ATELIER KLOUM : le design social made in Breizh

Publié le lun 08/01/2018 - 15:21

De leur petit garage à leur modeste bureau quimpérois, les deux visages de l’Atelier Kloum ont monté, voilà sept ans, leur collectif, et développé une philosophie de vie et de travail qui leur est propre. Leur objectif ? Recréer du lien social et de l’échange entre les individus, en repensant les espaces de vie.
Par Nora Moreau


© Atelier Kloum

L’Atelier Kloum, c’est Antoine Minguy et son associée et compagne, Bénédicte Rousset, tous deux 33 ans, plasticiens-designers diplômés de l’École européenne supérieure d’art de Bretagne (EESAB), à Rennes. Forts d’une petite centaine de projets à leur actif, ces artistes engagés et talentueux ont su tirer leur épingle du jeu en imaginant une jonction utile entre objets du quotidien, arts plastiques et scénographie. « Pour l’heure, on répond à beaucoup de commandes publiques, de l’ameublement à la valorisation du patrimoine, explique Antoine Minguy. On manipule des concepts, on agence des idées pour des services et des besoins. Notre vision du design, le plus souvent, consiste à imaginer des projets humains d’intérêt général avec les citoyens, que les élus, les institutionnels, entre autres, n’arrivent pas à formuler. » Le nom de l’atelier Kloum incarne cet état d’esprit. « C’est un nom dérivé du mot ‘skoulm’, qui signifie ‘noeud’, ‘lien’ en breton. Nous, on souhaite justement tout enchevêtrer, pour tout relier ! » Aussi, ce drôle de néologisme bretonnant, « Kloum », se veut-il « une faute d’orthographe volontaire » qui résume leur manière de voir le monde. Dans le bureau des Kloum, situé dans leur petite maison – rue des Oiseaux à Quimper – des feuilles de papier bien arrangées, des règles et autres objets de mesure, un ordinateur et une décoration colorée minimaliste. Un lieu de travail qui apparaît tout à fait normal, pour un métier qui l’est beaucoup moins... Leur projets, ils les mènent principalement en Bretagne – pour le moment –, entre les quatre départements. « On a beaucoup bossé avec des Établissements publics de coopération culturelle (EPCC) de la région. On a monté des projets d’expositions, de l’aménagement d’espace et du mobilier extérieur, le tout en faisant au maximum participer les gens. » En 2013, le projet « Avalenn » (« pommier » en breton), au Manoir de Kernault, site aux immenses jardins et vergers classés Natura 2000 près de Quimperlé (Finistère), est né de la réflexion de nombreux protagonistes : habitants de la commune, jardiniers, élus et responsables du cahier des charges. « On a tous travaillé en bonne intelligence pour créer un système de mobilier, entre bancs et tableaux interactifs adaptés à tous les publics, dont les scolaires. »

Pour les élèves, Antoine et Bénédicte ont aussi pensé de nouvelles façons d’interagir dans la cour de récréation. À Rennes, au collège Auguste Brizeux, ils ont conçu un type de banc proposant une grande surface d’assise. Il peut accueillir jusqu’à 25 personnes ! Inspiré par « la forme des bancs de sable à marée basse », ce projet, intitulé « Ensemble », invite les adolescents à discuter en petits groupes ou à pique-niquer entre amis.


© Atelier Kloum

De la même façon, mais en plein espace urbain, sur les bords de la Vilaine, le duo de l’Atelier Kloum a mis en valeur un parcours de promenade, à la demande de Rennes métropole, en mars 2016. Cet assemblage de plusieurs bancs bleus en forme de vagues, incite les riverains ou les visiteurs à marquer une pause. La nuit, ces derniers peuvent même manipuler un luminaire solaire, à la manière d’un petit phare éclairant le cours d’eau. Mais le projet le plus représentatif de l’esprit « social » des deux jeunes designers plasticiens, c’est celui des « Auges ». Un projet collaboratif, monté directement avec une petite vingtaine d’habitants fréquentant les maisons de quartier de Rennes. « Tout est parti d’un atelier participatif aux Champs Libres (*), "Pensez sauvage", explique Antoine. Il s’agissait de vulgariser la question du design dans l’espace urbain. Pour créer avec les habitants une dynamique qui puisse donner le jour à des installations réelles, impliquant du végétal au coeur de la cité. Et par la suite, de les concevoir et les fabriquer ensemble, de A à Z. » Suite à cet atelier, tous ont mis la main à la pâte, épaulés par Antoine et Bénédicte. « Nous avons ainsi développé une série de mobiliers proposant différents systèmes de culture végétale, de la plante grimpante comestible à la plante aquatique flottante, en passant par les aromatiques et médicinales… Tous ont été conçus à partir de véritables auges bovines ! », glisse Antoine avec un sourire. « Un vrai mobilier pour mammifères urbains ! On s’est amusé à détourner ces auges en bois pour en faire des contenants pour les bacs de végétaux. De fait, l’objet rural respecte parfaitement les exigences de résistance du mobilier urbain, tout en demeurant parfaitement écolo. » Une autre des caractéristiques de l’Atelier Kloum, vient de son engagement pour travailler le plus possible en circuits courts, avec des artisans et fabricants de la région. Comment ? En utilisant au maximum des éco-matériaux pour rendre les créations les plus respectueuses de l’environnement possible. « Pour les auges, on a utilisé des couvercles en bois de pays – qui peuvent servir pour terrasse et bardage. Tout a été usiné à la scierie de Cornouailles, près de Quimper. Les auges elles-mêmes viennent d’une production familiale de matériaux agricoles, au sud de Rennes. »

Récemment, les deux créateurs ont travaillé sur la nouvelle scénographie permanente du Château de Trévarez (fin XIXe), à Saint-Goazec, près de Quimper. Ce projet évolutif, lui aussi participatif, vise à introduire des objets de récup’ au coeur même du domaine. Objectif : redonner vie à son intérieur et surtout construire une exposition pérenne à partir de la mémoire des Bretons qui ont pu le visiter par le passé. « La valeur humaine de cette muséographie est vraiment forte, lâche Antoine, très attaché à ce projet. On y a intégré des contenus audio, vidéo, des témoignages en tout genre. Tout est très interactif. » Une femme qui s’est mariée au château raconte ainsi une anecdote amusante. Le jour de ses noces, au moment de quitter les lieux, les grilles étaient fermées. Elle a dû les escalader en tenue ! « Nous ne sommes pas face à une reconstitution historique mais sur un partage de souvenirs, histoire de dévoiler Trévarez sous un autre angle… Il est d’ailleurs toujours possible de déposer un témoignage audio ou écrit », a commenté le directeur du domaine, Vincent Gragnic, au journal Le Télégramme, lors de l’ouverture. « Nous avons même créé une sorte de jeu de piste ; de telle sorte que le mobilier peut être dérangé par le visiteur. »

L’un de leurs prochains chantiers aura aussi vocation à être participatif et évolutif. Il sera implanté près de Rennes, dans la commune de Noyal-Châtillon-sur-Seiche, dans le nouveau quartier de l’Isle. « Nous allons collaborer avec des auteurs, des poètes, des riverains et les futurs habitants pour créer des oeuvres et un mobilier urbain qui puisse leur permettre de s’approprier leur espace public.» Le projet devrait voir le jour dans le courant du premier semestre 2018. Pour l’heure, Antoine et Bénédicte vivent librement de leur travail en tant qu’artistes indépendants, mais aussi de leurs interventions dans les écoles et autres actions de médiation culturelle. Toujours en s’efforçant de renforcer ce lien social qui se dégage si bien de leur philosophie créative.

(*) Les Champs libres sont un équipement culturel de la communauté d’agglomération Rennes Métropole, regroupant la médiathèque de Rennes Métropole, le musée de Bretagne ainsi que deux associations, l’Espace des sciences et son planétarium ainsi que la Cantine numérique rennaise. L’ensemble est complété par une salle de conférence et une salle d’exposition.

Plus d'infos : www.kloumdesign.com


INTERVIEW


© Wikimédia Commons
 

STÉPHANE VIAL : « Concevoir les services publics avec leurs usagers »

Propos recueillis par FD

Stéphane Vial est enseignant-chercheur en design à l’Université de Nîmes et directeur du laboratoire de design et innovation sociale PROJEKT. Il revient avec nous sur cette discipline qui s’attache à co-produire des projets et services d’intérêt général avec leurs usagers.

Qu’est-ce que le design social ?

Le design traditionnel a pour but principal de produire des objets de consommation courante, de la voiture à la tasse de café. Le design social a lui un objectif supérieur : se mettre au service du bien commun. Nous utilisons les méthodes du design : graphisme, production d’espaces numériques... mais pour répondre à des besoins d’intérêt général. Le design classique se met au service de l’industrie, dont le but est de vendre. Il met en adéquation la forme, la fonction et le marché. Le design social met en adéquation la forme, la fonction et la société.

Le design social intervient dans le champ des services publics ?

Oui, même si cela n’est pas exclusif. Par exemple, les designers sociaux peuvent intervenir dans les établissements de santé. Nous avons une collègue, Marine Royer, qui a obtenu un financement du Conseil départemental du Gard pour travailler sur le sujet de l’autonomie des personnes âgées. Il s’agit de soutenir cette autonomie grâce à l’économie circulaire d’objets. Marine Royer réfléchit à la conception d’objets utiles pour les personnes âgées. Objets devant repartir dans le circuit lorsque celui- ci n’est plus utilisé par un individu.

Les pouvoirs publics font de plus en plus appel à des designers sociaux. Pourquoi ?

Oui. Car les designers de services publics amènent l’innovation au coeur des administrations. Ils repensent l’offre aux administrés en étant à l’écoute de leurs besoins et de la réalité des usages. C’est ce que nous appelons l’innovation publique. Il s’agit de concevoir des services publics avec leurs usagers. Nous parlons alors de « co-design ». Nous accompagnons les gens dans la réalisation de prototypages rapides et efficaces.

Le but est-il de mieux faire accepter les politiques publiques aux citoyens ?

Nous ne sommes pas là pour faire passer la pilule. Le design social n’est pas là pour aider le politique à instrumentaliser le citoyen mais pour aider le citoyen à transformer le politique. Nous sommes là pour créer les conditions d’une rencontre entre des experts et des usagers. C’est un enjeu qui rejoint la soutenabilité de notre société, c’est notre manière de contribuer à ce que celle-ci soit plus solidaire.

Plus d'infos : projekt.unimes.fr

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