ATTENTION : chantier collectif !

Publié le mar 26/09/2017 - 11:14

L’union fait la force. L’adage s’applique particulièrement à l’auto-construction. Car mieux vaut travailler en collectif pour bâtir intelligemment, en prenant en compte à la fois les dimensions écologiques et sociales. Cet ouvrage commun permet de limiter les erreurs et de partager les responsabilités. Le tout en apprenant à connaître ses futurs voisins...

Par Stéphanie Biju


 

BÂTIR MAIN DANS LA MAIN

À Saint-Médard-sur-Ille (35), huit familles relèvent le défi de l’auto-construction collective et accompagnée. Initié par les Compagnons Bâtisseurs de Bretagne, en partenariat avec le bailleur social Néotoa et la commune, ce chantier expérimental vise à favoriser l’accession à la propriété de familles aux revenus trop modestes pour le marché actuel. Comment ? En les impliquant dans la construction de leur maison et celles de leurs voisins !

Le calme n’est qu’apparent ce matin au lotissement Les Poiriers de Saint-Médard-sur-Ille. Il est 10 heures, Stéphane gare son véhicule près d’une des huit maisons à ossature bois qui prennent forme sur le site. « J’ai eu une panne de réveil », confie-t-il en enfilant ses chaussures de chantier. À l’intérieur de la maison, Romuald, Yann et Alessandro, eux, sont déjà à pied d’œuvre. Au rez-de-chaussée, concentré, Romuald vérifie la verticalité des rails métalliques, sur lesquels il s’apprête à visser les plaques de plâtre qui serviront de murs intérieurs. À l’étage, Yann et Alessandro montent les cloisons de distribution des pièces. En l’occurrence, la future propriété d’Élodie et Hamassanou, absents ce jour-là.

Depuis un an, à tour de rôle, huit familles d’auto-constructeurs consacrent ainsi une grande partie de leur temps libre à bâtir leurs futurs nids. Des T4 de 85 m², en ossature bois, sur deux étages, avec isolation en ouate de cellulose et laine de bois, équipés d'un poêle à granulés. Sur le chantier, chacun construit la maison des autres. L’effort est collectif mais aussi accompagné par les Compagnons Bâtisseurs de Bretagne, à l’origine de ce projet expérimental. Son but : permettre à des ménages aux revenus modestes d’accéder à la propriété à moindre coût, en participant activement à la construction de sa maison, ainsi qu’à celles de leurs futurs voisins. « Un peu dans le même esprit que les Castors dans les années 70 », compare Jacques Matelot, directeur adjoint des Compagnons Bâtisseurs de Bretagne, association d’insertion sociale à travers l’amélioration de l’habitat. Financièrement, le gain est estimé à 30 % ! Le coût moyen de ces maisons auto-construites, terrain compris, s’élève ainsi à près de 141 000 euros, au lieu de 180 à 200 000 pour un équivalent en lot libre.

Accompagnement technique, juridique, logistique

« Dans le cadre de notre travail sur l’amélioration de l’habitat des familles, nous rencontrons de plus en plus de personnes qui se sont lancées. Soit dans l’auto-construction ou l'auto-rénovation et qui, parce qu’ils ont un pépin ou ne se sont pas assez bien préparés, ne vont pas au bout, explique Jacques Matelot. À travers ce chantier accompagné, notre volonté est de sécuriser le projet, en apportant une aide technique mais aussi des garanties en terme d’assurance, de logistique, de financement. »

Pour ce projet atypique, les Compagnons Bâtisseurs de Bretagne devaient s’entourer de partenaires. Très vite, la commune de Saint-Médard-sur-Ille se montre intéressée et met à disposition des terrains à tarifs avantageux, assortis de quelques exonérations de taxes. Lionel Van Aertryck, le maire, est convaincu : « cette expérience s’appuie sur la coopération des auto-constructeurs, un état d’esprit qui montre leur potentialité à devenir demain des acteurs impliqués dans la vie communale ». Le bailleur social Néotoa, lui, accepte d’assurer la maîtrise d’ouvrage. «Outre le projet immobilier, il y a une vraie innovation sociale. Il s’agit d’un modèle alternatif d’accession à la propriété, motive Philippe Scouarnec, directeur de développement de Néotoa. L’enjeu, c’est aussi d’en faire une expérimentation qui puisse être reproductible. »

2000 à 2500 euros de revenus par mois

Les primo-accédants ont été sélectionnés sur des critères de revenus. 2 000 à 2 500 euros par mois et par foyer. Un groupe pas si facile à constituer : « il devait être suffisamment dimensionné pour que le projet soit viable. Il a fallu trouver des candidats motivés au même moment. Cela s’est fait in extremis. Sur les huit familles retenues, quatre ne connaissaient pas l’existence du projet trois mois avant le lancement de l’opération », raconte Jacques Matelot. Premiers à s’être engagés, Stéphane et Elisabeth n’ont pas hésité à participer à la « publicité » du projet pour voir leur rêve d’accession aboutir. « D'autant plus de cette manière-là ! », révèle Stéphane. « C’est surtout l’aspect collectif du chantier qui nous a séduit. Construire avec ses futurs voisins, apprendre à se connaître les uns les autres et tisser des liens avant même d’emménager, pour nous le cœur du projet est là », martèle l’auto-constructeur. Romuald et Shiho, le Smic à deux, ont, eux, eu vent du projet par le biais d’internet. « Placo, laine de bois, ossature… je n’y connaissais rien en bâtiment ! », lance Romuald. Comme la plupart de ses futurs voisins.

Si les fondations, dalles et réseaux enterrés, ainsi que la charpente et la couverture ont été confiés à des entreprises, les auto-constructeurs de Saint-Médard-sur-Ille doivent tout de même effectuer 40 % de la construction de leur maison. Plus particulièrement, tout l’aménagement intérieur. Un an après le démarrage du chantier, les gestes sont plus sûrs. « En huit mois, ils ont vraiment gagné en autonomie. Ils ont aujourd’hui une meilleure lecture et compréhension des travaux à effectuer et font des choses qu’ils n’auraient jamais pensé réussir seuls », se satisfait Frédéric Renault, animateur technique des Compagnons Bâtisseurs de Bretagne, présent en permanence aux cotés des primo-accédants. « Depuis trois mois, le chantier avance assez fort. »

Il le faut ! La remise des clés est prévue pour fin décembre prochain. La crémaillère collective risque de faire du bruit...

Plus d'infos: www.compagnonsbatisseurs.orgwww.neotoa.frwww.saint-medard-sur-ille.fr

 


INTERVIEW

DOMINIQUE GAUZIN-MÜLLER : « Construire écologique n’est pas forcément plus cher ! »

 

L’architecte Dominique Gauzin-Müller est une des plus grandes spécialistes françaises du bâtiment écologique. Enseignante à l’École d’Architecture de Strasbourg et auteure de nombreux ouvrages, elle a été rédactrice en chef du magazine Ecologik de 2007 à 2016. Elle dirige aux éditions Muséo la collection Transition écologique et prépare actuellement un livre consacré à la construction durable dans l’habitat social. Parution prévue pour le premier semestre 2018…

 

Comment qualifier aujourd'hui le parc français d'habitat social au regard des exigences de l'habitat écologique ?
Il y a plus d'innovations en matière d’économies d’énergie, d'utilisation de matériaux bio-sourcés ou géo-sourcés et de démarches participatives menées par des bailleurs sociaux que par des promoteurs privés. Tous les offices d’HLM ne sont pas des militants écologistes, mais certains sont très engagés. Sur le territoire de Bordeaux Métropole, Aquitanis travaille par exemple sur toutes les dimensions de l'habitat durable : énergie, rénovations, bâtiments en bois local venant des Landes, constructions en terre crue… Il est aussi reconnu pour son implication sociale, notamment via le projet d’habitat participatif et coopératif « La Ruche ».

Selon vous, l'habitat écologique doit-il concerner en priorité le logement social ?
Bien entendu ! D'abord pour donner l'exemple. Ensuite, parce que l'Habitat à Loyer Modéré loge une grande partie de la population. Et aussi parce que les foyers bénéficiant de l'habitat social sont souvent financièrement fragiles. Et qu'il convient de baisser leurs charges pour éviter les situations de précarité énergétique. Ceci dit, la précarité énergétique touche surtout des seniors propriétaires de pavillons construits dans les années 1960 ou 1970, qui sont de véritables passoires énergétiques. L'habitat social n'est donc pas le seul levier pour lutter contre ce fléau.

Les bailleurs sociaux font peut-être souvent la confusion entre habitat écologique et habitat thermiquement performant. Or un logement BBC n'est pas forcément construit avec des matériaux sains ?
Tout à fait ! Je défends depuis longtemps une approche holistique de l’architecture. C'est-à-dire globale et pluridisciplinaire. Il convient d'abord de penser l'échelle de l'urbanisme : rapprocher l'habitat du travail, des commerces et des services pour éviter les longs déplacements, sources de pollution et de fatigue. Il faut aussi penser l'environnement des bâtiments. Les aménagements paysagers comprenant des espaces végétalisés changent la vie des habitants.

Puis, il faut réfléchir à l'architecture. Un immeuble peut être passif ou BBC, tout en étant réalisé avec des matériaux qui demandent beaucoup d'énergie dite « grise », dépensée tout au long de leur cycle de vie : béton, isolation en polystyrène… Il convient de favoriser le recours à des matières saines, locales et naturelles, comme le bois, la terre ou la paille.

Cependant, est-ce que les coûts de l'habitat écologique peuvent être supportés par les bailleurs et maîtres d'ouvrage publics ?
Construire écologique n'est pas forcément plus cher ! Cela dépend de la façon dont on pense le projet. Il est par exemple possible de se concentrer sur la réalisation de surfaces dont on a impérativement besoin, en réduisant ou en mutualisant certains locaux entre les habitants d'un immeuble. Il est aussi possible de livrer le gros œuvre et de faire participer les futurs locataires à certains travaux, comme les peintures ou les enduits. Participer à la construction de son logement est très valorisant, et on prend plus soin de ce que l’on a fait soi-même !

Vivre dans un logement performant nécessite une phase d'appropriation par les habitants, pour apprendre à se servir des systèmes de traitement d'air ou de chauffage. Les bailleurs sociaux doivent-ils « former » les futurs occupants à l'utilisation de ces techniques ?
Certains bailleurs commencent à changer de point de vue sur les installations techniques, car elles ne sont pas toujours assez robustes. Chez Aquitanis, par exemple, l'accent est mis aujourd’hui sur la frugalité, notamment en favorisant la ventilation naturelle. Il faut alors que les logements soient traversants pour que l'air puisse circuler. On peut aussi mettre systématiquement des fenêtres dans les salles de bains, comme le fait l'architecte Philippe Madec. Quelques bailleurs commencent à recourir à des matériaux qui régulent l’humidité de l’air, comme la terre crue. Certains font le choix d'investir dans des matériaux sains et produits localement. Ce qui est également bénéfique pour l'économie des territoires !

À lire
Habitat social d'aujourd'hui, par Dominique Gauzin-Müller, Éditions Muséo, 2018 ; Habiter les lieux : de la RSE à la transition, par Bernard Blanc, directeur d’Aquitanis, Éditions Muséo, 2017.

 


INTERVIEW

Hervé Barry : « L'enjeu est de permettre aux ménages de bien maîtriser leur consommation énergétique »

 

Hervé Barry est sociologue à la Chaire Explorateurs de la Transition à l'université catholique de Lille. Il participe à la réalisation d’études dans les domaines de l’habitat, des politiques sociales et du développement durable.

 

Pourquoi l'habitat écologique doit-il en priorité concerner l'habitat social ?
Si on entend par habitat écologique, d'une manière un peu basique, « qui permet de maîtriser les consommations énergétiques », la première raison est que le parc HLM est occupé en très grande majorité par des ménages modestes à très modestes. Il est donc normal que la question de la performance énergétique, voire écologique de l'habitat se pose. Après, est-ce une priorité ? La difficulté c'est que les logements disponibles constituent par définition un stock de logements anciens, plus ou moins en bon état. Donc l'enjeu n'est pas simplement de produire de l'habitat écologique, mais de permettre aux personnes qui sont déjà dans des logements de maîtriser le plus possible leur consommation énergétique.

Vivre dans un habitat performant nécessite une phase d'appropriation par ses habitants pour apprendre à se servir des systèmes de traitement d'air, mettre peu de chauffage… Les bailleurs sociaux doivent-ils « former » les futurs occupants ?
Quelle que soit la qualité du logement il faut avoir un discours en direction des ménages. Il faut leur expliquer le lien entre leur manière de consommer l'énergie et leur facture. En fonction du patrimoine, il y a trois scénarios possibles. Dans le cas de logements nouvellement produits ou de logements rénovés, il faut accompagner les ménages dans un contexte technique qui évolue. En ce qui concerne les logements anciens, en attente de rénovation –, si tant est qu'il y ait un jour une rénovation –, c'est là que la compréhension de ce qui fait consommation est vraiment importante. Il faut s'adresser à tout le monde. Dans les logements sociaux, on a affaire à des ménages qui ont peu de ressources, donc s'ils arrivent à dégager un petit peu de marges financières, ils gagneront en confort de vie. Et pour les bailleurs, lutter contre les consommations énergétiques excessives, c'est aussi lutter contre les impayés de loyers. Pour eux il y a donc une convergence de plusieurs enjeux.

Par quel biais les bailleurs sensibilisent-ils les locataires ?
La première manière pour les bailleurs de communiquer c'est à travers le journal interne à destination des locataires. C'est le premier vecteur d'information, de sensibilisation. Après il y a des actions individuelles, en fonction des problèmes qui sont posés par un locataire. La sensibilisation peut aussi s'appuyer sur une dynamique collective, qui est beaucoup plus porteuse, avec des échanges de pratiques entre ménages similaires. Les bailleurs mettent en place ce type d'action à l'échelle d'un quartier ou d'un ensemble de logements regroupés et de même typologie.

Quand un bailleur inaugure une nouvelle opération, il met souvent en place des mesures d'accompagnement au moment de l'entrée des locataires dans les lieux. L'accompagnement peut se poursuivre par la distribution de livrets « éco-gestes » mais ceux-ci sont assez généraux et tiennent finalement peu compte du type de logement, du profil des ménages présents et de leur style de vie. Pour assurer la permanence des conseils, les bailleurs forment leur personnel de proximité, pas simplement dans les agences mais aussi les gardiens ou les concierges. Cela assure une continuité et développe leur contenu professionnel. C'est une réelle évolution dans la manière de faire de la gestion locative. À partir du moment où vous mettez de la valeur ajoutée dans la relation entre bailleur et locataires, vous avez des chances de mieux réguler les tensions qui peuvent exister entre les deux.

Avez-vous un exemple de règlementation visant le parc HLM pour favoriser les économies d’énergie ?
La loi de Transition énergétique impose la mise en place d'afficheurs déportés en complément des compteurs Linky pour les ménages éligibles au chèque énergie, qui va remplacer les tarifs sociaux de l'énergie. L’objectif est d’aider les ménages à suivre en temps direct leur consommation électrique. L’intention est bonne, mais le problème est que ce ne sont pas les ménages en situation précaire qui sont les plus consommateurs. Ils doivent bien sûr être aidés, soutenus, informés, mais si on veut réduire de manière générale la facture énergétique, ce n'est pas en direction de ces ménages-là qu'il faut agir en priorité.
Agir sur les comportements est indispensable à une bonne maîtrise des consommations (une réduction de 5 à 20 % est possible). Mais avant tout, il faut que les ménages disposent de logements techniquement et thermiquement performants, neufs ou rénovés.

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