[DOSSIER] Rodolphe Christin « Le tourisme est un acte marchand, un voyage transformé en prestation de service »

Publié le jeu 22/07/2021 - 13:01
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Par Quentin Zinzius

Auteur du Manuel de l’anti-tourisme (2017) et de La vraie vie est ici, voyager encore ? (2020), le sociologue et essayiste Rodolphe Christin explique comment la banalisation du tourisme a contribué à la crise écologique actuelle, tout en vidant le voyage de son sens originel.

Vous avez pour habitude de décrire le tourisme comme une industrie destructrice et dénuée de sens. Comment l’imaginaire du voyage a-t-il pu être à ce point dégradé ?

Historiquement, le voyage est une épreuve. Il s’agit de s’exposer à l’inconnu et aux risques, physiques mais aussi intellectuels, puisque le voyage est en capacité de nous bouleverser dans nos certitudes. Mais le tourisme a totalement aseptisé cette expérience aujourd’hui, car pour être accessible au plus grand nombre, il doit s’appuyer sur un monde organisé, sécurisé et planifié. Donc bien loin de l’imaginaire de l’aventure. Tout ça a contribué à neutraliser la charge en sensations fortes du voyage. Assez ironiquement, le contexte pandémique actuel a complètement réintroduit la notion de risque dans le déplacement et la conséquence sur les flux touristiques en est facilement observable.

Alors comment expliquer le besoin constant de voyager ?

Avec la pandémie, le fait de rester chez soi est devenu une contrainte forte, vécue par certaines personnes comme un cauchemar. Mais au lieu de s’interroger sur ce qui rend leurs vies difficiles, elles cherchent un moyen de s’y soustraire. Le tourisme intervient alors comme un lot de consolation. C’est une manière de s’occuper qui est devenue « nécessaire », qui nous fait oublier notre vie quotidienne.

Il y a aussi une forme de normalisation du départ, c’est-à-dire que si pendant longtemps le voyage était une affaire de rupture et de marginalité, elle est devenue une norme sociale. Ce qui tranche avec les voyages des années 70, notamment la Beat generation, qui partait sur les routes pour s’affranchir d’une culture qu’elle jugeait oppressante, à tort ou à raison. Aujourd’hui, le voyage est un critère d’intégration parfait, au point où le passage par l’ailleurs est devenu une norme de comportement, un signe de réussite.

Les formes de tourisme dites « alternatives » sont-elles, selon vous, un moyen de sortir du tourisme de masse ?

Le problème est qu’aujourd’hui le tourisme a pris des proportions industrielles. Et comme toute industrie, pour être pratiqué de manière aussi large, le tourisme suppose une certaine dépendance aux technologies et à la société du moteur, dont les effets sur l’environnement sont connus. Ces solutions alternatives peuvent permettre de limiter l’impact écologique, notamment via l’utilisation des mobilités douces ; mais elles n’ont pas vocation à remplacer le tourisme de masse. Car ce qui rend cette industrie particulièrement destructrice, c’est avant tout sa capacité à inciter les gens à partir profiter de lieux spécialement aménagés à des fins touristiques. Même les tourismes responsables, comme l’écotourisme, ne sont tous que des « segments » qui participent à la massification du tourisme et font des produits pour tous les goûts, toutes les motivations, toutes les morales. Peu importe sa forme, le tourisme est par définition un acte marchand : un voyage transformé en prestation de service.

Alors, comment faire pour devenir un « bon » touriste ?

Il n’y a malheureusement pas de recette magique ! Le plus important est de s’interroger sur ce qui nous motive à voyager : pourquoi ai-je envie ou besoin de partir ? Et surtout, est-ce que je peux trouver ici ce que je cherche ailleurs ? En trouvant ces réponses et en connaissant la charge écologique du déplacement, il sera possible de maîtriser son besoin et d’éviter de partir pour une raison futile.

 

 

Touriste ou voyageur ?

Selon le Littré, dictionnaire de la langue française, un touriste « est un voyageur qui ne parcourt des pays étrangers que par curiosité et désœuvrement, qui fait une espèce de tournée dans des pays habituellement visités par leurs compatriotes. » Une définition qui met en avant le besoin consumériste du touriste, qui ne considère son voyage que comme un acte de consommation finale, où l’unique intérêt est de « faire comme les autres ».

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