[ MIGRATIONS ] Un appel à notre humanité

Publié le mar 18/06/2019 - 16:56

 Recueilli par Nicolas Troadec        

Pascal Brice a été pendant 6 ans le directeur de l’Office français de protection des réfugiés et des apatrides (Ofpra). Il a sorti un livre, Sur le fil de l’asile, édité chez Fayard, où il livre un témoignage de son expérience pour, dit-il, « contribuer à la réflexion à travers le caractère exemplaire, inspirant, du réel et de l’action ». Il fait aussi partie du comité d’accompagnement de l’association Migrations en questions.

Pourquoi avoir eu envie de raconter vos 6 années de mandat dans un livre ? Était-ce un besoin, après une expérience particulièrement marquante ?

C’est à la fois parce que c’était marquant, mais aussi parce que j’ai été frappé, pendant ces six années, par ce que j’ai très vite ressenti comme un abîme, entre ce qui concerne l’accueil des réfugiés et la réalité sociale du pays, qui est plus complexe et plus riche que ce que laissent penser les discours politiques, souvent simplistes. J’ai voulu livrer un témoignage et non un prêt-à-porter politique. C’est un récit. Parce que je crois beaucoup à l’idée que ce qui compte, dans l’action administrative et politique, c’est le réel. C’est donc d’abord le récit des multiples mobilisations, les portraits des demandeurs d’asile et des réfugiés, de ceux qui travaillent à leur accueil. Et aussi de ce qui traverse le tissu social, des doutes et des interrogations dans un moment de crise sociale et identitaire. Je souhaite que ce livre puisse contribuer à la réflexion à travers le caractère exemplaire, inspirant, du réel et de l’action.

« La politique de l’asile est une variable d’ajustement lors des phases de tensions migratoires »

Avec du recul, comment analysez-vous le fait que vous n’avez pas été reconduit à la tête de l’Ofpra ?

Je crois que j’ai touché aux limites, au bout de 6 ans, de ce que je pouvais faire à la tête de l’Ofpra, dans le système tel qu’il est organisé. Ce dernier a plusieurs caractéristiques. D’abord, la politique de l’asile est confiée aux mêmes autorités qui gèrent la politique migratoire, c’est-à-dire le ministère de l’Intérieur. Or, la politique migratoire est restrictive depuis plusieurs décennies et elle est toujours prioritaire. L’asile ne vient qu’en second rang des priorités. Elle devient même une variable d’ajustement lors des phases de tensions migratoires réelles ou supposées. En outre, ce ministère a une tendance naturelle à être dans des politiques de dissuasion : il ne faut pas que les conditions d’accueil soient trop bonnes, sinon ça fait un « appel d’air », à leurs yeux. Dernier élément : l’impensé de la politique migratoire. Il faut impérativement dissocier l’asile de la politique migratoire. J’ai voulu porter la politique de l’asile avec l’indépendance absolue de l’Ofpra, telle que la loi la prévoit. Mais, en l’absence de réelle politique migratoire, l’asile est sous pression. Au bout de 6 ans, j’ai sans doute atteint les limites, dans ce contexte. Il était donc logique que je passe la main.

Le règlement Dublin* doit-il évoluer ?

Je ne suis pas très rassuré : nous sommes dans une situation étrange. À peu près tous le monde a pu comprendre que le règlement Dublin a des effets dévastateurs. On le voit en Italie, mais aussi en France, avec des demandeurs d’asile en attente, pour rien, pendant des mois. On sait que ça ne marche pas. Et, au niveau européen, les négociations conduites par les ministères de l’Intérieur (au sein du Conseil de l’Union européenne, ndlr) restent très axées sur ce règlement-là. Or, je montre dans le livre que nous avons contribué à mettre en œuvre des systèmes alternatifs : protéger les personnes dans les pays de transit pour les réinstaller en Europe ; instruire la demande d’asile à l’arrivée dans les ports européens, comme on l’a fait avec l’Aquarius... Il devrait s’y ajouter une agence européenne de l’asile, indépendante comme l’Ofpra. Mais tant qu’on est dans Dublin, on est dans des stratégies avec un manque de solidarité avec les pays d’arrivée, on provoque du désordre au détriment de tout le monde. Il y a urgence à évoluer au niveau européen, mais là on a un conservatisme très fort.

Êtes-vous familier des conditions d’accueil en Provence et comment les améliorer ?

Je connais la situation, j’ai pu en parler avec Cédric Herrou, notamment, ou avec les responsables de Forum réfugiés. Il y a une particularité à cette région, qui n’est pas celle qui accueille le plus durablement les demandeurs d’asile en France : c’est plutôt une région de passage. Mais comme partout, il faut pouvoir organiser cet accueil. Il faut que quiconque souhaite demander l’asile puisse le faire et puisse être hébergé dans de bonnes conditions, intégrer ceux qui sont reconnus réfugiés et que ceux qui n’ont pas le droit au séjour soient reconduits.

Attendez-vous quelque chose des élections européennes sur la question des politiques migratoires ?

Ce que j’aimerais, c’est que ces élections nous évitent l’énième répétition des approches simplistes : le déni des difficultés, ou l’hystérie sur la peur de la submersion, voire à l’inverse, l’idée qu’il faut accueillir la terre entière, dans le désordre. Ces discours-là ne correspondent pas à la réalité et desservent la capacité de l’Europe à mettre en place des politiques migratoires et respecter le droit d’asile. Des solutions existent, nous les avons pratiquées. C’est notamment pour cela que j’ai écrit ce livre.

Plus d’infos :

www.migrationsenquestions.fr

 

*Selon ce règlement européen, en pratique, le pays par lequel un migrant entre dans l’Union européenne est responsable de l’instruction de la demande d’asile. Les pays limitrophes et méditerranéens sont donc logiquement plus exposés que les autres.

Garantissez l'indépendance rédactionnelle et financière de Sans transition !