LES PETITES COMMUNES, postes avancés de la transition ?

Publié le mar 10/04/2018 - 12:30

Écologie, solidarité, gouvernance... Un nombre croissant de communes modestes, souvent rurales, innovent. Alors que la traduction en actes de l’accord de Paris par la communauté internationale est incertaine, la transition serait-elle en train de se mettre en place depuis le plus petit échelon de la démocratie ?

Par François Delotte


COMMUNES EN TRANSITION : LE CHANGEMENT PAR LE BAS

De la Bretagne à la Provence en passant par l’Alsace, le Limousin et le Languedoc, des petites communes, proches de leurs administrés, mettent concrètement la transition en oeuvre. Revue et analyse d’un mouvement de fond qui part souvent de la volonté du monde rural de se prendre en main.

8 000 m² de panneaux photovoltaïques qui captent les rayons du généreux soleil des Corbières. Le premier parc photovoltaïque participatif français a été inauguré à Luc-sur-Aude, en janvier dernier. Une localité de quelque 230 âmes située à une quarantaine de kilomètres de Carcassonne. Un quart des habitants est actionnaire du projet. La puissance de 250 Kwc (kilowatt heure crête) permet de produire l'équivalent de la consommation électrique de l’ensemble des Lucois, hors chauffage. L'énergie est revendue à Enercoop, fournisseur d'énergie renouvelable. Qui la redistribue. Une initiative concrète de transition énergétique et citoyenne qui découle d'une mise en synergie de la municipalité et de ses administrés. En effet, le parc solaire est installé sur des terrains communaux et c'est la mairie qui a effectué le travail de mobilisation des particuliers. « À chaque fois que l'on nous proposait un projet de parc solaire, il provenait d'investisseurs lointains. Nous nous sommes dit : pourquoi ne pas faire plutôt profiter les habitants des plus-values grâce à de l'épargne locale », explique Jean-Claude Pons, maire du Luc-sur-Aude. « Il s'agissait aussi de mobiliser les gens dans une réflexion autour de l'énergie. » Cet exemple de petite commune rurale engagée dans le changement est loin d'être isolé. En septembre dernier, paraissait aux éditions Actes Sud, un livre intitulé Ces maires qui changent tout (Mathieu Rivat) présentant des municipalités, petites ou grandes (Grenoble et Paris) engagées dans des actions d'innovation sociale, écologique ou économique. Déjà, il y a un an et demi, la documentariste Marie-Monique Robin consacrait un film à Ungersheim, petite ville alsacienne fermement engagée dans la transition sous l'impulsion de son maire sans étiquette, Jean-Claude Mensch. À l'heure où les États, malgré la signature des accords de Paris sur le climat de 2016, peinent à engager des politiques d'ampleur pour lutter contre les changements climatiques, le salut viendrait-il des territoires ?


L’ancienne ville minière de Loos-en-Gohelle est passée du noir au vert en 20 ans. Ici, la ceinture verte et ses hôtels à insectes aménagés par la commune. © Ville de Loos-en-Gohelle

La société civile comme moteur du changement

À Puy-Saint-André, commune des Hautes-Alpes de 466 habitants située près de Briançon, le maire Pierre Leroy est au moins persuadé d'une chose : la municipalité doit « faire sa part ». Le village a créé une société d'économie mixte regroupant la mairie, des habitants et des entreprises, pour installer des panneaux solaires sur les toits de bâtiments publics. Une première centrale est sortie de terre en 2011. Depuis, quinze autres ont été installées dans la communauté de communes du Briançonnais, portées par 70 citoyens, trois communes et deux entreprises actionnaires. Mais Puy-Saint-André ne se cantonne pas à l'énergie : la municipalité a aussi créé une réserve naturelle régionale, mobilisé ses administrés pour nettoyer des canaux d'irrigation ancestraux (aucune eau potable n’est utilisée pour arroser les jardins) ou encore mis en place un Plan Local d’Urbanisme (PLU) participatif. La clé du succès pour le maire : mettre en mouvement la population. « Il faut retisser des liens entre élus et citoyens. Leur faire comprendre qu'ils peuvent et même doivent s'investir dans la vie de leur territoire », explique-t-il. « Pour notre PLU, nous avons défini 95 % du zonage en mode participatif. Des ateliers et douze réunions ont été nécessaires. Nous avons ainsi décidé de réserver des parcelles pour de l'habitat social participatif. La participation ne se décrète pas et prend du temps. Mais c'est faisable ! »

Pour illustration, « un grand nombre d’actions innovantes émergent un peu partout dans les territoires », constate Bruno Duchemin, rapporteur d'un avis du Conseil Économique Social et Environnemental (Cese) intitulé La transition écologique et solidaire à l'échelon local, et publié en novembre 2017. « Ce que l'on a pu constater en allant sur le terrain, c'est qu’il faut parler aux citoyens pour que la transition fonctionne. Les projets doivent s'inscrire dans un mieux-vivre, dans une volonté de création d’emplois. C'est ainsi que les personnes deviennent partie-prenante. Enfin, un fait préalable et nécessaire : les initiatives doivent émerger du territoire et ne pas être imposées depuis Paris », affirme ce membre de la CFDT.

Ce principe de participation, une commune comme Saillans (1229 habitants), dans la Drôme, l'applique à la lettre. Ici, l'équipe élue aux dernières élections de 2014 a choisi de mettre en place une méthode de co-construction de l'action publique locale avec des citoyens volontaires. Ainsi, les sessions du conseil municipal sont devenues des quasi formalités destinées à acter officiellement des décisions prises en amont par un « comité de pilotage ». C’est cette instance – à laquelle les citoyens peuvent participer et faire des propositions –, qui décide des grandes orientations de la politique communale. Des binômes d'élus, associés à cinq ou six habitants, sont par ailleurs responsables de huit « commissions de compétences » pour travailler sur des thématiques particulières : aménagement-travaux-sécurité, économie et production locale, vivre longtemps au village-santé-social… Enfin, les actions se mettent concrètement en œuvre dans des « Groupes d'Action Projet (Gap)». « Un des premiers Gap a consisté à organiser l’extinction de l'éclairage public la nuit. Une matrice prenant en compte les habitudes des usagers, la circulation de week-end, les jours fériés ou la luminosité selon les saisons a été retenue », détaille Joachim Hirschler, co-référant de la commission « Environnement - énergie - mobilité ». Un Gap « compostage » a mis en place une « auto-gestion » du compost. Un autre sur la mobilité réfléchit à faciliter le covoiturage, l'achat de vélos électriques… Chaque année, un bilan des groupes est effectué avec ce qui a marché et ce qui n'a pas bien fonctionné. L’objectif de la démarche est d'aboutir à un effacement de la distance élu/citoyen. « Il y a à Saillans une vraie qualité de la décision et surtout elle est partagée, donc mieux acceptée. Les gens se sentent concernés. Et en tant qu'élus, nous ne sommes plus seuls devant la décision », témoigne Joachim Hirschler.

De fait, dans ce type de communes, « c'est souvent la société civile qui est le moteur de la transition. Une partie importante de la population de ces villages peut être constituée de néo-ruraux qui sont arrivés avec une vision alternative de l'économie et une autre façon de vivre. Pour ces personnes, le fait de passer de l'action associative au pouvoir local peut être un moyen de faire levier, de changer d'échelle », analyse Magali Talandier, professeure en urbanisme et aménagement à l'Institut de géographie alpine de Grenoble et spécialiste des dynamiques de développement du territoire.

Ce profil sociologique se retrouve à Saillans où l'équipe municipale actuelle a été élue en 2014 suite à la constitution d'une liste « citoyenne », elle-même issue d'une lutte contre l'installation d'un supermarché dans la commune. Le schéma est comparable à Puy-Saint-André : « Nous avons été élus pour un premier mandat en 2008. Mais notre objectif initial n'était pas de participer aux élections, mais plutôt de créer un collectif citoyen pour imaginer l'avenir du village. Une sorte de programme a découlé de cette démarche. Nous avons alors décidé de nous présenter puis avons recueilli 65 % des voix », relate le maire, Pierre Leroy, ancien adhérent d'Europe Écologie Les Verts (EELV). Les équipes municipales de ces petites communes « en transition » sont d'ailleurs souvent composées de personnes proches ou ayant été proches d'EELV. Un parti qui comprend de nombreux militants attachés au principe d'autogestion évidemment mêlé à un intérêt pour les questions environnementales. Citons le cas de la municipalité de Mouans-Sartoux (06), petite ville de 9 000 habitants qui a converti sa restauration scolaire au 100 % bio, notamment via la création d'une « régie municipale agricole ». La plupart des services publics de la commune sont d'ailleurs gérés en régie directe : eau, assainissement, ramassage des ordures ou encore pompes funèbres.

Mais, même dans des territoires où les choses sont loin d'être gagnées d'avance, le changement peut éclore. C'est le cas à Loos-en-Gohelle (Pas-de-Calais), où le maire, Jean-François Caron, est bien issu des rang d'EELV (cf.interview p.). Toutefois, dans cette ancienne petite ville minière de 6 000 habitants, point de néoruraux et peu de classe moyenne écolo. Jean-François Caron succède à son père, Marcel (PS), à la tête de la mairie en 2008. Père qui avait déjà entamé la conversion au développement durable de cette commune marquée par des difficultés économiques et sociales. Le fils pousse la dynamique plus avant (développement de l'agriculture bio, toitures photovoltaïques, commune référente en matière d'éco-construction). Dans ce contexte, pour Julian Perdrigeat, chef de cabinet du maire, l'importance que la ville a donné à l'approche « narrative » liée à la reconnaissance de l'histoire du bassin minier fut fondamentale dans la mobilisation de la population. « Ne pas reconnaître notre mémoire collective et ce qui fonde l'identité des personnes, met les habitants en rage, les braque », complète Jean-François Caron. C’est seulement ensuite que la mutation progressive de la commune peut se mettre en place. 

« Aide-toi, le ciel t'aidera »

Cette mise en synergie des équipes municipales et des populations a souvent pour objectif de répondre aux besoins élémentaires des localités. Comme à Ayen (19), par exemple. Cette commune corrézienne de 750 habitants a fait du développement durable sa devise (« le durable a son village », ndlr). Depuis 2005, la municipalité travaille avec les citoyens sur la définition d'actions destinées à protéger le cadre de vie de la population, notamment via la réalisation d'un agenda 21. Ce dernier a fait émerger un collectif d'habitants, « Vivre ensemble durablement », qui porte des projets avec le soutien des élus. La problématique du maintien des services publics demeure un sujet clé pour cette municipalité qui se définit comme « sans étiquette ». « Nous faisons face à des baisses de dotations. Mais nous essayons de travailler différemment pour y pallier », déclare Jérôme Perdrix, adjoint à la maire du village. Un secteur touché par ces baisses : les transports publics. Du coup Vivre ensemble durablement a mis en place un dispositif de covoiturage de proximité (Écosyst'm). L'originalité : les conducteurs sont rétribués par leurs covoitureurs en YA'CA, la monnaie locale. De quoi protéger l’environnement et dynamiser l’économie locale !

Autre innovation destinée à pallier le manque de transport collectif en secteur rural ou rurbain : le Rezo Pouce. Cette initiative remet l'auto-stop au goût du jour. Lancée à Moissac (Tarn-et-Garonne), à la fin des années 2000, elle est désormais structurée en Société coopérative d'intérêt collectif (SCIC) et a été adoptée par 1132 communes. Son principe : des arrêts de stop identifiables sont aménagés et les auto-stoppeurs sont invités à imprimer un panneau de destination avec le logo du réseau. Une application vient d'être créée avec le soutien de la fondation Macif et Transdev. « Les personnes indiquent leur destination sur une carte. Le conducteur les repère par l'intermédiaire d'une punaise placée sur le plan grâce à la géolocalisation », détaille Alain Jean, ancien adjoint à la municipalité de Moissac et fondateur du dispositif. L'objectif est d'offrir une solution de déplacement, notamment aux jeunes, en secteur rural. Des territoires pour lesquels la mise en place de lignes de bus est inenvisageable car trop onéreuse. « Depuis 2012, environ 5 % des populations du territoire concerné utilisent le dispositif », poursuit Alain Jean. 

Cette dynamisation originale et citoyenne des territoires ruraux intervient dans un contexte de métropolisation qui pourrait creuser les différences entre les territoires urbains et ruraux. Créer une France à deux vitesses. « Il y a beaucoup d'innovations dans les territoires ruraux. Mais elles ne sont pas de même nature que celles qui se développent dans les métropoles – davantage portées sur le digital, les hautes technologies. À la campagne, nous sommes plutôt axés sur l’Économie sociale et solidaire qui rend des services directs aux habitants », commente Alain Jean. Les craintes de voir les grandes agglomérations absorber toutes les ressources de leurs arrières-pays s'expriment dans le monde rural, notamment suite à la promulgation de loi de Modernisation de l'action publique territoriale et affirmation des métropoles (Maptam – 2014). D'autres voix se veulent plus rassurantes. « Je peux comprendre la peur de certains élus, qui craignent d'être oubliés. Mais, en vérité, il y a une grande complémentarité entre métropole et espaces ruraux. Les questions de transition peuvent d'ailleurs changer la relation ville / campagne. Car la ville a besoin de ces espaces pour effectuer ses propres transitions énergétiques et alimentaires. Elle a besoin de ces réservoirs de nature qui sont aussi des territoires d'innovations sociales », commente la géographe Magali Talandier. 

Du local au global

Ces petites communes innovantes sont d'ailleurs regardées de près par d'autres collectivités. Ayen, Puy-Saint-André ou encore Correns (83) – commune qui a fait un travail précurseur sur le développement de l'agriculture bio – sont régulièrement visitées par des élus venus des quatre coins de la France. Loos-en-Gohelle est d'ailleurs devenue un « démonstrateur du changement » pour l'Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Énergie (Ademe – cf.interview p. 68). Une dimension de mise en réseau particulièrement affirmée en Bretagne au travers du réseau Bretagne Rurale et rUrbaine pour un DÉveloppement Durable (Bruded), association qui fédère 150 communes et communautés de communes. Aménagement durable, élimination des pesticides, habitat social, bio dans les cantines, démocratie participative… Toutes les thématiques relatives aux transitions écologiques et sociales sont abordées aux travers de rencontres d'élus et de visites de communes. « Nous sommes un laboratoire d'expériences. Il s'agit d'essaimer les bonnes idées et de proposer une vision globale et transversale du changement. Et de faire ensemble », affirme Sarah Müller, co-présidente du réseau et conseillère municipale de Concoret (Morbihan– 735 habitants). Dès 2005, les membres de Bruded ont par exemple mis en place un cahier des charges d'éco-lotissement reconnu nationalement. Celui-ci a permis de bâtir des logements neufs durables dans plusieurs localités.

Le travail effectué par ces municipalités « en transition » peut donc franchir les strictes frontières communales. Mais leurs habitants, lorsqu'ils sont confrontés à des difficultés économiques et sociales, peuvent avoir du mal à faire le lien entre les actions menées localement et un projet politique global. Comme à Ungersheim (68) où le FN atteint les 56,55 % au second tour de la présidentielle alors que le maire, Jean-Claude Mensch, avait été réélu en 2014 avec 52 % des suffrages exprimés, après avoir profondément transformé le village lors de son précédent mandat (création de la plus grande centrale photovoltaïque d’Alsace, chaufferie bois, développement du bio…). « Les maires peuvent être très affectés par ces résultats au regard du travail accompli dans leur commune. C'est là la limite de la neutralité politique promue par Rob Hopkins, théoricien britannique du mouvement des villes en transition. Car ce recentrage sur le local peut être interprété comme un retour au village fantasmé d'antan, une image qu'affectionne la droite traditionnelle ou l'extrême droite. Alors que le mouvement initié dans ces communes est surtout une façon de lutter contre un capitalisme destructeur. Le développement des circuits courts est, par exemple, le moyen d'aider les paysans à mieux vivre de leur travail plutôt qu'une volonté de défendre une conception traditionaliste de la ruralité », analyse Mathieu Rivat, auteur du livre Ces maires qui changent tout. D'où la nécessité de rappeler que la transition s'inscrit dans un mouvement global visant à changer durablement le monde. 

À lire :
Ces maires qui changent tout, Le génie créatif des communes, Mathieu Rivat, Actes Sud, septembre 2017, 336 p., 21,80 euros

La transition écologique et solidaire à l'échelon local, avis du Conseil économique, social et environnemental, novembre 2017, à télécharger sur www.lecese.fr/travaux-publies/la-transition-ecologique-et-solidaire-lechelon-local

À voir :

Qu'est-ce qu'on attend ? Film documentaire de Marie-Monique Robin, novembre 2016, 119 min – Infos sur les projections : www.facebook.com/QUEQA/


La commune, aussi laboratoire de l'extrême droite

Béziers (34), Fréjus (83), Hénin-Beaumont (62).  Autant de villes passées entre les mains du Front national ou de ses alliés aux municipales de 2014. La suppression des repas de substitution par la mairie FN de Beaucaire (30), les affiches communales d'inspiration sexiste à Béziers ou encore la procédure d'expulsion du Secours populaire de ses locaux à Hayange (57) démontrent que l'échelle communale peut aussi être l'occasion d’expérimenter localement des politiques réactionnaires. Proximité avec les électeurs n'est pas nécessairement synonyme de progrès.


Le Briançonnais, terre d’accueil

Leur passage dans la vallée de la Roya est rendu plus difficile par les autorités. De nombreux migrants tentent désormais de rejoindre la France depuis l'Italie via le col de l’Échelle (1762 m d'altitude), dans les Hautes-Alpes. La communauté de communes du Briançonnais vient en aide à ces personnes qui arrivent souvent en état de détresse physique et psychologique dans les vallées françaises. « Les élus et des militants se mobilisent. La population adhère globalement à ce mouvement. Plus de 200 migrants sont logés par des particuliers », assure Pierre Leroy, le maire de Puy-Saint-André, municipalité membre de la « com com ». Cette dernière a notamment ouvert, en août 2017, une ancienne caserne de secouriste en montagne pour héberger provisoirement des personnes, dont des mineurs isolés. 


Grenoble : concilier transition et désendettement


À Grenoble, le maire écologiste Éric Piolle jongle entre promotion des actions de transition et volonté de maîtriser la dette de la ville. © Pixabay

« L'exemple de Grenoble est passionnant car on change d'échelle en matière de transition. L'espoir a été porté au niveau d'une grande ville », affirme Magali Talandier, chercheure en aménagement, spécialiste des dynamiques de développement du territoire à l'Institut grenoblois de géographie alpine. Difficile aujourd'hui de tirer un bilan de l'action du maire Éric Piolle et de son équipe, élus en 2014 avec les voix d'EELV, du Front de Gauche et d'organisations citoyennes. « Budget participatif, compost dans chaque parc, développement de jardins partagés, promotion des déplacements doux en centre-ville... Plein de petites choses qui, bout à bout, doivent amener le changement, ont été mises en place. Mais, pour que cela fonctionne à long terme, il faut aussi que les citoyens s'emparent des sujets », souligne Magali Talandier. Éric Piolle est logiquement critiqué sur sa droite (trop de dépenses, « exclusion » de la voiture du centre-ville). Mais aussi sur sa gauche. En effet, confrontée à une dette importante (277 619 000 euros en 2015), la ville a annoncé en 2017 la fermeture de trois bibliothèques municipales. Ce qui a provoqué la création immédiate de collectifs de lutte qui ont perturbé, à plusieurs reprises, la tenue des conseils municipaux. 


INTERVIEW

Jean-François Caron : « Le changement est une question de volonté politique » 

Le mot « transition » semble avoir été inventé pour Loos-en-Gohelle (62). Cette ex-commune minière de 6 500 habitants est devenue une référence pour la mise en œuvre d'actions de développement durable à un niveau local. Elle est désormais considérée comme un « démonstrateur de la conduite du changement vers une ville durable » par l'Agence de l'Environnement et de la Maîtrise de l’Énergie (Ademe). Entretien avec son maire, le très dynamique Jean-François Caron (EELV). 


DR

Loos-en-Gohelle est passée en 20 ans du statut d'ex-commune minière à fer de lance du développement durable. L'objectif était de passer du noir au vert ?

L'objectif était de passer d'un modèle de développement prédateur qui a pressuré le territoire, à un modèle durable. Ce qui pose problème dans nos sociétés, ce n'est pas tant les questions environnementales que la façon dont les pouvoirs économiques malmènent les ressources humaines et naturelles. La mine a pressé le territoire comme un citron. La transition de mon territoire intègre nécessairement les questions environnementales, notamment un certain retour de la nature. Mais aussi une évolution du modèle économique et du mode de gouvernance locale qui vise à redonner de l'autonomie et de la souveraineté aux personnes.

Existe-t-il une méthode loosoise de conduite du changement ? 

Bien sûr ! Nous raisonnons en prenant en compte une trajectoire. J'ai porté la candidature du Bassin minier pour qu'il soit classé au titre du patrimoine mondial par l'Unesco, car notre mémoire collective est centrale. Il s'agit de se projeter dans l'avenir à partir de nos valeurs communes, la solidarité notamment. 

Nous travaillons ensuite avec un « code source » constitué de quatre piliers. Le premier concerne l'implication des acteurs dans le changement, dans la coproduction de l'action publique. Le second est centré sur la définition d’une vision transversale : montrer que les sujets sont interdépendants et appréhender les choses dans leur globalité, prouver que des actions environnementales créent de l’emploi dans un territoire marqué par le chômage (environ 14 % -NDLR). Le troisième axe s'attache à recréer du rêve en politique. C'est ce que j'appelle la conduite du changement par « l'étoile et les cailloux blancs ». L'étoile, c'est devenir une ville durable. Et les cailloux blancs, ce sont les preuves de la transition (par exemple, installer une toiture photovoltaïque sur l'église). Enfin, le dernier élément important, est le développement des compétences collectives d'innovation. Ici, nous avons vécu un changement d'ère avant les autres. Pour ne pas reproduire le système d'hier, nous sommes obligés d'inventer. 

Depuis que vous êtes maire, quelle est l'action emblématique dont vous êtes le plus satisfait ? 


Il y a bien sûr le classement du bassin à l'Unesco, en 2012. Mais sinon, je dirais l'éco-construction. Depuis vingt ans, nous sommes à la pointe dans ce domaine. 10 % de notre parc de logements a été réalisé selon ces principes. Pour nous, il s'agit aussi de lutter contre la précarité énergétique. Des gens ne payent plus que 150 euros de chauffage par an. C'est une façon de lutter contre le réchauffement climatique, mais cela créé également de l'emploi. 

Ce n'est pas qu'une question d'investissements financiers pour la commune. Nous pouvons agir aussi via les documents réglementaires tels que le Plan d'Aménagement et de Développement Durable (PADD – document central du Plan Local d'Urbanisme – NDLR). Nous pouvons décider de travailler avec des bailleurs en fonction de niveaux d'ambitions environnementales… Le changement est une question de volonté politique.

Néanmoins, les communes sont confrontées à des baisses de dotations de la part de l’État…

Mais de nombreuses actions possibles dépendent plus largement de décisions prises par la ville. Nous avons créé une trame verte par l’intermédiaire d'une gestion rigoureuse des espaces verts et fonciers. Ensuite cela ne coûte pas cher de faire des chemins. Concernant la question agricole, nous avons travaillé sur la rédaction des marchés publics pour que les agriculteurs locaux puissent y répondre… Certaines actions ne coûtent pas cher : comme l'aménagement de 50 hectares de pelouse gérés de façon quasi-naturelle, sans pesticides et avec des fleurs pour les abeilles. Si l'on récupère les eaux de pluie pour arroser les jardins et les terrains de foot (ce que nous faisons) c'est moins cher que d'utiliser de l'eau potable. Le développement durable n'est pas un luxe.

Les votes Front National aux élections nationales sont importants dans votre commune. Les habitants ont-ils du mal à faire le lien entre le local et le global ?

Oui et non. Je dis souvent à mes copains écolos que le score du FN est très mauvais à Loos, avec 57 % au second tour des présidentielles. Ils disent que c'est horrible. Je leur dis que, à côté de deux communes proches et de mêmes tailles, comme Grenay (71,5 % pour le FN au second tour de la présidentielle) et Mazingarbe (69,5 % pour le FN), les résultats à Loos sont encourageants. C'est l'un des effets lisibles de la politique que nous menons. Mais, évidemment, on ne règle pas tout au niveau local, particulièrement dans un territoire comme le nôtre où le chômage reste très élevé. C'est pour cela que la question du changement d'échelle est importante : l'Ademe a fait de nous un démonstrateur national. Il s'agit de comprendre nos méthodes. Puis de voir si elles sont transposables ou non dans d'autres territoires.  

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