Les Glaneurs rennais, sus au gâchis

Publié le mer 30/01/2019 - 19:09

 Par Emilie Veyssié  

Les Glaneurs rennais récupèrent les fruits, les légumes et le pain invendu du plus grand marché de Rennes. Grâce à cette initiative locale et citoyenne, ils évitent le gâchis de presque huit tonnes d’aliments par an et nourrissent gratuitement des dizaines de personnes, chaque semaine.

Sur le marché des Lices de Rennes, ce matin-là, une dizaine de personnes s’activent, coiffées de bonnets rouges en laine. Parmi elles, Léandre, Benjamin et Coline, la vingtaine, sont munis de caisses vides et d’un diable. Ainsi équipés, ils passent voir les commerçants de fruits et légumes. Léandre, étudiant en deuxième année d’histoire, est à la tête de la file. « As-tu quelque chose pour moi ? », demande-t-il au commerçant. « Non pas encore, repasse plus tard », répond le maraîcher.

Les trois jeunes font partie de l’association les Glaneurs rennais. Tous les samedis, ils se retrouvent au marché des Lices pour récolter auprès des commerçants partenaires leurs invendus. Ils trient les fruits, les légumes et le pain par catégories, puis ils les redistribuent ensuite gratuitement.

Léandre s’est engagé auprès de l’association il y a quatre mois. Au début, il était bénéficiaire. « Les Glaneurs rennais m’ont bien aidé quand je n’avais pas beaucoup d’argent. J’ai ensuite décidé de devenir bénévole, car je trouve normal d’éviter de gaspiller », raconte-t-il.

30 kg à la poubelle par an et par habitant

En France, 10 millions de tonnes de produits sont jetées chaque année, selon l’Ademe, soit l’équivalent de 16 milliards d’euros. Le gâchis a lieu lors de la production (4 % de pertes et gaspillage), de la transformation (4,5 %), de la distribution (3,3 %), mais également lors de sa consommation (7,3 %). Ce sont les consommateurs qui jettent le plus, avec une moyenne de 30 kg par an et par habitant.

Pourtant, le pays fait figure de pionnier en matière de lutte contre le gaspillage alimentaire, avec la loi Garot du 11 février 2016, qui oblige chaque supermarché de plus de 400 m² à conclure un partenariat avec une association, afin de lui faire don de ses invendus. Cette législation a permis, selon l’antenne française du programme alimentaire mondial des Nations Unies, une augmentation des dons aux associations de 22 %.

Et la législation continue d’évoluer en ce sens : le 2 octobre, le projet de loi Agriculture et alimentation, dit EGalim, a été définitivement adopté par le Parlement. Le texte contient un article sur le gaspillage alimentaire, qui prévoit notamment d’étendre la possibilité de dons des invendus à la restauration collective et à l’industrie agroalimentaire.

Des fruits, des légumes et du pain

Les Glaneurs rennais évitent un gâchis au niveau de la chaine de production, dont le législateur ne s’est pas encore saisi : les invendus sur les marchés. En un an, presque huit tonnes d’aliments encore consommables ont été récoltées par les bénévoles sur un seul marché.

L’idée de créer les Glaneurs rennais a germé dans la tête de Simon, un étudiant en Master de 27 ans. À l’époque, il glanait déjà pour l’association Coeur résistant, qui vient notamment en aide aux sans-abris. Il s’était alors fait la réflexion qu’avec une équipe organisée, beaucoup plus d’invendus pourraient être récupérés sur le marché. Il a donc décidé de déposer le projet de l’association en novembre 2017 sur le site de la Ville de Rennes, qui organise chaque année un concours et finance les projets ayant retenu le plus de votes de la part des citoyens. Bingo : les Glaneurs rennais ont remporté le plus de voix.

« Venir ici le samedi, c’est vital pour moi »
Py, bénéficiaire des Glaneurs rennais

Avec ce concours, ils ont alors obtenu une subvention de la ville, puis de Rennes Métropole. Avec cet argent, ils ont acheté les barnums, les tables, les diables, les bonnets rouges et tout le matériel dont ils ont besoin. Aujourd’hui, l’association compte une trentaine d’adhérents d’horizons et d’âges différents. Durant l’année, une centaine de bénévoles aident sur le marché.

Les Glaneurs ne récupèrent pas de produits devant être maintenus au frais pour ne prendre aucun risque avec la chaine du froid. En moyenne, ils obtiennent 150 kg de fruits, de légumes et de pain par jour de marché, le samedi. « Les commerçants sont contents, parce qu’on propose une autre issue que la poubelle à leurs invendus. On revalorise leur travail en redistribuant leurs produits, explique fièrement Simon. Il y a même des commerçants qui ramènent des caisses d’aliments non calibrés pour la vente, pour nous les donner directement, comme des kiwis trop petits ou des concombres biscornus. »

Donner plutôt que jeter

Léandre, Benjamin et Coline s’arrêtent chez une fleuriste qui leur tend une plante légèrement fanée et des plants de fraisiers. Chez un autre commerçant, cette fois, ils récupèrent une caisse entière de diverses fanes, des verts de poireau et des tomates abimées. À côté, Amélie, maraîchère et fleuriste, leur donne quatre salades : « Je préfère donner plutôt que jeter. »

C’est la fin du premier tour, le petit groupe se dirige vers le stand des Glaneurs, en contrebas du marché, où des tables et une tonnelle floquée au nom de l’association ont déjà été installées. Chaque caisse est pesée et les bénévoles commencent à disposer les produits par catégorie. Fatia, la quarantaine, est assistante de direction. C’est la première fois qu’elle vient ce matin-là : « Je suis surprise de voir si peu de personnes de ma génération. C’est dommage, nous sommes tous concernés par la Terre qu’on va laisser à nos enfants. »

Quelques instants plus tard, le groupe de Léandre, qui s’est agrandi avec une nouvelle bénévole, Noémie, repart pour le deuxième tour.

Un revendeur de fruits et légumes leur tend une cagette d’avocats et de bananes très mûres.

Noémie aide à disposer les caisses sur le diable : « C’est la troisième fois que je participe. Je glanais déjà dans les marchés, mais seulement pour ma consommation personnelle. » Un engagement en cohérence avec sa vie professionnelle, puisqu’elle vient de créer Kolectou, une entreprise qui fabrique des préparations sèches pour gâteaux à base de farine de pain recyclée. La récolte se poursuit et les caisses se remplissent : tomates, haricots verts, radis, aubergines, raisins, prunes… et le diable ne suffit plus.

Une récolte vitale

Bientôt 14 heures, la queue des bénéficiaires auprès du stand s’est agrandie. Au moins 70 personnes, munies de sacs et cagettes, patientent. Un vieil homme du nom de Py est le premier de la file. « Je viens depuis deux mois pour les pommes de terre, les carottes, le pain. S’ils n’étaient pas là, je ne pourrais me nourrir que de boites de conserve. Venir ici le samedi midi, c’est vital pour moi », confie-t-il. Dans la file, pas de profil type. Beaucoup de jeunes, des étudiants, des gens d’âge mûr et des personnes plus âgées.

« Nous ne sommes pas dans l’intrusion avec nos bénéficiaires. On ne connait pas leur situation financière. Parmi eux, il y a aussi des personnes qui viennent, car elles sont dans le zéro déchet », détaille Camille, bénévole depuis le début de l’aventure. Claire-Lise et Justine, deux étudiantes, font la queue elles aussi. « On salue leur initiative, car cela facilite la répartition équitable et accessible des invendus à tous », soulignent-elles.

Les produits partent tous très rapidement. « Cela correspond à une réelle demande », estime Camille. Cette semaine-là, les Glaneurs ont récolté 186 kg de fruits, de légumes et de pain, abimés, trop mûrs ou moches. C’est toujours cela de moins dans nos poubelles.

 

Plus d’infos

Facebook : Les Glaneurs rennais

www.kolectou.com

 

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