Un pas vers un TOIT

Publié le dim 25/03/2018 - 13:04

En France, 3,5 millions de personnes sont pas ou mal logés. Face au manque d’offres d’hébergement et de logement en Haute-Garonne, et plus globalement, pour lutter contre la précarité, une association toulousaine innove. Avec ses chalets écologiques en bois démontables, Bois & Cie répond à un besoin de logement social mais aussi d’insertion en employant des salariés en difficulté.


QUAND LE BOIS JOUE LA CARTE DU LIEN SOCIAL

Utiliser le bois comme un outil d’insertion, c’est le but de Bois & Cie. Cette association toulousaine a décidé de monter Toits & Cie, un projet d’éco-construction d’habitats démontables et pérennes pour les plus précaires. Avec une originalité : employer pour son chantier des salariés en difficulté. Sur les 30 salariés que compte l’atelier de production, 21 bénéficient d’un contrat d’insertion.

Par Vanessa Vertus

Un vaste hangar niché au fond d’une cour du quartier de la Patte d’Oie à Toulouse. C’est ici que se trouve l’atelier de production d’habitats de Bois & Cie. Créée en 2005, cette association avait été pensée au départ comme un atelier de partage de savoir-faire autour du bois. Depuis plus d’une décennie, des passionnés se réunissent pour fabriquer meubles et autres objets en réutilisant des rebuts de bois. Il y a quelques années, l’association prend un tournant : celui de créer des habitats démontables en bois pour des publics précaires. Le projet n’est pas le fruit du hasard. Depuis 2009, Bois & Cie accueille des salariés en contrat d’insertion et constate que difficultés à s’insérer professionnellement et à trouver un logement sont liées. En 2015, l’association décide de faire du logement social pérenne son cœur d’activité et lance le projet Toits & Cie de manière très artisanale. « Au début, des menuisiers, des charpentiers, des ingénieurs capables de réaliser des études thermiques, tous adhérents de lassociation, ont travaillé sur différents prototypes », souligne Chloé Viennot, co-directrice du projet. Deux ans de travail et une levée de fond issue de fondations privées plus tard, l’atelier-chantier d’insertion d’habitats modulables et écologiques est né.

Depuis, les employés équipés de polaires chaudes et de chaussures de sécurité déambulent dans ce grand hangar qui n’affiche pas plus de quelques degrés sur le thermomètre en hiver. Ici, l’ambiance est studieuse. L’association a vendu ses trois premiers chalets… dont deux à des structures privées. Le groupe AG2R la mondiale dans le cadre du « répit des aidants », un dispositif qui soutient les familles qui s’occupent de leurs proches âgés ; l’autre à la SNCF chemin du Raisin, près de la gare toulousaine de Matabiau pour en faire des bureaux. Le troisième chalet a été construit et vient d’être livré à la mairie de Toulouse. Il devrait être monté dans le quartier Paléficat, au nord de la ville rose. La municipalité veut y loger des jeunes à la rue. Aujourd’hui, huit salariés permanents et 21 autres en insertion travaillent ensemble. Ces derniers sont présents pour une période de quatre mois à deux ans et accompagnés tout au long de leur(s) contrat(s) par une conseillère qui met au point avec eux une stratégie de retour à l’emploi.

Marie-Céline est la plus ancienne salariée en insertion de la structure. Arrivée il y a près de deux ans après une longue période de chômage, elle connaissait déjà l’association en tant qu’adhérente. Ancienne restauratrice d’orgues dans les églises, elle est familière de certains métiers du bois. Mais elle apprend depuis autre chose ; trier, couper, dégauchir, c’est-à-dire rendre droites des pièces de bois brutes... ces activités lui ont fait découvrir d’autres facettes de cet univers. Dans ce projet, tous les salariés doivent travailler pour toutes les étapes du chantier. Depuis octobre dernier, ce n’est pourtant pas dans l’atelier de production que Marie-Céline évolue mais dans le bureau des salariés permanents. «  Avec une collègue qui nest plus là maintenant, on a construit la charte de contrôle qualité. Nous avons réfléchi à ce quil fallait contrôler, ce qui était acceptable et ce qui ne létait pas », explique-t-elle. Test des bois livrés pour vérifier qu’il soient bien secs, triage des palettes en fonction de la place qu’elles occuperont dans la future habitation, découpage à la scie des pièces, contrôle des bois découpés et de leur conformité, toutes les étapes du chantier sont rigoureusement calibrées.

Un chalet témoin de 35 mÇ à étage siège au centre de l’atelier. Fabriquées en bois local, avec une isolation en laine de bois, les petites maisons de Toits & Cie sont écolo et s’inscrivent dans un projet d’économie circulaire. © Bois & Cie

Travailler le bois

Sur le terrain, c’est Christian Vergé qui vérifie que tout soit aux normes. Encadrant technique permanent, il est le chef de l’atelier d’insertion et a l’œil partout. Béret vissé sur la tête, cet amoureux du bois est né dans une famille de passionnés par ce matériau. « Mon oncle était ébéniste. La première fois que jai eu un rabot dans les mains, javais trois ou quatre ans », se remémore Christian. Le professionnel est habitué des chantiers de construction de maisons en bois. Mais ici, il compose avec des personnes dont le métier initial est parfois à mille lieux du monde de la construction. C’est le cas de David, qui a fui les conflits armés entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan. Casque sur les oreilles, masque sur la bouche, David coupe les longues planches de bois avec minutie. Une activité qui tranche avec son parcours universitaire. En Arménie, il a fait des études d’informaticien. Désormais, il apprend la langue de son pays d’accueil. La barrière du français, il n’est pas le seul à devoir la franchir. Le désastre humanitaire international de ces dernières années, caricaturé par le terme générique de « crise des migrants », s’est glissé dans l’association. Ici, il a un nom, un visage et une vie, celle de Mohamadin, salarié en insertion depuis quelques mois. En France depuis 2015, le jeune homme, réfugié soudanais, rescapé de la guerre du Darfour et qui a parcouru la Libye, fait partie de ces milliers d’hommes et de femmes qui ont traversé la Méditerranée. Il a vécu à Calais durant six mois avant d’obtenir le droit d’asile, de passer par Lorient et de venir vivre à Toulouse, aidé par une association. Ici, il reprend pied.

Un point de chute, c’est ce qu’a longtemps cherché Odile. De sa Réunion natale à Madagascar et aux différentes villes de France métropolitaine où elle a construit sa vie de femme, Odile a bourlingué. Une séparation houleuse et la voilà contrainte de passer un an dans la rue. Les techniques de construction d’un habitat, elle en avait une idée précise mais différente. « Pôle emploi a étudié mon CV et a compris que je pouvais travailler dans ce domaine. Je suis dessinatrice de génie civil de formation  », explique cette quadragénaire aux yeux rieurs avant d’affirmer : « Aujourdhui, je reprends ma vie en main petit à petit. » Réfugiés, chômeurs de longue durée, bénéficiaires des minima sociaux, jeunes en quête d’une formation, anciens sans domicile fixe, les parcours hétérogènes de ces salariés balaient les clichés qui voudraient les mettre dans une seule case. Et conforte une idée, celle de l’utilité d’une activité sociale comme puissant vecteur pour reprendre sa vie en main. 

Plus d'infos : 
www.bois-et-cie.asso.fr


UN CONTEXTE ALARMANT

Par Virginie Guéné


Le projet Toit & Cie de l’association Bois & Cie est né d’un constat : « Une faible offre d’hébergement face à une forte demande sociale ». En effet, l’association a fait une étude d’opportunité en amont du développement de son activité. Compte tenu de « lexplosion de la mise à l’abri à l’hôtel (250 personnes), dun dispositif d’hébergement d’urgence saturé (une demande sur 5 satisfaite en Haute-Garonne) et dun dispositif d’insertion insuffisant (une demande sur 10 satisfaite) », le diagnostic territorial « révèle des besoins très importants de solutions d’hébergement d’urgence et d’insertion en Haute-Garonne. »

La question du logement n’est pas à prendre en compte de manière isolée. Bien souvent, celle-ci est effet liée à une problématique d’emploi. L’association a donc décidé de concilier les deux : développer de l’emploi à faible qualification pour produire des logements.

Une belle façon de lutter globalement contre la précarité sur le territoire.


Un projet à haute valeur environnementale

Par VV

Les chalets modulables du projet Toit & Cie sont des constructions 100  % écologiques. Le bois utilisé pour la construction provient exclusivement de forêts occitanes. Ainsi, l’ossature et le bardage des chalets viennent de la scierie Ferré située à Lavaur dans le Tarn, le parement intérieur des chalets est fait en bois des Landes. Même le design de l’escalier des chalets à étage a été dessiné localement, par Camille Platevoet, une artisane du coin. La cohérence du projet est poussée jusqu’au choix du matériau isolant : de la laine de bois, un matériau biosourcé. En faisant ces choix, l’association s’inscrit dans un projet d’économie circulaire. L’isolation thermique des chalets répond à la réglementation thermique de 2012 qui vise à limiter la consommation énergétique des bâtiments. Votée lors du Grenelle de l’Environnement en 2007, cette exigence n’est pourtant, à ce jour, obligatoire que pour des surfaces de plus de 50 m². Or Bois & Cie propose deux modèles de chalets inférieurs à cette surface : un studio de 20 m² et un modèle plus grand avec un étage de 35 m². Mais l’association souhaitait avoir un double impact par ses constructions : protéger l’environnement et limiter les dépenses énergétiques d’un public précaire. Un petit chauffage d’appoint électrique suffit à chauffer l’ensemble du chalet.

Dans cette même optique, Bois & Cie travaille désormais à une nouvelle version d’habitat pour répondre aux enjeux de la réglementation thermique 2020. Prochaine étape pour l’association, être identifiée dans le projet « Bâtiments No Watt », initié par la région Occitanie-Pyrénées-Méditerranée. Objectif : soutenir financièrement les habitats qui limitent leur empreinte écologique depuis l’extraction des ressources utilisées jusqu’à la fin de vie du bâtiment.

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