biologiste René Dubos dit que, si nous vivions sur la lune, notre imagination serait aussi aride que sa surface. Le fait de savoir que la diversité du vivant diminue sur terre est particulièrement anxiogène. Mais nous pouvons rebâtir notre imagination. Un homme a cartographié la ville de Londres en ne faisant apparaître que les cours d’eau et les espaces verts. Ce qui correspond à 49,5 % de la surface de Londres. Il faudrait un demi pourcent de plus pour que Londres devienne un parc national ! Cela représente 1 m² par personne. Ce qui ouvre des perspectives incroyables : comment est-ce que chacun pourrait créer 1 m² de verdure ?

(Rob Hopkins montre une autre photo, ndlr) Voici l’une de mes héroïnes : Doria Robinson. Elle vit en Californie, à Richmond, où le taux de criminalité est très élevé. Elle a enseigné à des centaines de jeunes à faire pousser des fruits et des légumes. Ensemble, ils ont créé 13 fermes dans le quartier. Je lui ai dit : “C’est magnifique ce que tu fais, mais en quoi est-ce que cela fait évoluer l’imagination des jeunes ?” Elle m’a répondu que les jeunes de sa génération n’avaient qu’une idée en tête : quitter ce quartier. Mais, maintenant, de plus en plus de jeunes veulent vivre ici. Elle dit qu’elle rêve de tout un tas de choses, et qu’elle a l’impression qu’elles sont maintenant du domaine du possible ! (…) »

La hantise de l’ennui

(Rob Hopkins enchaîne sur l’emprise de la technologie sur notre imagination, ndlr) « Nous sommes à Arles en 1888, sur la place Lamartine, près d’une maison jaune. Imaginez-moi avec Van Gogh et un bouquet de tournesol. Il arrive dans la cuisine et les pose sur la table dans un vase. Il s’assoit, il sort son smartphone. Il va sur Instagram, puis Facebook, puis Twitter… A la fin il regarde des vidéos de chatons. Il ne se souvient même pas de ce qu’il s’est passé au cours des dernières heures. Si cela s’était passé ainsi, Les Tournesolsde Van Gogh, qui ont fait l’émerveillement de millions de personnes, n’auraient pas existé. Parce que l’imagination nécessite notre concentration. Einstein n’aurait pas eu les mêmes idées s’il avait joué à Candy Crush, au lieu de faire ses grandes balades à vélo. Le monde serait différent.

On a tous avec nous une prothèse de mémoire et de réflexion, notre smartphone, qui a un impact très négatif sur notre concentration et notre imagination. Même moi qui vous parle, je ne suis pas immunisé contre cette baisse de la concentration. Sherry Turkle, professeur d’études sociales en science et technologie au MIT, estime que nous sommes “à jamais ailleurs”. En réalité, notre pouvoir de concentration est valorisé par des grandes entreprises. Larry Rosen, chercheur en psychologie, affirme quant à lui que “notre concentration baisse de façon inversement proportionnelle au temps que nous passons sur nos smartphones”.
Nous vivons dans la hantise de l’ennui. Dans un ascenseur, au bout de dix secondes, tout le monde a sorti son téléphone. Mais cela nous prive de notre capacité à regarder par la fenêtre, à rêvasser. »

« Toute institution publique doit avoir comme priorité de maximiser l’imagination »

« (…) Cet avenir que nous appelons de nos vœux, il faut savoir en raconter l’histoire (...). La méthode consiste à poser des questions commençant par “et si ?”. C’est une compétence très importante, que l’on soit citoyen ou qu’on travaille dans une municipalité. Deux histoires illustrent cette méthode.

Il existe un quartier dans Londres qui est très commerçant et passant. Il n’a pas de place ou de verdure. Mais il y a à cet endroit, une espèce de grand rond, où des autobus attendent, le moteur allumé. Le groupe de transition local s’est demandé : “Et si c’était la place de notre village ?”. Et ils l’ont aménagé : il y ont mis de la musique, du gazon, des chaises... Et les gens y ont passé des heures entières comme si c’était la place d’un village. Personnellement j’y ai passé la journée.

Deuxième histoire : il y a 5 ans, le groupe Liège en transition s’est posé une question : et si, dans une génération, au moins la moitié de la nourriture consommée à Liège venait de sa périphérie ? J’y suis retourné l’année dernière. Entre temps, 21 coopératives avaient été créées et 5 millions d’euros de fonds avaient été levés auprès de la population. J’ai rencontré Pascal, qui tenait un magasin qui commercialise les produits des petits producteurs. Il m’a dit : “Quand on aura 10 magasins comme celui-là, les supermarchés vont être fragilisés. Il ne s’agit pas de protester contre eux, mais de construire quelque chose de meilleur, qui répond mieux à nos besoins, à ceux du plus grand nombre.” Le maire de Liège nous a avoué qu’il y a 10 ans, il voulait que sa ville soit une Smart City. Maintenant, il souhaite que ce soit une ville en transition.

Et si nous élisions des gens qui mettaient en priorité l’imagination individuelle et collective, dans l’éducation, la politique, l’architecture ? (…) L’économie néolibérale n’est pas un modèle qui fonctionne. C’est un modèle qui a détruit la planète, pille les ressources et nous mène vers la catastrophe. Il nous faut donc une stratégie nationale de l’imagination. Toute institution publique ou structure démocratique devrait avoir comme priorité de maximiser l’imagination, de tout rendre possible.


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