[BICYCLETTE] A Grenoble, tout en vélo au boulot

Publié le jeu 18/03/2021 - 07:38

Pour traverser l'Isère en douceur et avec vue sur la Chartreuse en direction d'un rendez-vous médical, quoi de mieux qu'un petit vélo-taxi pour cette retraitée ? Crédit photo : B. Poussard

Par Bruno Poussard

Déménageurs, restaurateurs, taxis, livreurs, réparateurs, coursiers... En vélo-cargo, avec une remorque ou juste des mollets bien entraînés, tous ces métiers peuvent se conjuguer avec le verbe pédaler. Surtout en ville. Des professionnels bien équipés le pratiquent et le défendent à Grenoble. Reportage.

Le soleil n’a pas encore franchi les montagnes. Emmitouflé, Gauthier Urbain n’a plus qu’à enfiler ses gros gants avant de sortir son vélo. Les premiers rayons éclairent enfin Grenoble mais il gèle toujours en arrivant au Marché d’intérêt national. Dans les locaux de Mangez bio Isère qui relie producteurs et restaurateurs, une palette l’attend. Gauthier la charge sur sa remorque avec un chariot élévateur et repart à sa vitesse de croisière : 25 km/h. Casque sur la tête, l’Isérois de 29 ans enchaîne pistes et bandes cyclables, prévient « je passe à gauche » quand il double, déborde sur la route quand un plot le gène. Il livre deux crèches. Un lycée. Un restaurant de quartier. Un magasin de Vrac. Pas besoin de l’application de navigation Geovelo ce matin, Gauthier maîtrise. Diplômé de Sciences Po, il se reconvertit en accompagnateur en montagne tout en travaillant à vélo. Une envie de dehors, d’activité physique, d’éthique au boulot. Un temps auto-entrepreneur pour Deliveroo, il est employé par Toutenvélo Grenoble depuis un an. Sur des volumes moyens en milieu urbain, la livraison à la pédale proposée depuis 2016 par la coopérative est très compétitive. « On apporte en capacité d’adaptation, on est très souple », défend Jérôme Cucarollo. Tombé sur la vidéo d’un déménageur à vélo au Canada, il a décidé de monter sa boîte avec un ami, ex-cariste, sur le modèle d’une Scop rennaise née sept ans avant : « Toutenvélo est une freechise, une franchise gratuite ». Dans la capitale des Alpes, ils font des déménagements et du transport diversifié pour professionnels ou particuliers. Pas mal d’alimentaire et des tarifs adaptés à la fréquence, taille et distance. L’aire de la ville et 300 kilos (à la fois) sont les limites de leurs vélos équipés d’une assistance électrique pour protéger leurs genoux. Sur le « dernier kilomètre » près des zones piétonnes, les perspectives de la petite Reine sont énormes à leurs yeux, à condition d’accepter une période d’adaptation avant d’y gagner. « Avec certains, il faut passer le cap psychologique du ‘’c’est du vélo, c’est pas sérieux’’, décrit Jérôme. Non, on est une entreprise de logistique urbaine très efficace en ville-centre. »

Éthique environnementale

Un point de vue partagé. Non loin de la gare, Toutenvélo et son chiffre d’affaires de 100 000 euros en croissance ont un local mutualisé. C’est le siège de la deuxième Boîte à vélo de l’Hexagone, association qui promeut et défend l’entrepreneuriat à la force des mollets. Co-présidente avec Jérôme, Gloria Leroy est vélo-taxi. Cet après-midi, elle transporte une retraitée d’une résidence autonomie chez un dermatologue, un gros kilomètre plus loin. Avant de récupérer chez un fleuriste des pots à livrer puis une écolière en sortie de classe. Pour en vivre, elle conjugue taxi, livraisons fragiles et affichage à l’arrière de son triporteur 8 vitesses au petit moteur électrique. Venue de l’associatif culturel il y a cinq ans, Gloria n’est pas la seule à s’être reconvertie. Diplômée en marketing, Justine Jarnias a préféré se « faire plaisir » en proposant (à mi-temps) des massages à domicile. Où elle se rend avec sa table sur un triporteur à caisson repris pour sa stabilité à un ancien plombier. Équipement, soutien, conseil, les Boîtes à vélo misent sur l’entraide. Tous ont une sensibilité écologique, voire un « engagement climatique »selon Jean-Eric Mesmain. Ingénieur-mécanicien dans la micro-électronique puis l’énergie, il a passé un diplôme de technicien cycles pour fonder Bicyclopresto en 2016 et réparer à domicile, en entreprise, collectivité... Équipé d’un solide vélo cargo, il fait durer plus longtemps vélos, trottinettes ou fauteuils roulants. Pour lutter contre la pollution. « Quand tu t’intéresses aux déplacements, l’énergie déployée, le poids des véhicules et leurs émissions, le vélo est évident, énonce-t-il. J’en fais depuis 15 ans parce que ça m’évite de démarrer un moteur de 100 chevaux juste pour me transporter moi. »

Surtout pratique et efficace

Objet de militantisme, de liberté ou du quotidien, le vélo est souvent ancré en eux. Brigitte Perluss en a fait toute sa vie, mais c’est après un deuxième burn-out dans le milieu médical, à 55 ans, qu’elle en a fait son métier : glacière ambulante dans les parcs l’été, ou en événements en entreprise l’hiver (sans épidémie). Auto-entrepreneuriat, coopérative, SAS ou SARL, chacun son statut pour réussir à en vivre. Tout en partageant une recherche de bien-être et de sens. Après une carrière de cadre en grande entreprise, Cécile Jayet en avait marre de « parler marges ». À 45 ans, elle a monté Cycle Urbain pour défendre la mobilité douce. Avec quatre triporteurs et trois salariés, cette autre vélo-taxi travaille entre autres avec les Transports de l’agglomération grenobloise pour déplacer les abonnés de plus de 75 ans en intra-muros. Elle va faire de même pour les personnes à mobilité réduite. Leurs clients n’ont pas tous des convictions environnementales, mais ils trouvent le vélo bien pratique. Comme ce Métrovélo garé devant le cabinet infirmier Rive droite du quartier Saint-Laurent. Florence Combe-Davoine n’a plus de voiture et fait ses domiciles avec, son matériel dans un sac. Quatre nettoyeurs de vitres se jugent aussi plus efficients à bicyclette.

La rapidité et la régularité, sont les arguments de la société de coursiers Vélo cité service, plus que son faible coût carbone. « Le côté écolo n’est pas très entendu par les entreprises, il peut être polémique, on préfère ne insister dessus », justifient les co-gérants Philippe Steins et Sylvain Thill. Le premier a l’œil sur ses écrans, la souris dans la main, le téléphone dans l’autre et la carte de la ville dans la tête pour dispatcher les livraisons à ses salariés, quand le second monte à son tour en selle, le portable en mode talkie-walkie. Depuis 15 ans, la boîte livre chaque jour une centaine de plis et petits colis en sac à dos dans un délai d’une à deux heures. Sans moteur. Des aller-retours entre prothésistes et dentistes, des instruments médicaux urgents pour des chirurgiens, des documents administratifs à déposer, des chèques à mettre à la banque… « Les gens ne savent pas assez que ce service existe, alors que livrer le jour J est assez rare dans le domaine », regrette Sylvain. Passionnés payés à faire du sport, ces coursiers en CDI ont pourtant l’avantage d’adapter leurs services au besoin. Pour l’essentiel dans les limites de l’agglomération iséroise. Là où les distances rendent le vélo très rentable – à l’inverse du monde rural trop dispersé - et où les perspectives de développement sont grandes. « ÀGenève [de taille similaire], il y a cinq entreprises comme la nôtre dont trois de plus de quinze personnes », illustre Philippe. Une autre échelle est atteignable ici. Les équipements adaptés pour des métiers de plus en plus variés (restaurateurs, électriciens ou paysagistes) et pour transporter de plus en plus lourd augmentent les possibilités. Mais le principal frein réside dans les têtes selon ces pros, plus partenaires que concurrents. La prise au sérieux du vélo dans le boulot est longue. Mais les mentalités changent. À Grenoble, une coopérative locale et éthique, S!cklo, s’est montée pour livrer repas et autres commerces. Les pros à vélo font des petits.

Plus d'infos : www.bicyclopresto.fr

www.toutenvelo.fr

www.cycle-urbain.com

www.velocite-services.com

www.lesboitesavelo.org

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