[DOSSIER] - UN ÉTÉ EN MODE "SLOW"

Publié le ven 20/07/2018 - 12:25

Par Célia Pousset

Avec l’été, viennent les envies d’ailleurs. À peine sorti du rythme soutenu du travail, c’est presque une « course » au dépaysement que l’on entreprend lorsquarrivent les vacances. Aller loin, le plus vite possible. Pourtant, il existe aussi d’autres manières de s’évader, en soi. Que ce soit dans l’introspection, l’imaginaire ou le mouvement, d’autres mondes sont à portée de main. Rencontre avec ceux qui empruntent des chemins de traverse.

- MEDITER - 

À la plage, dans la nature ou chez soi, il n’y pas de mauvais endroit pour méditer © Pixaba

 

Lâcher prise, méditation pleine conscience… Rencontre avec des experts pour mieux comprendre ce que ces mots recouvrent.

 

La méditation comme art de vivre

Pleine conscience, éveil des chakras, sagesse… Autant de mots associés à la méditation. Mais du scepticisme à l’illusion d’un bouleversement miraculeux, la pratique reste assez méconnue. Joëlle Maurel et Candice Marro, enseignantes et auteures de livres sur la méditation, racontent ce long et surprenant cheminement vers soi. Et si lété était le moment pour sy mettre ?

« Depuis que nous sommes petits, on nous demande de « faire ». Faire ses lacets, ses devoirs, sa toilette… Mais jamais on nous dit de ne rien faire », constate Joëlle Maurel. Docteure en sciences de l’éducation, cette psychothérapeute de 66 ans enseigne la méditation depuis 25 ans pour que, le temps de quelques respirations, les gens s’arrêtent. « Il faut oser prendre une pause et s’accorder un moment de paix », poursuit-elle en choisissant soigneusement ses mots. Un des buts premiers de la méditation est l’état de détente qu’elle procure : « Plongés dans cette société d’accumulation et de mouvement, respirer en conscience est un plaisir et un besoin. » Simplement. La recette ? Ne pas trop se fier aux promesses d’épanouissement quasi-miraculeuses qui remplissent les guides pratiques. Et se laisser aller.

« Il ne faut rien en attendre de particulier et s’attendre à tout », conseille malicieusement Joëlle Maurel. Candice Marro, initiatrice du programme Peace (Pratique de la présence, l’écoute, l’attention et la concentration dans l’enseignement), confirme : « Si l’on débute avec un esprit ouvert, curieux, on peut rapidement expérimenter un apaisement nerveux ».

Le lâcher-prise contre la maîtrise

À rebours de la volonté, méditer c’est apprendre à « aller avec le courant de la vie ». Pour Joëlle Maurel, concrètement, cela signifie accepter ce que l’on a et ce que l’on n’a pas. Candice Marro s’attache à déconstruire les idées reçues : « la méditation n’est aucunement un gage de sérénité et de calme à toute épreuve, mais elle nous amène à mieux surfer sur les vagues de l’existence, sur les moments de bonheur comme sur ceux plus tristes. » Lors d’une séance, notre conscience devient une sorte de témoin extérieur qui observe les émotions et pensées qui nous traversent. Sans jugement. Pas si simple, car le mental entre souvent en résistance. « Nous privilégions trop le développement de l’intellect au détriment de l’intelligence du corps et cela amène à de nombreux déséquilibres et à une effervescence mentale qui s’auto-entretient », analyse Candice Marro. De son côté, Joëlle Maurel considère que la difficulté vient du ruminement de « l’égo » : « Dès notre naissance, nous sommes conditionnés socialement et psychologiquement. Notre personnalité, le « je », se construit et nous oublions qui nous sommes vraiment. La méditation est là pour déconstruire cet ego et nous conduire vers notre être essentiel. »

Un vecteur de connaissance de soi

La modulation du stress et des émotions ou, dit autrement, la relaxation, n’est qu’une première étape sur le chemin de la méditation. Une pratique qui peut mener à une nouvelle vision de la vie et de soi. « La pleine conscience est en fait une expérience assez radicale : elle nous libère du poids des croyances et des acquis, du jugement sur soi dautrui », assure Candice Marro. Fermer les yeux et se tenir immobile invite à considérer nos angoisses, nos obsessions ou nos contradictions. Selon Joëlle Maurel, ce n’est pas une voie facile : « Méditer exige du courage et de la persévérance pour se confronter à des choses intérieures auxquelles nous nous efforçons de ne pas penser. » Partir à la rencontre de soi peut donc être déstabilisant, voire douloureux, mais du voyage, nous rapportons aussi des ressources internes insoupçonnées. De nouvelles valeurs et priorités. C’est notre capacité à faire des choix qui s’en trouve changée. « La société a cruellement besoin d’êtres humains qui se sentent interdépendants, conscients que l’on peut mener une vie professionnelle qui a du sens tout en contribuant aux grands défis environnementaux posés actuellement », conclut Candice Marro. La méditation ne rime pas avec résignation mais avec action !

Plus d’infos : www.meditation-enseignement.com

À lire :

Pleine conscience, mon expérience de 10 jours de méditation silencieuse, J. Maurel, Éditions Trédaniel, 16,90 €

La méditation avec les enfants, ça marche !, Candice Marro, Le Courrier du livre, 19,90 €

 

LAMA SAMTEN : « LÂCHER PRISE POUR VIVRE MIEUX »

par JD

Premier objectif des vacances : lâcher prise. Pour la majorité d’entre nous, la pause du travail signifie changer d’air, se relaxer et profiter des siens. Bref : oublier, se ressourcer. À l’occasion de sa conférence réalisée à Mazan (84) en mars dernier, à l’invitation de l’association locale Soins de l’être, devant plus de 500 personnes, nous avons rencontré le moine bouddhiste québécois Lama Samten. Morceaux choisis sur le nécessaire « lâcher-prise » des vacances.

« En préambule, il est primordial dapprendre à comprendre davantage nos émotions. Cette démarche dune meilleure connaissance de soi pourra faciliter lapprentissage de la relaxation au quotidien. Et faciliter ainsi le lâcher-prise pour vivre mieux ! Pour cela, nous devons explorer la nature de nos émotions. Certaines sont positives, dautres négatives. Toutes deux sont reliées de manière interdépendante.

Selon la philosophie bouddhiste tibétaine, cest grâce à la sagesse et la logique que nous allons pouvoir apprendre à mieux comprendre nos émotions. Lobjectif ensuite sera de trouver quelles actions nous permettent de garder léquilibre dans nos émotions, pour trouver le calme et la paix intérieure.
Par exemple, prenons une émotion positive comme l
amour. On peut se laisser envahir par cette émotion forte, qui peut conduire à des conséquences négatives. Comme « trop aimer » peut conduire à la destruction. Même chose si je me laisse envahir par les émotions liées à un projet que jaffectionne. Cela peut aller jusquà mettre en péril le projet in fine.
Travailler le lâcher-prise au quotidien s
avère un bon moyen de trouver léquilibre dans nos émotions. Mais ce nest pas facile de lâcher prise, car nous avons tous beaucoup de choses en tête au quotidien. Pour tenter dy arriver, il faut d’abord bien identifier ce qui constitue une emprise sur soi.

C’est l’emprise sur le « soi » qu’il faut reconnaître ; elle s’exprime habituellement par les mots « moi, ma, mon, mes, etc.… ». En termes communs, il sagit de « l’ego ». Relâcher cette emprise est ce qu’on pourrait appeler le lâcher-prise. Ainsi, c’est envers ce fauteur de trouble intérieur qu’est l’ego que nous devrions relâcher notre emprise. Lâcher prise ne signifie donc pas devoir laisser aller ou abandonner ce qui nous est extérieur : amis, travail, famille, relations, matériel, etc. La méditation quotidienne peut nous aider à tendre vers la sagesse, nous accompagner vers le lâcher-prise. »

Plus dinfos : asso-soinsdeletre.jimdo.com


- MARCHER -

Loin d’être un simple moyen de déplacement, la marche est aussi un art de vivre. Quand le mouvement ouvre la voie à des escapades spirituelles, le voyage est double.

Marcher est un excellent moyen pour se reconnecter à soi et à la nature, à son rythme © F.Delotte

 

Jean-Louis-Etienne: une marche à suivre

Jean-Louis Étienne apprécie de randonner en toute saison. Ici, en hiver dernier, près de Font-Romeu (66) © AM.Andrieux

Pour Jean-Louis Etienne, la marche ne se pratique pas uniquement dans les conditions extrêmes dune expédition polaire. Lexplorateur et médecin français sadonne aussi à la promenade et à la randonnée par plaisir et pour éprouver un sentiment de liberté.

« On m’a dit que la Haute Randonnée Pyrénéenne est très sauvage, j’aimerais beaucoup faire la traversée », confie Jean-Louis Etienne. Malgré tous les kilomètres parcourus, sur le cercle polaire, les crêtes de l’Himalaya ou en Patagonie, pour l’explorateur de 71 ans il reste toujours des recoins de la terre à arpenter. Avec des chaussures légères, fidèles « compagnons de voyage », quelques dattes et bananes séchées en poche, une casquette les jours de soleil et un peu d’eau, il ne s’encombre pas du superflu. Même un GPS est de trop. Le mouvement du soleil ou du vent le guide. Il ne se perd pas, ou presque pas... Anne-Marie Andrieux, une complice de randonnée, se souvient d’une fin de balade en raquettes, hors des sentiers battus dans la poudreuse, pendant que la nuit tombait dangereusement. « Je n’ai pas eu peur, Jean-Louis est débrouillard », glisse Anne-Marie. Elle travaille à l’Organisation européenne pour l’exploitation des satellites météorologiques. Ils se sont rencontrés lors du trentième anniversaire de l’agence, parrainé par l’auteur de Dans mes pas, et depuis elle accompagne l’alpiniste sur le plateau de la Cerdagne, dans les Pyrénées orientales, ou dans le Tarn de son enfance. « Parfois, Jean-Louis se fait indiquer une direction et ceux qui le reconnaissent s’étonnent qu’un grand explorateur demande son chemin ! », rit l’amie. Mais hors de question de dépendre de la technologie, la marche est « la garante de l’autonomie » ! Anne-Marie révèle : « Il s’arrête beaucoup en chemin, reconnaît les chants des oiseaux, embrasse les arbres de ses bras mais, en fin de journée, il accélère ! »

Une jeunesse dans les bois

Cette force qui le pousse en avant et l’a entraîné, seul, jusqu’au pôle Nord en 1986 vient de l’intérieur. Bien que Jean-Louis Etienne se souvienne de quelques cueillettes aux champignons avec ses parents, son goût de la marche a été une découverte solitaire. Sa première balade mémorable ressemble à une fugue. Il habitait alors à Castres et, étouffant dans la ville, il est parti à pied rejoindre ses grands-parents à la campagne. Il avait alors 13 ans et a parcouru les 13 kilomètres de chemins sans savoir s’il allait y arriver : « J’ai appris ce jour-là que la marche est un outil de liberté formidable, je n’avais rien d’autre que mes jambes et l’envie d’y aller. » En vacances à la mer avec ses parents, la marche a pris de nouveau le visage de la fuite : « J’avais horreur de la plage et des corps étendus. Je suis parti longer la côte. » Vers l’âge de 16 ans, il bivouaquait dans la forêt avec son sac à dos. Lorsqu’un ami scout lui a proposé de devenir intendant du camp, il a pris en charge le ravitaillement des troupes : « Je partais au village, le sac vide, pour chercher de la nourriture et revenais le sac bien lourd. » Quatre ou cinq kilomètres de bon matin entre les arbres.

La « méditation active »

Aujourd’hui, il vit à Paris, bien loin des forêts de son enfance. Pourtant, « En ville, avec la sensation du vent sur le visage, je peux m’imaginer ailleurs », assure-t-il, « On ne marche pas qu’avec les jambes. Quand on marche, il y a tout qui marche ! Mémoire, pensées, imagination… » Enfant, lorsqu’il neigeait, il fermait les yeux et s’imaginait sur les plus hauts sommets. Il n’a jamais cessé de voyager de cette manière : « Parfois, je me projette dans le cosmos ». Certains endroits sont plus appropriés que d’autres pour ses visualisations. Dans le métro, il avoue être plus en peine malgré les courants d’air des longs couloirs. « Ça sent moins bon ! », plaisante-il. Alors, dès que possible, il se balade le long de la Seine ou sur l’île aux cygnes. Une manière de laisser son esprit vagabonder. Il affirme que le rythme de la marche s’accorde parfaitement à la vitesse de ses idées. Anne-Marie Andrieux confirme : « Avec Jean-Louis, on ne parle pas beaucoup, on écoute le silence. Je le laisse à ses réflexions, se retrouver avec lui-même. » Ils n’évoquent pas les difficultés de la route. Seule la nature occupe les esprits. « Se diluer dans le paysage », relate Jean-Louis Etienne. Ce n’est que le soir que les deux amis s’avouent avoir eu un peu mal ici ou là. Des douleurs ? Seulement « quelques courbatures », assure l’explorateur. Et de conclure avec force : « Il n’y a encore rien qui réduise mon périmètre de déplacement ! » Il en est convaincu, la beauté du geste c’est « la marche jusqu’au bout ».

Plus d’infos : www.jeanlouisetienne.comÀ lire : Dans mes pas, J.-L. Etienne, Éditions Paulsen, 2018, 19,90 €

 

- Tout ce que peuvent nos pieds - 

« Vous pouvez jeûner, méditer, prendre de la drogue ou prier ; moi, je marche », confie Erling Kagge. Pour cet explorateur norvégien des extrémités du monde, monts et pôles confondus, mettre un pied devant l’autre est le petit miracle de tous les jours. Dans Pas à Pas, son deuxième essai après Quelques grammes de silence, il se concentre sur les milliers de chemins que parcourent les hommes. En commençant par ceux qu’il a lui-même empruntés. Le livre fourmille d’anecdotes, de son expédition dans les égouts new-yorkais à sa tentative d’imitation de la démarche de John Travolta dans Grease, en passant par son goût pour les pieds nus ! Les mots qu’il choisit pour nous parler de ses balades rencontrent ceux de poètes, philosophes, scientifiques ou sociologues : on croisera ici Neruda, Merleau-Ponty, Hippocrate… L’ouvrage est composé de courts chapitres, comme autant de kilomètres avalés. Les réflexions de Kagge sur la lenteur, la vie intérieure, la joie s’y déploient dans l’humour et la simplicité. Au cour de l’essai, la marche prend la forme de toutes les potentialités humaines : elle se fait subversive, spirituelle, curative… Ce livre finit de nous convaincre que se ressourcer est à portée de pied !

A Lire : Pas à pas, E. Kagge, Flammarion, 2018, 13 €


- IMAGINER -

La plage est un endroit tout trouvé pour se laisser aller à des créations spontanées, à l’image du travail de l’artiste Bettina Mercier © B.Mercier

Se laisser aller à son imagination. Rêver, écrire, dessiner, sculpter… Autant de façons de faire un pas de côté et se reconnecter avec son être et avec la nature. L’écrivain René Frégni et l’artiste de land art Bettina Mercier en témoignent à leur manière. Et incitent chacun.e à trouver sa voie créatrice…

 

L’art de retrouver la nature

Créer avec la nature pour mieux se retrouver en elle. Cest lun des objets du land art, courant artistique qui considère lenvironnement comme un objet de création. Une activité à la portée de tous que lon peut pratiquer en forêt ou à la plage, à linstar de l’artiste Bettina Mercier.

Une spirale de feuilles sur le gazon, un visage en coquillage sur le sable… Bettina Mercier fait partie de ceux pour qui le merveilleux se cache dans les petites choses du quotidien. Chaque feuille, galet, écorce de tronc ou algue marine nourrit son imaginaire et l’invite à inscrire dans le paysage ses propres fantaisies. Pour cette artiste de 56 ans, tout a commencé avec des balades : « J’ai toujours aimé ramasser des coquillages ou empiler des cailloux. Pendant les vacances, je ne pouvais pas m’empêcher de chercher et glaner ces merveilles. Au début, je ne réalisais que des petits motifs sur la plage et puis ils se sont étoffés. » Petit à petit, elle s’est mise à transformer les pelouses et les plages en œuvres d’art. « Lautomne et lhiver j’utilise des feuilles, des graines, la neige ou la glace », confie-t-elle.

Cette pratique, qui peut paraître un jeu d’enfant, est en réalité l’occasion de prendre du temps pour soi et de se faire du bien. Pour Bettina Mercier, la contemplation minutieuse de la nature est une bulle d’oxygène : « Regarder de plus près ce que la nature nous offre, c’est un beau cadeau que l’on se fait. Quand on observe un coquillage, c’est vraiment merveilleux. » Le land art est presque une philosophie : dans la nature, rien n’est éternel, l’éphémère est loi. Le vent disperse les feuilles, la mer détruit la sculpture sur son passage. Alors, il faut apprécier la beauté du moment présent. « C’est très amusant de créer des œuvres éphémères pour le plaisir des yeux, pour le plaisir de ceux qui passeront par-là », raconte Bettina. « Parfois, de loin, je vois des gens qui prennent les créations en photo. Je ne dis rien, je suis heureuse que cela leur plaise. » L’artiste incite tout le monde à s’y mettre, dès le plus jeune âge : « Dans mes livres, j’ai cherché des formes et motifs qui pourraient être réalisés facilement. C’est ce qui a nourri mon imaginaire. Mes œuvres doivent être accessibles aux enfants. » Réinventer ses vacances dans un coin de nature n’a jamais été aussi simple !

À lire : Artiste de plage et Land Art, B. Mercier, Actes Sud junior, 88 p., 2014, 13,50 €

 

René Frégni : « Les seules passerelles vers le monde libre sont les mots »

© Frédérique-Marie Miñana

René Frégni est auteur d’une quinzaine de romans. Il vit à Manosque, dans les Alpes-de-Haute-Provence, berceau de son inspiration et de son maître, Jean Giono. Depuis une vingtaine d’années, il intervient dans des centres de détention en Provence pour proposer des ateliers d’écriture. La prison où il a lui-même découvert la lecture et l’écriture : deux chemins d’« évasion ».

Quand et comment en êtes-vous venu à l’écriture ?

J’ai commencé tardivement à écrire, à 19 ans, dans une prison militaire. Plus jeune, j’ai toujours détesté l’école, je me suis fait virer de tous les lycées de Marseille et je passais mon temps à traîner dans les rues. Après m’être rendu au service militaire avec deux mois de retard, j’ai été condamné à six mois d’enfermement : c’est là que j’ai découvert la littérature. L’aumônier m’apportait des livres tous les jours. Il ne me parlait jamais de religion, à cet âge on se fiche pas mal de Dieu. J’ai commencé à lire sept ou huit heures par jour. Nietzsche, Céline, Camus… Une journée, c’est interminable quand on ne fait rien. Il n’y avait ni radio, ni télé. Mais lorsque vous lisez un roman noir américain, d’un coup vous buvez du whisky et vous fréquentez des femmes magnifiques : la lecture met en contact avec d’autres fantasmes.

En prison, la littérature vous a apporté une forme de liberté...

Lire c’est voyager. Si le roman se passe dans le train, vous y montez, pourvu que le livre soit bon. Mais l’écriture est un voyage encore plus fort, plus précis, car tout est à construire de bout en bout. C’est dans votre propre imagination que vous voyagez. L’écriture fait entrer le monde dans la cellule : si l’on inscrit « coquelicot » sur une page, la fleur est là, entre les murs de la prison.

Vous animez des ateliers d’écriture auprès de détenus. C’est ce pouvoir de l’imaginaire que vous souhaitez leur transmettre ?

Oui, les seules passerelles vers le monde libre sont les mots. Pour des gens qui n’ont pas traversé une forêt depuis des années, l’évocation du vent, des hêtres et de leur écorce rugueuse réveille des sensations oubliées. Quand les détenus inventent des histoires d’amour ou des intrigues policières, ils peuvent espérer sortir de prison presque comme des hommes normaux, car ils n’ont pas totalement perdu la relation au monde. L’évasion par l’imaginaire, c’est ce qui sauve.

Comment se déroulent ces séances d’écriture ?

On commence par discuter de la vie en général, puis on se met rapidement à nos cahiers. Les détenus écrivent dans leurs cellules et, le lundi, chacun lit à haute voix ce qu’il a produit pendant la semaine. Je participe aussi et ils me font à leur tour des remarques. Certains imaginent des poèmes, d’autres s’essaient au théâtre ou rédigent leurs mémoires. 

L’enfermement est un motif récurrent dans votre œuvre. C’est quand le corps est entravé que l’esprit devient plus libre ?

L’enfermement est partout, pas seulement derrière les barreaux : nous pouvons être emprisonnés dehors. Quand je pense à tous ceux qui regardent leur écran toute la journée et vivent coupés du monde, je me dis qu’ils ont un cachot dans la tête.

La littérature est aussi un moyen d’entreprendre une exploration interne, dans nos souvenirs…

Quand j’ai relu les livres que j’avais découvert en prison, j’ai retrouvé les sensations et les bruits de ma cellule. Enfermé, les romans me projetaient à l’extérieur. Une fois dehors, ces mêmes lectures me ramènent en prison. La littérature est un voyage en nous et hors de nous.

Alors que vous étiez infirmier dans un hôpital psychiatrique à Marseille, vous teniez un journal de bord. L’écriture quotidienne est-elle une nécessité pour vous ?

Toute ma vie, j’ai rempli des centaines de carnets. Finalement, 2 ou 3 % servent à mes romans. Pourtant, c’est un exercice nécessaire. Le fait d’annoter incruste en vous des sensations, des émotions. Et l’écriture est faite de ça ! Mon quotidien n’est pas extraordinaire, je retranscris simplement des petits détails, des choses intérieures. La « petite musique » qui est en nous. Les grands écrivains, comme Giono ou Céline ne s’appuyaient pas sur de grands événements, ils portaient attention à ce que la vie imprimait en eux.

Vous avez élu domicile à Manosque après une enfance passée à Marseille. La nature occupe une place importante dans vos romans : que représente ce territoire pour vous ?

Quand j’étais petit, j’associais Marseille, la grande ville, au tableau noir, à l’école et à tout ce que je détestais. À côté, Manosque, là où je passais les vacances dans un cabanon, c’était le pays bleu. Le pays de l’été, des premières filles que j’ai embrassées, des melons chipés et des poissons que je pêchais. La vraie liberté se trouvait dans les grands espaces, une fois franchie la Durance.

Pourquoi parlez-vous d’un pays bleu ?

Le bleu incarnait pour moi la couleur de la liberté. Mais c’est aussi une perception : ici, le ciel est bleu à perte de vue et les collines au loin m’apparaissent de la même couleur. Giono a été le premier à mettre des mots sur ce que je ressentais face à la nature. Il décrivait les collines comme la houle de la mer. Alors, le « territoire bleu », c’est la réalité mêlée à l’imaginaire.

C’est peut-être la définition même de l’écriture…

Oui, pour écrire je pars d’une émotion forte comme la naissance de ma fille ou la mort de ma mère. Cette émotion est un paysage intérieur que l’imagination vient sculpter et transformer. Je me représente cela comme un arbre : le tronc est la réalité et le feuillage, tout ce que j’invente. Le plus beau c’est la masse de feuilles vivantes, ce qui importe est ce qui naît de la réalité.

Finalement, tout le monde peut-il écrire ?

Le génie n’existe pas. Il faut de la sensibilité et du travail pour pétrir tout ça, rendre compte de son trouble face au monde. Ce n’est pas facile. Au début, on copie un peu les « grands ». On emprunte les chemins balisés avant de tracer sa propre voie. Un beau jour, on trouve sa propre respiration, sa propre foulée.

Plus d’infos :René Frégni est l’auteur d’une douzaine de romans et de livres pour enfants, parus chez Gallimard notamment.

À lire :son dernier roman, Le chat qui tombe et autres histoires noires, R. Frégni, Éditions de l’Aube, 176 p., 2017, 16 €

 

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