[DÉFENSE DES ANIMAUX] Quand la pression fait mouche !

Publié le lun 06/01/2020 - 14:24
Photo : Pour faire avancer leurs intérêts, les ONG s’appuient sur la sensibilisation des citoyens et élus grâce à la méthode du « name and shame », qui consiste à couvrir de honte les fautifs. Crédit : L214-Ethique & animaux

Par Anaïs Maréchal

Parlement européen. Journal de 20 heures. Chaîne Youtube de Rémi Gaillard qui se présente aux municipales de Montpellier. Parquet de Grasse… Les militants de la cause animale sont partout. Depuis quelques années, ils redoublent d’efforts pour défendre les animaux d’élevage, les espèces sauvages retenues en captivité dans les cirques, dans les parcs aquatiques, ou encore les taureaux destinés à la corrida. Si le combat des militants contre les lobbys économiques est désorganisé, leur voix porte : 2,2 % des électeurs français ont glissé le parti animaliste dans les urnes, lors des dernières élections européennes. La question a désormais toute sa place dans le débat public.

 

Les défenseurs des animaux sont omniprésents dans la sphère médiatique. Et la victoire semble acquise : l’opinion publique est désormais sensible aux actes de torture pratiqués sur de nombreuses espèces animales. Car comment rester de marbre face à la récente vidéo de L214 montrant des canettes, inaptes à la production de foie gras, jetées vivantes dans des bacs d’équarrissage ? Dans l’ombre, les actions des militants se poursuivent pour tenter de peser face aux puissants lobbys alimentaires. Une lutte désorganisée, mais qui monte, qui monte…

Les animaux ne sont désormais plus la dernière roue du carrosse. S’il y a encore quelques années, chacun n’avait en tête que les images de chiens abandonnés de 30 millions d’amis, aujourd’hui les préoccupations des Français concernent autant les animaux d’élevage, sauvages captifs, que de laboratoire. 92 % ([1]) estiment que le respect du bien-être animal est important ! Et réclament des mesures fortes : si les animaux sont qualifiés depuis 2015 « d’êtres vivants doués de sensibilité », sept français sur dix se déclarent favorables à la création d’un statut juridique de « personne animale » ([2]). Ces attentes, ils les accompagnent d’un changement de consommation : produits vegans, cosmétiques non testés sur les animaux … Et la moitié des sondés déclarent avoir baissé – ou s’apprêter à le faire – leur consommation de viande suite à des vidéos et reportages (1). À l’origine de ces changements ? L’omniprésence dans les médias des défenseurs de la cause animale. Et si la sphère militante est large et nébuleuse, chacun y mène le même combat – souvent individuellement – pour convaincre les décideurs et l’opinion publique de changer les choses.

Parti animaliste : l’électrochoc des européennes

La place de la question animale dans la politique met en exergue cette inquiétude grandissante de nos concitoyens. Lors des dernières élections européennes, le résultat d’un tout jeune parti crée la surprise. Le parti animaliste, qui « porte la voix des animaux en politique », atteint le score de 2,2 % avec 490 000 voix. Juste derrière le parti communiste ou l’Union des démocrates et indépendants. « Ce score des animalistes interpelle. On peut formuler l’hypothèse selon laquelle nous serions face à un phénomène de société profond […] », analyse Jérôme Fourquet, politologue et directeur du pôle opinion et stratégies d’entreprises de l’Ifop ([3]). Ce parti politique naît en 2016 de la volonté de militants de politiser la cause pour répondre aux attentes des Français. Leur idée : créer un parti monothématique pour mesurer l’engagement réel des électeurs pour la question animale et ainsi mobiliser les autres partis.  « La cause animale embrasse en réalité un très grand champ politique : éducation, santé, environnement …, explique Isabelle Dudouet-Bercegay, coprésidente du parti. Nous n’attendons rien de plus que les autres partis piochent dans notre programme ! » Aujourd’hui, le parti compte 4 000 adhérents, et se prépare aux élections municipales. « Nous avons reçu des centaines de candidatures pour représenter le parti animaliste !, relate sa présidente. Nous avons décidé de présenter, selon la situation de chaque commune, des listes animalistes, de s’intégrer sur des listes citoyennes ou de s’allier avec d’autres partis, peu importe lequel du moment qu’il respecte notre charte des valeurs. » L’extrême-droite n’entrant pas, a priori, dans cette catégorie. Reste que, dans les faits, l’analyse cartographique de Jérôme Fourquet (3) met en évidence un électorat plutôt proche du vote Rassemblement national que de celui d’Europe écologie les verts, qu’il explique par un « espace électoral laissé vacant par la décomposition du paysage politique traditionnel autour du clivage gauche/droite [...], où l’offre politique radicalement différente rencontre un certain écho. »

crédit : L214Crédit : L214. Des messages chocs, de l’humour noir, voici les armes des ONG défenseurs de la cause animale.

Le parti animaliste a-t-il réussi son pari d’essaimer la question animale chez nos décideurs ? Difficile à dire avant les municipales, première élection depuis les européennes. « Le score du parti animaliste a été un véritable électrochoc : les politiques se sont rendu compte qu’il ne fallait pas passer à côté de la cause animale », commente Brigitte Gothière, cofondatrice de L214. Les initiatives se multiplient en effet. Après avoir reçu plusieurs associations fin octobre, le ministre de l’Agriculture annonçait le 17 novembre lancer une mission parlementaire sur les animaux abandonnés. Au sein du groupe d’études « condition animale » de l’Assemblée nationale, les choses s’activent également et une proposition de loi visant à interdire l’accès des corridas aux mineurs doit être déposée. Pour Reha Hutin, présidente de la fondation 30 millions d’amis, « le changement du statut juridique de l’animal dans le Code civil nous a donné une véritable légitimité […] auprès de ceux qui nous gouvernent. »

Une cause transpartisane

« La mobilisation des citoyens est l’essence de la politique […]. Il ne faut pas sous-estimer l’impact qu’a la carte d’électeur dans la définition des politiques influençant nos vies », assène de son côté Pascal Durand, eurodéputé Renaissance membre de l’intergroupe parlementaire pour le bien-être et la protection des animaux. La question animale présente un atout de taille : transpartisane, elle a une potentielle force de frappe très large. « L’intergroupe sur le bien-être animal compte parmi ses membres actifs des parlementaires issus de tous les groupes politiques, c’est une cause transversale. » On y trouve en effet des députés français comme Cédric Villani (LREM), Xavier Breton (LR), Michel Larive (FI) ou encore Nicolas Dupont-Aignan (non-inscrit, ancien Debout la France). Pascal Durand poursuit : « Cette cause attire un nombre grandissant de députés, hélas parfois par opportunisme. » Car si de nombreuses intentions sont bonnes, il ne faudrait pas que certains s’engouffrent dans la brèche pour récupérer quelques voix en lançant des promesses en l’air… Pour éviter ça, depuis 2011, la plateforme Politique & animaux, opérée par L214, attribue une note aux personnalités et partis politiques selon leurs prises de position. Parmi les bons élèves comptent bien sûr le Parti animaliste (20/20), mais également la France Insoumise (19/20) ou EELV (18/20). Les Républicains (6/20) et le Rassemblement National, le PS ou LREM figurent sur le bas du classement avec la note de 7/20.

La question animale est aujourd’hui incontournable dans le débat public. Depuis quelques années, les défenseurs de la cause animale sont passés à la vitesse supérieure, et ne lésinent pas sur les actions choc pour attirer les médias. Poules pondeuses qui gisent au milieu de cadavres, agneaux écartelés vivants dans un abattoir ou encore poussins écrasés et étouffés dans des sacs poubelles : L214 est connue pour ses vidéos dénonçant la maltraitance. Certains groupes antispécistes vont plus loin encore et vandalisent des boucheries ou en incendient des abattoirs, à l’encontre de la loi. « L’avènement des réseaux sociaux confère une "force de frappe" indéniable à notre mouvement, explique Reha Hutin, de 30 millions d’amis. Notre communauté – de plus d’un million de personnes – est en interactivité permanente et nous permet de faire passer des messages très importants pour faire pression sur les pouvoirs publics. »

Les armes de ces militants : celles des lobbys, au même titre que les défenseurs de l’environnement (voir Sans Transition ! n°17). La conquête de l’opinion publique en est la partie immergée de l’iceberg. « Faire prendre conscience aux gens fait partie de notre travail, mais nous agissons également, confie Brigitte Gothière. Faire signer des pétitions adressées aux élus ou candidats, envoyer des lettres  pour informer les députés ou entreprises et leur proposer des actions… » Lors des dernières élections présidentielles et européennes, le collectif AnimalPolitique – dans lequel on trouve 26 associations comme la Fondation Brigitte Bardot, L214 ou encore PETA – propose un manifeste contenant 30 propositions concrètes destinées aux candidats. On y trouve par exemple l’interdiction des animaux sauvages dans les cirques, désormais adoptée par de nombreuses villes et qui pourrait bientôt s’inviter dans la loi.

Rapport de force déséquilibré

Mais comment faire le poids face à des adversaires puissants, comme la chasse ou l’agroalimentaire ? « La cause animale, pourtant largement médiatisée, est encore beaucoup trop peu défendue dans la législation européenne », détaille Pascal Durand. Brigitte Gothière ajoute : « Le rapport de force n’est pas équilibré, nous l’avons vu au moment de la loi agriculture et alimentation où toutes les mesures proposées pour améliorer le sort des animaux ont été balayées. L214 a un budget d’environ 5 millions d’euros : ce n’est rien à côté de Charal par exemple, qui consacre 17 millions d’euros à sa communication ! » Certaines voix dissidentes s’élèvent pourtant, comme celle de Jocelyne Porcher, sociologue à l’Inra Montpellier, qui dénonce une collusion d’intérêts entre les défenseurs des animaux et les industriels des biotechnologies – produisant de la viande in vitro. « Je ne pense pas que les associations défendent la cause des animaux, mais plutôt les intérêts des producteurs de viande de laboratoire. Pour preuve : il n’y a pas de projet commun entre tous ces acteurs de la défense animale, hormis le fait de ne pas manger d’animaux. »

L214 dément les liens d’intérêts, mais rejoint en partie le propos : les associations sont très nombreuses, et agissent en ordre dispersé. Au profit du lobby bien organisé de l’élevage intensif par exemple. Melvin Josse a pris le problème en main en créant Convergence animaux politique, une association de lobbying française : « Nous représentons aujourd’hui plus de 1000 associations. Nous offrons dorénavant un interlocuteur unique aux politiques sur la cause animale. » Un pas en avant qui permet également aux élus de constater qu’ils ne sont pas isolés au sein même de leur parti. « Les chasseurs et les éleveurs ont des lobbyistes à plein temps au niveau national mais également départemental et communal. Nous devons développer ce maillage territorial car c’est une force de frappe très puissante. » Dans ce contexte, les prochaines élections municipales sont l’opportunité idéale de faire élire des représentants adhérant à la cause, et ainsi d’amorcer un changement en profondeur du rapport de notre société aux animaux. Affaire à suivre.

 

Plus d’infos :

Politique-animaux.fr

L’Europe des animaux, de P. Durand et C. Marie, éditions Alma, mai 2019

Cause animale, cause du capital, de J. Porcher, éditions Le bord de l’eau, septembre 2019

 


[1] Selon un sondage Ifop Consumer & Retail réalisé en décembre 2018

[2] Selon un sondage Ifop publié le 23/10/2019

[3] Dans « L’électorat animaliste : nouvelle île émergente de l’archipel français », Ifop focus n°198, juillet 2019

 

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