JACQUES TESTART, « PMA, GPA et transhumanisme vont servir le libéralisme »

Publié le jeu 15/11/2018 - 00:00

Par François Delotte.

Il est le « père » du premier bébé-éprouvette conçu en France, en 1982. Aujourd’hui, il est l’une des rares personnalités classées à gauche qui critiquent la procréation médicalement assistée (PMA)1 pour tous, ainsi que la gestation pour autrui (GPA)2. Pour lui, bien des techniques comprennent des risques liés à l’eugénisme. C’est aussi le cas du transhumanisme3, auquel il adresse une charge féroce dans son dernier ouvrage, Au péril de l’humain, les promesses suicidaires des transhumanistes, (Seuil).

Le biologiste Jacques Testart voit dans la PMA et la GPA le risque de soumettre un peu plus la science à une logique de marché. Un risque de libéralisation de la science qu’il identifie également dans le transhumanisme, auquel il consacre son dernier ouvrage.

Le Conseil d’État a récemment indiqué que l’accession à la PMA en France n’était pas discriminatoire quant aux couples homosexuels. Qu’en pensez-vous ? 
S’il y a discrimination, elle n’est pas entre hommes et femmes ni entre lesbiennes et femmes hétérosexuelles. Elle se situe plutôt entre femmes stériles et femmes non stériles. Certaines personnes ont besoin d’une assistance médicale pour procréer. D’autres ne présentent pas de pathologie qui justifierait cette assistance. C’est un abus de dire que l’on discrimine parce que les personnes sont homosexuelles. Si, dans un couple de femmes, les deux sont incapables d’avoir un enfant naturellement, alors on devrait pouvoir recourir à la PMA.
Depuis la nuit des temps, les homosexuel (le) s ou les personnes seules se débrouillent pour faire des enfants sans faire appel à la médecine. On n’a pas besoin d’elle pour réaliser une insémination avec donneur (IAD). Le plus compliqué reste de trouver un donneur !
Au travers de l’IAD, le progrès technique porte sur la congélation du sperme et l’insémination dans l’utérus et non pas dans le vagin. Il ne faut recourir à cela que si le sperme est « mauvais ». Mais s’il est « bon », on peut l’inséminer dans le vagin. Et, pour cela, on n’a pas besoin de faire appel à la médecine.

La GPA est aussi problématique pour vous. Pour quelles raisons ?

Parce qu’elle consiste à réduire une femme en esclavage durant neuf mois. Par ailleurs, on ne verra jamais une femme de Neuilly-sur-Seine porter un enfant du 93. Il y a toujours de l’argent qui circule. Des gens dans le besoin vont accepter cette tâche. C’est contraire aux droits de la femme et de l’homme.

Pourquoi parlez-vous d’esclavage ? Le terme est-il vraiment adapté ?

Parce que c’est un travail rémunéré, forcément sans son coût humain, et que la personne est mobilisée 24 h/24 h. En Inde, il existe un établissement qui accueille 200 femmes porteuses, surveillées et contrôlées en permanence. Elles sont réduites en esclavage.

Mais, dans un pays comme les États-Unis, des femmes semblent porter des enfants de façon désintéressée...
On montre toujours la même femme à la télévision qui a porté une enfant pour un couple d’hommes français. En réalité, il faut dire qu’il y a deux femmes dans le circuit. Il y a une première qui donne les ovules et une seconde qui porte l’enfant. Ce qui, juridiquement, évite que la porteuse soit la mère de l’enfant. Le processus n’est donc pas si aisé à mettre en place aux États-Unis. Il serait plus simple de recourir à des inséminations naturelles ou artificielles, grâce à des femmes de l’entourage de couples stériles qui acceptent de porter des enfants. C’est mieux ainsi. Si l’État est responsable de tout, si l’enfant est mal-formé, les techniciens se retrouveront en procès. Il y a aujourd’hui une forme de renoncement à trouver une solution conviviale, à trouver une femme dans son entourage. Ce qui n’est évidemment pas facile. Mais si cela n’est pas possible, en un sens, c’est que cela n’est pas approuvé par la population.

Mais est-ce que cela n’est pas juste pour les homosexuels qui ont un désir d’enfant ?
Le désir d’enfant n’est pas le summum de la vie des individus. C’est un argument que l’on utilise beaucoup aujourd’hui pour justifier de l’usage de technologies. Le désir d’enfant, c’est aussi le désir de répondre à une norme. Il ne justifie pas que l’on réduise une femme en esclavage pendant neuf mois. 

Bénéficier d’une GPA encadrée par la loi, dans un pays comme la France, ne permettrait-il pas d’éviter que se développent de telles dérives dans d’autres pays ?
Cela ne peut pas se faire dans de bonnes conditions. Porter un enfant, ce n’est pas comme faire des ménages. C’est un acte singulier, qui met en jeu le psychisme de la personne. Je ne suis donc pas pour encadrer la GPA, mais pour l’interdire.

Vous parlez d’eugénisme mou à propos de la PMA et la GPA. Pourquoi ?
Je parlais déjà d’eugénisme à propos de l’assistance à la procréation, en général. Les banques de sperme sont obligées de faire des sélections, selon des critères qui ne sont pas clairs. Cela les rend responsables de l’enfant à venir.
Pour l’heure, dans les couples hétérosexuels, le donneur doit ressembler au futur père. Mais les banques de sperme peuvent très bien utiliser des tests génétiques pour éviter la transmission de « maladies ». L’agence de biomédecine française devrait faire un état des lieux, pour savoir sur quelles bases les banques recrutent leurs donneurs. Ces structures ont d’importants pouvoirs. Il convient de les encadrer.
Il y a aussi la question de l’appariement avec la receveuse du sperme. On choisit le donneur pour sa ressemblance avec le père stérile. Mais aussi en fonction de risques de maladies graves. Par exemple, si une femme a dans sa famille des cas de diabète, on ne va pas choisir un donneur qui présente les mêmes risques dans sa famille. Les banques de sperme veulent apporter aux couples des garanties qui n’existent pas dans la nature. De fait, cela pose le problème de l’eugénisme. Cette philosophie de la fin du XIXe siècle a pour but d’améliorer les qualités humaines, aujourd’hui par la sélection, parce que la médecine soigne des personnes « déficientes » et leur permet de se reproduire.

Mais quelle réponse apporte-t-on à des personnes de même sexe qui veulent avoir un enfant ?

Je me bats pour que les critères de sélection liés au don de sperme soient définis dans la transparence. Il me paraît difficile d’élargir cette pratique aux couples homosexuels, alors que ces critères ne sont pas définis pour les couples hétérosexuels. Je suis contre la PMA pour toutes, tant que l’on n’aura pas établi des règles plus précises. 


Êtes-vous conscient que vos positions peuvent être récupérées par des catholiques intégristes et une partie de l’extrême droite homophobe ? 
Je suis conscient de cela et demeure très vigilant. J’ai des sollicitations venant de la Manif pour tous, notamment. Je les envoie promener. Je ne suis pas contre le mariage pour tous. Je ne suis pas contre le fait que des homosexuels aient un enfant. Rien ne prouve qu’ils seraient de plus mauvais parents que des hétérosexuels. Ce que je conteste, c’est l’intervention médicale quand elle n’est pas indispensable.

Vous êtes un homme de gauche. Comment expliquez-vous votre position minoritaire sur ce sujet sociétal qui fait débat ?
En effet, et je ne le vis pas très bien. L’idéologie du progrès y fait pour beaucoup. On imagine à gauche que le progrès technique doit forcément correspondre à un progrès social. Il existe aussi un conformisme de gauche qui estime que tout ce qui heurte les catholiques intégristes est bon.
Je crois qu’être de gauche, ça peut aussi passer par être contre la PMA pour toutes et la GPA, car ces techniques vont nuire à l’autonomie des personnes et servir le libéralisme économique. Une demande de plus en plus forte permettra le développement du marché de la procréation assistée. Et ce, alors que les critères de sélection du donneur ne sont pas encore encadrés.

Votre dernier ouvrage est une critique du transhumanisme. Comment avez-vous fait pour arriver de la PMA à ce sujet ?
Essentiellement par l’intermédiaire des progrès de la génétique, qui est une science dont je me sens plus proche que celle relative à l’intelligence artificielle. Les techniques nouvelles m’inquiètent beaucoup. Même si, pour l’heure, ce sont plutôt des techniques d’investigation que d’intervention. Par exemple, on va bientôt réaliser le bilan génétique des personnes, plutôt que modifier les génomes. Mais proposer ce « diagnostic préconceptionnel » pour tous, comme le demande le comité consultatif national éthique (CCNE), c’est une intervention eugénique dans le choix du partenaire, ainsi que savoir quels types de maladies on risque de développer dans le futur. Cette information risque d’être traumatisante, dans la mesure où la plupart des pathologies génétiques sont incurables.
Ce changement pourrait aussi avoir un impact sur la procréation. De plus en plus, les couples vont devoir répondre à des critères pour éviter que leur enfant naisse avec un handicap. On rentre ainsi dans l’eugénisme, qui est la part biologique du transhumanisme.
La sélection peut aller loin : on sait que des laboratoires chinois cherchent à sélectionner les embryons sur l’intelligence des personnes à naître, via la fécondation in vitro. Les États-Unis y travaillent aussi. La conquête du monde néo-libéral passe par l’intelligence. C’est certainement un leurre, car le gène de l’intelligence n’existe pas. Mais l’on voit à travers ces démarches qu’il existe une volonté généralisée de dépasser les qualités moyennes de la population dans un but de compétition.

Plus d’infos:

jacques.testart.free.fr


À lire : avec Agnès Rousseaux, Au péril de l’humain, les promesses suicidaires des transhumanistes, Éd. du Seuil, 2018, 21,00 € TTC, 272 pages

1Ensemble de techniques médicales qui permettent la rencontre

d’un ovule et d’un spermatozoïde. La PMA a essentiellement recourt à deux méthodes : l’insémination artificielle et la fécondation in vitro.

2 Méthode de procréation assistée faisant intervenir une mère porteuse. Cette dernière va accueillir un embryon fécondé au préalable pour donner naissance à un enfant.

3Le transhumanisme propose d’améliorer nos conditions d’existence par le progrès scientifique et technique. Pour Jacques Testart c’est « une idéologie infantile, parce qu’elle correspond à tous les rêves de gamins : être le plus fort, celui qui court le plus vite... »

2 Méthode de procréation assistée faisant intervenir une mère porteuse. Cette dernière va accueillir un embryon fécondé au préalable pour donner naissance à un enfant.

3Le transhumanisme propose d’améliorer nos conditions d’existence par le progrès scientifique et technique. Pour Jacques Testart c’est « une idéologie infantile, parce qu’elle correspond à tous les rêves de gamins : être le plus fort, celui qui court le plus vite...

 

1Dans une décision rendue publique le 3 octobre dernier, le Conseil d’État a indiqué à propos du refus d’accorder une procréation médicalement assistée (PMA) aux couples lesbiens que « le principe d’égalité ne s’oppose pas à ce que lelégislateur règle de façon différente des situations différentes ».

 

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