[PATRIMOINE] Dans le Lot, les moulins entre deux eaux

Publié le ven 26/03/2021 - 07:38

Légende : Jean-Louis Foucalet entend faire revivre le moulin de Merlançon. (photo : C.Pelaprat)

Par Christophe Pélaprat

 

Les moulins peuvent-ils être utiles à la transition énergétique ? Pour l'association des Moulins du Quercy, valoriser leurs capacités hydroélectriques serait même le meilleur moyen de les sauver. Mais leurs ouvrages hydrauliques sont aujourd'hui remis en cause par la loi sur l'eau. Dilemme entre énergies renouvelables et préservation écologique.

« Il fallait le sauver, c'était le dernier carat », explique Jean-Louis Foucalet devant son moulin de Merlançon, sur la rivière du Célé, dans le Lot. Séduit par ce site, il l'a tiré des broussailles il y a quinze ans. Le bruit de l'eau court toujours sous la bâtisse rénovée, le bief permet encore de capter une part de la rivière, qui faisait tourner deux meules jusqu'en 1954, ainsi qu'une turbine installée dans les années 30 pour alimenter en électricité une propriété voisine.

Jean-Louis Foucalet entend bien poursuivre la restauration de ces ouvrages et profiter de l'énergie hydroélectrique potentielle qu'il entend couler quotidiennement sous son plancher, grâce à une hydrolienne - une petite turbine hydraulique - qui lui permettrait de subvenir à l’alimentation électrique de sa maison. « Un moulin peut toujours être utile, et même productif. J'ai restauré ce site dans un esprit d’autonomie, en voulant conserver le potentiel que représente ce moulin », affirme avec évidence celui qui est aussi le secrétaire de l'association des Moulins du Quercy (AMQ).

« Logique de circuit court »

« Un moulin, c'est un mouvement à partir duquel on peut faire ce qu'on veut, résume Serge Despeyroux, le président de l'association. Les moulins peuvent aujourd’hui, à leur échelle, contribuer à produire de l'électricité et participer pleinement à une logique de circuit court ». C'est dans cet esprit que l'AMQ, qui rassemble des propriétaires passionnés dans le Lot et le Tarn-et-Garonne, porte le projet Réveil des moulins, dont l'objectif est de rénover ce patrimoine au service de la production d'énergie renouvelable.

Une étude « pilote » est envisagée pour identifier le potentiel hydroélectrique d'une première grappe de moulins centrée sur la vallée du Célé, mais aussi dans le bassin de l'Aveyron, autour de Saint-Antonin-Noble-Val. Le projet vise à rassembler des propriétaires de moulins, mais aussi toutes les parties prenantes dans les questions énergétiques et la gestion des cours d'eau. Une structure coopérative pourrait ensuite être envisagée pour mutualiser les études, les travaux et l'entretien des sites participants. « Cette étude me permettrait de cerner les capacités de mon moulin,estime Jean-Louis Foucalet, pour éventuellement produire au-delà d'une hydrolienne de 1,8 kilowatts-heure (kWh)1. »

Plus en aval sur le Célé, d'autres moulins « turbinent » jusqu'à 220 kWh, même si le débit estival de cette rivière ne permet pas une production à l'année. Ce sont là des minoteries équipées d’installations professionnelles, dont l'électricité revendue à EDF est injectée sur le réseau. « En ce moment on tourne à plein, la chute d'eau est maximale, se satisfait Didier Thamié en ce jour d'hiver, devant le cours d'eau gonflé par les dernières pluies à Marcilhac-sur-Célé. Ici, nous pouvons produire jusqu'à 500 000 kWh par an. C'est un complément non négligeable pour notre activité d'artisan minotier. »

Chaussées démantelées

Autour de Saint-Antonin-Noble-Val, Dominique Perchet, autre membre de l'AMQ, évoque quant à lui « l'énergie inépuisable des eaux vives de la Bonnette et de l'Aveyron », pour les innombrables moulins qui les jalonnent. Ici, plusieurs sites pourraient être équipés d'hydroliennes. « Nous avons fait le tour des possibilités avec un fabricant spécialisé, mais la situation est bloquée en raison d'un dilemme entre les volontés énergétiques et la réglementation sur l'eau », se désole-t-il.

Depuis 2006, la loi sur l’eau et les milieux aquatiques, induite de la directive-cadre européenne sur l’eau adoptée en 2000, préconise en effet la notion de continuité écologique, qui vise à favoriser la libre circulation des organismes vivants d'une rivière ainsi que le transport de ses sédiments. Ce cadre réglementaire identifie les ouvrages hydrauliques comme autant d'obstacles qu'il convient d'éliminer ou d'aménager pour restaurer cette continuité. Plusieurs chaussées2 ont ainsi été démantelées sur le Célé ces dernières années.

« Les chaussées des moulins, souvent multiséculaires, posent tout d'un coup problème pour la qualité de l'eau et pour des poissons qui n'existent presque plus », s'insurgent les membres de l'AMQ, comme ailleurs en France, face à une détermination administrative jugée radicale. Pour les propriétaires de moulins, les aménagements demandés exigent un coût démesuré, qui peuvent atteindre la valeur de leur bien, et nombreux sont tentés par la destruction de leurs ouvrages, plus largement subventionnée. « On m'a soumis trois scénarios pour mettre ma chaussée aux normes, j'ai jusqu'en 2023 pour le faire, raconte Jean-Louis Foucalet : la construction d'une passe à poisson classique à 250 000 € ou une version « rustique » à 350 000 €, les deux subventionnées à 60 %, ou alors l’arasement de la retenue estimé à 97 000 € et pris en charge à 100 %. Alors que je devrais au contraire rebâtir la chaussée, aujourd’hui endommagée, à son hauteur d'origine pour avoir un bon potentiel hydroélectrique. »

La continuité écologique en question

« Nous ne sommes pas des ayatollahs de la destruction des chaussées,se défend Bernard Decasteljau, membre de la Police de l'eau à la DDT du Lot. L’État veut rétablir la continuité écologique sur un certain nombre de seuils, sans pour autant vouloir les éradiquer. Le Célé, en tête de bassin, a un fort potentiel patrimonial, c’est pourquoi il est prioritaire. Et quant à la production d'électricité, elle est bien sûr louable, mais le potentiel est ici très faible. La politique énergétique de la France n'est pas basée sur les moulins. »Parmi les arguments écologiques, la hauteur de certains seuils qui gêne le déplacement des poissons, des habitats naturels perturbés par la mauvaise circulation des sédiments, mais aussi le réchauffement de l'eau en amont des barrages : des problèmes qui s'ajoutent à l'état déjà dégradé de bien des rivières.

Les défenseurs des moulins réfutent l'importance de ces impacts, qu'ils estiment majorés. « Il est plus facile de s'en prendre aux petits propriétaires qu'aux véritables responsables de la dégradation de la qualité de l'eau,juge Dominique Perchet. Les chaussées jouent le rôle de bouc émissaire. »

« Aujourd'hui, il n'y a pas de compromis entre les deux points de vue. Hors la nature impose des compromis, il n'est pas possible de retrouver l'état originel des rivières », estime Alain Pleynacoste, président de l'association Sauvegarde du Célé, qui rassemble 500 riverains, usagers ou passionnés de la rivière. S'il pense que certains seuils abandonnés n'ont plus lieu d'être, lui aussi s'étonne de l'acharnement mené sur les chaussées : « bien sûr qu'il faut améliorer la qualité des eaux, mais la continuité écologique n'est qu'un aspect de la directive. Et la vraie menace, avec le réchauffement climatique, c'est que le Célé ne coule plus en été », ajoute-t-il tout en restant sceptique sur le potentiel hydroélectrique du secteur.

Plus de deux ans après avoir soumis son projet Réveil des moulins dans le cadre d'un appel à projets de production d’énergies renouvelables coopératives et citoyennes, l'AMQ attend toujours la réponse de l'Ademe et de la Région : certains moulins proposés à l'étude posent problème à la réglementation. Et si cette expérimentation était justement l'occasion de faire la part des choses… Et d'apporter à chacun de l'eau à son moulin ?

Notes de bas de page :

1. L'on estime la consommation moyenne d'électricité - hors chauffage électrique – d'un foyer de 3 ou 4 personnes à 2500 kWh/an.

2. Le fonctionnement d'un moulin implique une chaussée (une retenue, en général maçonnée), pour orienter l'eau dans un canal d'amenée vers les meules.

 

Plus d'infos :

moulinsduquercy.com

occitanie.developpement-durable.gouv.fr

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