[ENQUÊTE] - EGALITE FEMME-HOMME DANS LE SPORT : ENCORE LOIN DU BUT ?

Publié le jeu 30/08/2018 - 14:34

Par Virginie Guéné - Dossier réalisé en partenariat avec le think tank européen Sport et Citoyenneté

La société civile comme les instances de l'État multiplient les programmes de promotion du sport féminin depuis des années. Mais malgré les excellents résultats des athlètes françaises, notamment dans les sports collectifs, le monde du sport reste dominé et dirigé par les hommes. Dans les grandes compétitions, comme dans la pratique de loisir. Comment faire bouger les lignes et ainsi encourager les sportives accomplies ou néophytes à se bouger ? 

La lutte contre la sédentarité est une question de santé publique. Or, selon une étude publiée en 2017 par Santé Publique France, seuls 53 % des femmes et 70 % des hommes atteignaient en 2016 les niveaux d'activité physique recommandés par l'OMS. « Si le nombre et la part de licences féminines augmentent dans les fédérations et les clubs, les enquêtes nationales démontrent néanmoins que le niveau d’activité physique global de la population diminue, avec une tendance plus marquée pour les femmes », constate Sylvain Landa, directeur adjoint du think tank Sport et Citoyenneté.

Plus de promotion pour plus de pratique

La promotion du sport féminin ne date pas d'hier. L'association Fémix Sports, qui œuvre pour la mixité et l'équité dans le sport, a par exemple été créée en 2000, à la suite des premières Assises nationales du sport féminin initiées par Marie-George Buffet, alors ministre des Sports. Depuis 18 ans, « on a énormément avancé. Les différents ministres qui se sont succédé ont voulu mettre en avant le sport féminin. Il y a donc eu une accélération des actions mises en place, une volonté de médiatisation, notamment par les 24h du sport féminin, aujourd'hui devenus les 4 saisons du sport féminin », explique Patrick Chevallier, co-président Occitanie de l'association. Pourtant, en 2015, 45 % des femmes seulement déclaraient avoir pratiqué une activité sportive ou sportive au cours des douze derniers mois (source : étude Insee 2017). Et depuis 2013, les fédérations sportives sont contraintes de mettre en place des plans de féminisation. Ces derniers visent à développer la pratique, féminiser les instances dirigeantes, l’encadrement technique, l’arbitrage et à accroître la réussite des sportives dans le haut niveau.

Toutes les structures de l'État (ministère, agences et collectivités territoriales) sont mobilisées pour inciter les femmes à pratiquer une activité physique. L'actuelle ministre des Sports, l'ancienne escrimeuse Laura Flessel, a mis en place la Conférence permanente du sport féminin en 2017. Cette dernière doit « faire des recommandations chaque année pour une évolution tant au niveau des pratiques des Françaises qu'au niveau de la professionnalisation du sport féminin ou de sa médiatisation. »

L'effet levier de la médiatisation

Beaucoup d'espoirs reposent aussi sur la médiatisation. En 2016, le sport féminin ne représentait que 16 à 20 %, des retransmissions sportives à la télévision (rapport du CSA sur la diffusion de la pratique féminine sportive à la télévision). Cette part n'était que de 7 % en 2012 et de 14 % en 2014. Une nette augmentation donc, mais le chemin semble encore long pour atteindre les 50 %. Les préjugés et clichés sont tenaces. Lors du colloque « Femmes et Sport : à quand l’égalité ? » qui s’est tenu le 18 décembre 2017 à l’Université Paris Diderot, à l’initiative du Think tank Sport et Citoyenneté, Sandy Montañola, Maître de conférences en Sciences de l’information et de la communication à l'Université de Rennes, expliquait : « Dans mes travaux, je démontre une inégalité de traitement dans la presse sportive, entre le sport masculin et le sport féminin. » Et d'ajouter : « Si pour le sport masculin, les angles choisis portent davantage sur la compétition et les performances ; pour le sport féminin, d’autres aspects (la vie privée, les à-côtés) sont mis en avant. (…) Cela démontre une considération différente et hiérarchisée du sport féminin et masculin. »

Alexandre Miguel Mestre, avocat et ancien secrétaire d’État portugais à la Jeunesse et aux Sports, a quant à lui conclu cette journée d'échanges en rappelant qu’: « en termes de médiatisation, les efforts sont nombreux, notamment en France, mais le langage utilisé n’est toujours pas inclusif. Nous continuons de parler de sport « féminin » alors que l’on devrait parler de sport tout simplement. »

Athlètes françaises : des podiums aux écrans

Depuis quelques années, les athlètes françaises ont su se distinguer. Les bons résultats des équipes nationales féminines de football, handball ou basket notamment, ont permis une réelle hausse de la médiatisation des sportives (lire l'interview de la footballeuse Camille Abily p. XX). Une des meilleures audiences de la chaîne W9 a ainsi été réalisée en 2015 lors de la diffusion du quart de finale de la Coupe du monde de football féminine de 2015 entre la France et l'Allemagne, avec 3,3 millions de téléspectateurs en moyenne, et un pic à 5,3 millions. Un chiffre fort respectable mais bien loin des 12,6 millions de spectateurs qu'a attiré le premier match des Bleus contre l'Australie lors de la Coupe du monde du mois de juin.

Le mérite des femmes n'est plus à prouver dans les grandes compétitions. Au rugby, alors que le XV de France masculin est à la peine depuis plusieurs années, l'équipe féminine a remporté de Tournoi des Six nations en 2016 et 2018. Quant au handball, les femmes de l'équipe de France ont été médaillées d'argent aux Jeux de Rio en 2016. Les victoires amènent la médiatisation, qui apporte des sponsors, qui facilitent le travail des sportives… Ce que Camille Abily appelle un « cercle vertueux » !

La fédération d'escrime est la seule à avoir à se tête une femme © Pixabay

Loin des instances dirigeantes

Mais comme en entreprise, les résultats ne suffisent pas et les femmes se heurtent encore au regrettable « plafond de verre » (l’impossibilité pour elles d’atteindre les plus hautes sphères dirigeantes). Pour preuve un chiffre éloquent : UNE femme. Une seule femme est présidente d'une des 38 fédérations olympiques et paralympiques françaises. Il s'agit d'Isabelle Lamour, à la Fédération française d'escrime. « Même dans une fédération comme la gym, où il y a une grande majorité de femmes pratiquantes, le comité directeur est majoritairement masculin », regrette Patrick Chevallier de Fémix Sport. Les plans de féminisation, qui ont aussi pour but de promouvoir les femmes à des postes de responsabilité, ont encore de long jour devant eux !

Plus d'infos :

www.sportetcitoyennete.com

www.femixsports.fr


Augmentation des licences sportives

On dénombre aujourd'hui presque 6 millions de licenciées contre 5 millions en 2007. Entre 2007 et 2015, le nombre de licenciées a ainsi augmenté de 20,4% contre une croissance de seulement 10% pour le nombre de licences masculines. (Source : Panorama du sport féminin 2017 réalisé par le Centre de Droit et d’Économie du sport pour la Française des Jeux).


Inégalité des plans de féminisation

Depuis 2013, les fédérations sportives sont dans l'obligation de présenter un plan de féminisation. Selon les derniers chiffres datant de 2016, 86 fédérations sur 115 avaient rendu un plan de féminisation (74,8 %), dont 93,6 % des fédérations olympiques, 56,9 % des fédérations unisport non olympiques et 91,7 % des fédérations multisports, selon Le Panorama sur les Plans de féminisation des fédérations sportives 2016 publié par le ministère de la Ville, de la Jeunesse et des Sports. Le rapport concluait également « Quand certaines fédérations sportives ont déjà développé une approche intégrée de l’égalité entre les femmes et les hommes dans leur fonctionnement et leur processus de décision, d’autres consacrent leur plan de féminisation à quelques actions ciblées et peu nombreuses. ».


Serena Williams veut changer les règles pour les joueuses de retour de congé maternité

DR

De retour de grossesse, la tennis woman américaine et ex-N°1 mondiale s'est vue refuser le statut de tête de série par les organisateurs de Rolland Garros. Ce qui a mis un coup de projecteur sur la carrière des joueuses après un congé maternité. Serena Williams, qui a été rétrogradée à la 183e place du classement mondial, milite pour que les femmes enceintes puissent sortir du classement le temps de leur grossesse. Notons que les organisateurs de Wimbledon n'ont pas réagi de la même manière que les Français : il a choisi de désigner la sportive de 36 ans « tête de série n°25 ».


Côté salaires

L'Équipe a publié en février samedi le classement des 50 sportifs français les mieux payés. Résultat : pas une femme dans le tableau !

La joueuse Camille Abily estime le salaire moyen en France pour une footballeuse autour de 2 à 3000 euros. « Pour les hommes en ligue 1, c'est à peu près 45000 euros je crois », nous a-t-elle précisé, sans parler des hauts salaires. Une différence qu'explique le journal L'Équipe notamment par les droits de retransmission télévisée : 748,5 millions d’euros par an pour les hommes contre un peu plus d’un million d’euros pour la première division féminine. Il n'y a pas photo !

 


REPORTAGE   -   Elles regardent vers le large

Crédit : CCammarata

Par Céline Cammarata

En 2018, la voile, surtout en compétition, reste un lieu de conquête pour les femmes. Passionnée par la navigation, Marine Gatineau a décidé de prendre la barre et de la donner à d’autres femmes. En mai, nous avons embarqué sur son Black Belt pour les 24 heures de l’étang de Thau. Objectif : participer à l’évolution du regard portée sur les femmes dans ce sport.

Encore aujourd’hui, les palmarès de Florence Arthaud, Ellen MacArthur, Isabelle Autissier et tant d’autres ne suffisent pas à faire de la femme un navigateur comme un autre. Lassées d’être déconsidérées ou trop mal à l’aise, certaines résolvent le problème en naviguant entre elles. Marine Gatineau a passé tous ses permis au lycée de la mer de Sète et créé sa propre association. Son équipage « Des voiles & femmes » vise à démocratiser la pratique de la voile et à donner aux femmes accès à la compétition.

À notre arrivée à la capitainerie de Mèze, la bonne humeur domine. La société nautique du Bassin de Thau (SNBT) accueille ses concurrent.e.s avec du vin blanc et des huîtres. Deux autres équipages féminins sont présents, un de Sète et les locales de l’étape. La SNBT se réjouit de leur présence. Cela se ressent, mais même quand la bonne volonté domine, les stéréotypes resurgissent. Les 4 Sétoises qui concourent entre copines témoignent : « Aujourd’hui, pendant le chargement du bateau, des concurrents nous ont demandé si on avait pris notre micro-ondes, que cela allait être dur pour nous… »

Stéréotypes insidieux

Le briefing avant le départ de la course n’est pas pour les contredire. Au micro, les organisateurs se félicitent de la présence de trois équipages féminins – ur les 44 – au départ-avant de déclarer : « Et d’ailleurs, Mesdames, si cette nuit vous avez un souci, n’hésitez pas à prévenir les organisateurs. Messieurs, si ces dames sont en détresse, nous comptons sur vous ! » En face de moi, Guillemette Reviron, l’une des Sétoises, me sourit : CQFD. Ce sont forcément les hommes qui voleront au secours des femmes…

Quand je leur demande pourquoi elles naviguent entre femmes, elles expliquent qu’avec les hommes, même si elles accèdent aux équipages, elles se cantonnent au poste d’équipière. Diane Moreau, capitaine de l’équipage féminin de Mèze, bretonne et monitrice de voile, est intarissable sur le sujet : « J’ai toujours baigné dans la voile. J'ai eu mon premier bateau, un 420, à 11 ans. Je suis monitrice de voile et aujourd’hui encore, quand les hommes me laissent la barre sur leur voilier, je suis observée. Je fais naviguer des femmes sur mon bateau. On chante sur l’eau ; on s’éclate ensemble alors nous régatons depuis quelques années.»

La non mixité, une façon de progresser pour certaines

Entre femmes, les barrières tombent. Chacune peut découvrir les différents postes à bord. En présence des hommes, certaines reconnaissent qu’elles s’autocensurent, comme Guillemette Reviron. « Dès qu’il y a un homme à bord, il devient mon référent et la place d’équipière me semble la mienne. Je n’ai pas cette attitude avec des femmes. » Elisa Royer, capitaine de la drague du port de Sète, et skippeuse de l'équipage des sétoises a souhaité initier une équipe féminine dès son arrivée dans la région : « La course est une bonne école. Nous aimerions créer une régate féminine en Méditerranée, sur le modèle de la Women’s Cup. »

Toutes se projettent dans des actions. L’équipage féminin « des Femmes et des voiles » a décroché un sponsor. Pour chaque régate, elles perçoivent un forfait. Elles le reversent entièrement à la fédération Gams qui lutte contre les violences faites aux femmes. Marine Gatineau ne cesse de recruter des novices pour les initier. Les skippers d’autres bateaux la soutiennent dans sa démarche. Ainsi, Christophe Abric et Guillaume Rolland, en accueillent dans leur équipage pour les aguerrir. Le premier a toujours navigué avec des femmes et recherche souvent des équipier.e.s sans distinction. Le deuxième, capitaine du voilier « Les copains d’abord », souhaite favoriser la navigation des femmes.

À bord

Après le briefing, retour à bord pour préparer le départ. Marine commence par réunir ses 4 équipières – Amélie, Christelle, Laurie et Patricia – sur le pont. Elle les encourage et assigne des tâches précises à chacune. Dernières vérifications de sécurité et le Black Belt quitte le port vers la ligne de départ. Amélie, navigatrice expérimentée, guide Marine pour la manœuvre car les bateaux évoluent coque à coque. Le passage de la première bouée se solde par une collision. Un voilier nous coupe la route volontairement, ne respectant pas la priorité du règlement de course. Sans une parole pour l’équipière qui a reçu l’ancre de leur bateau en pleine jambe, l’équipage concurrent termine sa manœuvre pour dépasser le Black Belt. Très bien placées avant la collision, les filles se trouvent distancées. Elles sont furieuses face à une telle attitude. La skippeuse craint que son équipière ne minimise sa blessure. Mais Christelle, écorchée et avec un gros hématome sur la jambe, compte bien continuer la course. La capitaine porte réclamation auprès des organisateurs pour signaler le comportement dangereux de ces concurrents. Il faut également s’assurer que le bateau abîmé ne risque aucune voie d’eau. L’équipage repart de plus belle. Les manœuvres s’enchainent jusqu’à une baisse de vent telle que tout semble au ralenti. Les filles en profitent pour faire une collation et se reposer à tour de rôle afin d'être au mieux de leur forme pour la nuit. Une fois le soleil couché, le vent se lève et toutes retournent à la manœuvre. Durant toute la nuit, elles profitent du moindre souffle pour remonter leur retard et se repositionner vers la tête. Mais au lever du jour, la nouvelle tombe : la course est annulée suite au décès d’un sauveteur (cf encadré). Triste retour pour tous les équipages. Malgré tout, Marine Gatineau tiendra son programme d’entraînement. La skippeuse regarde vers le large et cherche des sponsors pour s’engager en solitaire dans la Route du Rhum…

Plus d'infos :

www.desvoilesetdesfemmes.com
www.lesferusdevoileetmoteur.fr/blog
www.ffvoile.fr/ffv/web/services/voile_feminine.asp

Des femmes en mer pour défendre les droits des femmes sur terre

Capitaine de l’équipage « Femmes et voile », présidente de l’association « Des férus de voile et de moteur», Marine Gatineau, chargée de ressources humaines SNCF dans le civil, se dépense sans compter par passion : « J’ai créé l’association en 2015. Beaucoup de femmes ont adhéré dès le départ. L’envie de monter une équipe féminine ne date pas d’hier. L’idée d’un équipage de femmes, libres de vivre leur passion, naviguant pour donner de la visibilité aux femmes qui souffrent, m’est venue lorsque j’étais enceinte, quand j’ai découvert la fédération Gams qui lutte contre les violences faites aux femmes et plus précisément contre l’excision et les mariages forcés. » Les adhérentes de sa première association l’ont suivie et d’autres ne cessent de la rejoindre. Des confirmées parfois, mais beaucoup de débutantes. Peu importe, Marine donne sa chance à chacune. Elle ne dévie pas de son objectif : permettre à toutes les femmes d'accéder à la compétition.

24 heures de Thau, une 54ème édition endeuillée

Durant la nuit du 19 au 20 mai, une vedette de l’organisation est allée porter secours à un concurrent ensablé. Elle a percuté une table d’élevage d’huîtres, provoquant la mort d’un membre de l’équipage. « Du jamais vu depuis 54 ans. Nous sommes atterrés par la mort de l’un des nôtres ! », se désole Gervais Meneroux, président de la SNBT

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