[DOSSIER] - Halte aux nanos !

Publié le ven 26/10/2018 - 14:39

Par François Delotte

Pour colorer un produit, le faire briller ou lui donner plus d’éclat : les nanoparticules entrent dans les compositions de nombreux produits alimentaires et cosmétiques, sans même que nous en soyons informés... Pour quelles incidences sur notre santé ?


Nanoparticules : vers la fin du dioxyde de titane dans l’alimentation ?

Brune Poirson, secrétaire d’État auprès du ministère de la Transition écologique et solidaire, a indiqué vouloir supprimer le colorant E171 des produits alimentaires avant la fin de l’année. Une étude réalisée par l’Inra de Toulouse révèle que cette substance, contenant des nanoparticules de dioxyde de titane, est impliquée dans la création de lésions précancéreuses chez le rat. Rien que ça...  

 

40 % des rats exposés au dioxyde de titane (E171) développent des lésions précancéreuses du côlon. C’est l’une des conclusions de l’étude menée pendant quatre ans par un laboratoire de l’institut national de la recherche agronomique (Inra) de Toulouse. Publiés en janvier 2017 dans une revue scientifique, les résultats de ce travail, coordonné par l’unité mixte de recherche (UMR) Toxalim, ont contribué à relancer le débat autour de la dangerosité potentielle des nanoparticules. Car le E171 — un additif alimentaire largement utilisé comme colorant blanc opacifiant dans les confiseries, le dentifrice ou encore dans les sauces et autres plats préparés — contient du dioxyde de titane à l’échelle nanoscopique (10 à 40 % selon les lots du commerce, indique l’Inra). C’est-à-dire qu’il comprend des particules dont la taille est inférieure à 100 nanomètres.

 

Risques de cancers

« Nous avons administré à des rats 10 mg de E171 par kilogramme et par jour, pendant une semaine ou cent jours. Cela correspond à la quantité de dioxyde de titane ingérée par les enfants ou les adolescents qui consomment beaucoup de confiseries, relate Eric Houdeau, directeur de recherche dans l’UMR Toxalim. Nous avons observé que la fraction nano du produit pouvait franchir la paroi intestinale et aller jusqu’au sang. » Plus inquiétant, elle « peut impacter le fonctionnement du système immunitaire et n’est pas inerte sur le plan biologique ». Autrement dit, selon l’étude, l’absorption intestinale du E171 provoque « l’affaiblissement des réponses immunitaires dans l’intestin et la prédisposition à l’inflammation dans le reste de l’organisme, dès sept jours ».

De plus, « outre l’apparition spontanée de lésions précancéreuses dans le côlon, 20 % de telles lésions ont vu leur croissance s’accélérer. On parle alors respectivement d’effet initiateur et promoteur »,complète Fabrice Pierre, directeur adjoint de Toxalim.

« Plus une matière est fragmentée en petits éléments, plus on augmente les surfaces en contact avec l’environnement. Ces surfaces sont en contact avec les cellules. Les effets peuvent être un stress oxydant, des dommages à l’ADN et des inflammations, jusqu’à des risques de cancer. Ça ne veut pas dire que nous sommes arrivés à toutes ces conclusions avec notre étude. Mais il nous faut désormais obtenir des données sur tous ces aspects », précise Eric Houdeau.  

De là à imaginer de tels effets du E171 sur la santé humaine, il n’y a qu’un pas, que les scientifiques refusent de franchir. « Nous avons mis en évidence un potentiel danger existant sur un modèle animal. À partir de cela, il est impossible de tirer des conclusions sur l’homme », avertit Fabrice Pierre. « C’est pourquoi nous aimerions pouvoir réaliser une étude sur une cohorte (expérience comparative de longue durée, NDLR) de plusieurs milliers de personnes issues de la population française », continue le chercheur.

 

Mais, pour les ONG engagées sur le sujet des nanoparticules, le principe de précaution doit être de mise. « Selon nous, il y a suffisamment d’éléments pour affirmer que les risques sont importants », indique Magali Ringoot, coordinatrice de la campagne d’information sur les nanoparticules, menée par l’association Agir pour l’environnement. « Il faut instaurer un moratoire sur les nano dans la consommation courante, afin de prendre le temps d’évaluer ces substances. Le rapport bénéfices/risques est vite vu. Il s’agit quand même d’un colorant remplaçable qui pourrait provoquer des lésions précancéreuses à des enfants ! », avance-t-elle. 

La récente étude de l’Inra et le travail d’alerte et de veille effectué par des associations comme Agir pour l’environnement ou Avicenn (Association de veille et d’information civique sur les enjeux des nanosciences et des nanotechnologies) ont quand même amené les pouvoirs publics à se positionner sur le sujet. En mai dernier, Brune Poirson, secrétaire d’État auprès du ministre de la Transition écologique et solidaire, déclarait dans Le Parisien, le 18 mai dernier, que le gouvernement souhaitait « suspendre avant la fin de l’année l’utilisation [du E171] comme additif alimentaire en France ».

Mais depuis, peu d’informations ont filtré sur les intentions de l’État et le cadre d’une éventuelle interdiction du E171... « Pour l’heure, ça ne reste que des paroles. Rien n’apparaît dans les textes et projets de loi. Par ailleurs, le gouvernement pourrait très bien prendre un arrêté sur le sujet, observe Mathilde Detcheverry, chargée de veille et d’information pour l’Avicenn. Mais, avant cela, il faut aussi que la France notifie à la Commission européenne sa volonté de retirer cette substance du marché. » Commission européenne que Brune Poirson assurait, toujours dans le Parisiendu 18 mai dernier, avoir déjà saisi « afin de demander aussi des mesures [au niveau européen], dès lors que le dioxyde de titane est susceptible de constituer un risque sérieux pour la santé humaine ». Mais là aussi, point de fuite sur les intentions du gouvernement depuis ce printemps...

 

Des bonbons sans nano

Heureusement, devant l’inquiétude des consommateurs, certains acteurs économiques n’ont pas attendu les décisions des pouvoirs publics pour agir. C’est le cas du Syndicat des confiseurs de France. Ce dernier représente cinquante entreprises productrices de bonbons et autres sucreries, implantées en France — soit « 90 % du marché », affirme Florence Pradier, secrétaire générale du syndicat. Ses adhérents ont déclaré cette année vouloir retirer le E171 de tous leurs produits, au nom du principe de précaution. « C’est un problème de sécurité. L’étude de l’Inra sur le rat sème le doute. Nous préférons retirer cette substance des recettes », affirme Florence Pradier.

Car, fait incroyable, les industriels assurent ne pas avoir les moyens de savoir si des nanoparticules se trouvent dans le dioxyde de titane que leur procurent leurs fournisseurs... « Ces derniers nous apportent des garanties via des certificats indiquant qu’il n’y a pas de nano dans leurs produits. Mais des analyses montrent que ça n’est pas toujours le cas », affirme Florence Pradier.

Pour sa part, Magali Ringoot d’Agir pour l’environnement estime que « les analyses pour détecter les nano coûtent très cher. Et il est vrai que certains petits fabricants n’ont pas les moyens de faire leurs propres tests. Mais les grands groupes, tel Haribo, ont les moyens de faire pression sur leurs fournisseurs et ont même le devoir de les contrôler ».

Pour les industriels, contrôler les compositions permettrait de remplacer progressivement le E171, lorsqu’il est utilisé comme colorant. Eh oui, c’est possible ! « Nous avons recours à des substances plus naturelles. Ainsi, le blanc des bonbons crocodiles était obtenu avec du dioxyde de titane : on utilise désormais un procédé qui permet d’atteindre un résultat similaire en intégrant de l’air dans la pâte », cite la représentante du Syndicat des confiseurs, comme une évidence. Celui-ci assure que 90 % de ses adhérents ont déjà supprimé le E171 de leurs préparations. À quand le 100 % ? « Nous ne voulons pas fixer de date butoir », élude Florence Pradier, se contentant de dire, de façon évasive, que « tout le monde est engagé dans ce dossier ».

L’action du syndicat apparaît néanmoins comme une goûte d’eau dans l’océan que représente l’ensemble des confiseries, pâtisseries, plats préparés, mais aussi cosmétiques contenant du E171 sans que la mention « nano » n’apparaisse sur les contenants. Le volontarisme du syndicat est toutefois salué par l’Avicenn. Mais l’association pointe du doigt un autre problème : la présence de dioxyde de titane dans de nombreux médicaments1. Magali Detcheverry commente : « S’il est possible de boycotter des produits alimentaires, il paraît difficile pour un patient de se passer de son traitement. » Certes. Mais là encore, on ne doute pas que les grandes industries pharmaceutiques innovent et trouvent des solutions de substitution au E171 dès lors qu’elles en seront obligées !

 

Plus d’infos :

www6.toulouse.inra.fr/toxalim

1L’UFC Que choisir indique que plus de 4000 médicaments contiendraient du colorant E171 : https://www.quechoisir.org/actualite-colorant-e171-les-medicaments-aussi-n24269/

 

 


 

Consommation : peut-on éviter les nanos ?

Plats préparés, sauces, confiseries, dentifrices et crèmes solaires : les nanoparticules ont envahi nos produits de consommation courante. Face à l’incertitude scientifique quant à leurs effets sur la santé, voici quelques conseils pour les éviter au maximum...

 

Faire confiance aux ONG

Pour recenser les nanos, il est d’abord possible de se référer au travail effectué depuis longtemps par des ONG comme Agir pour l’Environnement, les Amis de la Terre, Greenpeace ou encore l’UFC-Que Choisir. « Ces organismes mènent depuis longtemps leurs propres enquêtes avec des laboratoires très performants qui peuvent publier des travaux au moins aussi fiables que des équipes de recherche », assure Eric Gaffet, directeur de recherche au CNRS, spécialiste des nanomatériaux.

Agir pour l’environnement a ainsi lancé, il y deux ans, une campagne d’information et de sensibilisation sur la présence de nanoparticules dans les produits de consommation courante, qui fait désormais référence. Dans ce cadre, l’association a créé la plateforme web Infonano (www.infonano.agirpourlenvironnement.org) qui recense progressivement les denrées alimentaires « contenant ou pouvant contenir des nanoparticules dangereuses pour la santé et l’environnement ». À l’heure à laquelle nous écrivons ces lignes, près de 400 références ont été compilées. Figurent sur le site des fiches concernant les produits dans lesquels des nanos ont été « identifiées », où dans lesquels leur présence est « suspectée ». Des produits desquels les nanos ont été « retirées » par les fabricants sont aussi indiqués.

Autre source : le site VeilleNanos.fr. Édité par l’Avicenn (association de veille et d’information civique sur les enjeux des nanosciences et des nanotechnologies), il recense la plupart des évolutions réglementaires, ainsi que les dernières études scientifiques en matière de nanoparticules et de nano-technologies. « Nous effectuons une veille sur internet, les réseaux sociaux, les revues scientifiques. Des chercheurs flèchent des informations vers nous. Des veilleurs, qui sont des citoyens avertis sur le sujet, nous envoient des articles et des documents », détaille Mathilde Detcheverry, chargée de veille et d’information pour l’Avicenn. De quoi rester informé.

 

 

Repérer les additifs

Les trois principales substances contenant des nanoparticules utilisées dans l’agroalimentaire sont : le dioxyde de titane (E171, colorant), l’hydroxyde de fer (E172, colorant) et le dioxyde de silicium (E551, anti-agglomérant). Toutes sont recensées par les associations citées plus haut. Les étiquettes des produits devraient aussi comporter la mention obligatoire « [nano] ». Mais si tel n’est pas le cas, référez-vous à la présence du E171, E551 ou E172 dans la liste des ingrédients.

 Consommer des « produits bruts »

De façon générale, il convient d’éviter les produits trop transformés, en poudre (chocolat, soupes...) pouvant contenir des anti-agglomérants (E551) ou des produits, notamment des confiseries, à l’aspect blanc et brillant (pouvant contenir du E171). Par ailleurs, fait notable, « les préparations labellisées bio n’offrent pas de garantie de l’absence de nanoparticules », précise Magali Ringoot. « Il convient de manger plus simplement, de faire sortir la chimie de son assiette en cuisinant des produits bruts », conseille-t-elle.

 Attention aux cosmétiques

Notons également que le dioxyde de titane est présent dans le rayon santé et la pharmacie. La quasi-totalité des dentifrices en contient, mais seules certaines marques (Boiron, Weleda...) proposent des produits garantis sans E171. On retrouve cet additif dans la grande majorité des crèmes solaires, car celui-ci a la particularité d’améliorer le filtre UV en reflétant les rayons du soleil. Quant aux médicaments, il est difficile d’obtenir leur composition exacte.

 

Plus d’infos :

https://infonano.agirpourlenvironnement.org/

www.veillenanos.fr

www.quechoisir.org/actualite-colorant-e171-les-medicaments-aussi-n24269

www.amisdelaterre.org/IMG/pdf/nano_rapport_foe_e-u_2014_.pdf

 


 

 Les nanos dans nos placards et frigos 

E171, E174, E551... Autant de noms de code désignant des additifs que l’on retrouve dans nos plats préparés, bonbons ou cosmétiques. Ces substances contiennent des nanoparticules dans des proportions qu’il est impossible d’apprécier sans faire des analyses fines (les taux vont de quelques pourcents à plus de 50 % de la matière totale). Présentation des « E » les plus courants.

> E171 (dioxyde de titane) : utilisé comme colorant alimentaire, pour blanchir, faire briller ou donner plus d’éclat à une couleur. On le retrouve beaucoup dans les confiseries, pâtisseries industrielles, sauces ou plats préparés. Mais aussi dans le dentifrice, les crèmes solaires et les médicaments sous forme de dragées.

> E551 (dioxyde de silicium) : anti-agglomérant que l’on retrouve dans les produits en poudre : soupe, chocolat en poudre, mélanges d’épices...

> E172 (oxyde de fer)  : utilisé comme colorant alimentaire rouge, jaune ou noir.

> E174 (argent)  : utilisé comme additif alimentaire uniquement pour la coloration argentée de certains bonbons et gâteaux (enrobage et décorations).

 


 

Étiquetage : que dit la réglementation ?

39 % de 74 produits alimentaires contrôlés par la direction générale de la répression des fraudes (DGCCRF) ne mentionnaient pas la présence de nanoparticules dans leur composition. Suite à la publication de ces résultats, en janvier 2018, Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Économie et des Finances, a réuni les représentants des professionnels de l’alimentation afin d’annoncer des contrôles renforcés en la matière.

Depuis 2014, la réglementation européenne sur l’information du consommateur (Inco) a rendu obligatoire la mention « nano » sur les produits alimentaires. Précisions : « Pour la Commission européenne, des particules sont classées “nano”lorsque leur taille est inférieure à 100 nanomètres », explique Eric Gaffet, directeur de recherche au CNRS, spécialiste des nanomatériaux et membre du comité scientifique pour la sécurité des consommateurs, de la Commission européenne1. Mais les choses sont loin d’être évidentes… Car de leurs côtés, les industriels assurent que leurs fournisseurs peuvent leur procurer des ingrédients certifiés « sans nano », alors que des analyses prouvent le contraire (cf. article Nanoparticules : vers la fin du dioxyde de titane dans l’alimentation ?) Comment communiquer alors sur leur liste d’ingrédients auprès du consommateur ?

Des règles peu contraignantes

De plus, tout est affaire de proportion. « La réglementation européenne estime qu’une substance relève du champ nano à partir du moment où au moins 50 % du nombre de ses particules sont de tailles inférieures ou égales à 100 nanomètres », complète Eric Gaffet. Les industriels qui commercialisent des produits comprenant un ingrédient composé de plus de 50 % de nanoparticules sont donc obligés d’indiquer la mention « [nano] » sur les emballages. Une règle qui n’est quasiment jamais respectée, la plupart des entreprises affirmant qu’elles ne sont pas en mesure de savoir si les ingrédients achetés à leurs fournisseurs comprennent des nanos (lire plus haut, Nanoparticules : vers la fin du dioxyde de titane dans l’alimentation ?)...

D’ailleurs, pourquoi ce taux de 50 %  de nanos, et pas moins ? « Dans un premier temps, la Commission européenne avait proposé que le taux de nanoparticules soit fixé à 10 %. Puis nous sommes passés de 10 à 50 % sans aucune explication », précise le chercheur. L’œuvre des lobbys ? Eric Gaffet dit ne pas être en mesure de l’affirmer.

Néanmoins, « le taux de 10 % n’est pas plus justifié que celui de 50 %, en terme scientifique. Pour qu’un produit ne soit pas jugé “nano”, il faudrait se reporter à la quantité minimale de nanoparticules détectables. C’est pourquoi le Comité scientifique des risques sanitaires émergents et nouveaux2 avait préconisé en 2010, à la Commission, que ce taux soit fixé seulement à 0,15 % », relate-t-il. Nous ingurgitons donc encore beaucoup de nanoparticules sans même le savoir.

 

1. Organisme chargé de fournir des avis scientifiques à la Commission européenne sur les risques en matière de santé et de sécurité (risques chimiques, biologiques, mécaniques et autres risques physiques) des produits de consommation non alimentaires.

2. En anglais Scientific Committee on Emerging and Newly Identified Health Risks, SCENIHR, un comité indépendant destiné à conseiller la Commission européenne sur l’émergence de nouveaux risques sanitaires.

 

 

 

 

 

 

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