Habitat partagé : l'avenir en commun

Publié le lun 07/05/2018 - 11:32

En juillet 2017, dans la banlieue lyonnaise, est née la première coopérative d’habitants de seniors. Une expérience humaine riche, portée par des valeurs fortes : non- spéculation, partage, mixité sociale, solidarité, écologie… Autant d’ingrédients qui permettent aux membres de Chamarel de prendre leur vieillissement en main et d’afficher leur logement comme une alternative crédible à la maison de retraite.

Par Leïla Piazza

À l’extérieur, rien ne semble le distinguer des autres. Et pourtant, cet immeuble de Vaulx-en-Velin n’est pas tout à fait ordinaire. Dans le hall d’entrée, à côté des traditionnelles boîtes aux lettres, des panneaux d’affichage annoncent des réunions, des tours de ménage… Des portes mènent vers une salle commune, une buanderie, un atelier, une cave ou encore un local à vélo partagés. En juillet 2017, 18 personnes, âgées de 56 à 72 ans, ont emménagé dans la première coopérative d’habitants de séniors. L’immeuble Chamarel (Coopérative d’HAbitants, Maison Résidence de l’Est Lyonnais) compte 16 appartements mais aussi nombre d’espaces où on« collectivise », selon le vocabulaire employé. Les machines à laver, les outils, le matériel sportif et la cave sont par exemple partagés. Équipée d’une cuisine, la salle commune sert lors des réunions hebdomadaires du groupe, suivies d’un repas convivial. Mais « c’est aussi là que l’on reçoit nos amis et nos familles »,explique Hélios Lopez, l’un des membres de Chamarel. Les appartements sont en effet de taille restreinte. Mais l’immeuble possède deux chambres d’amis, accompagnées de salles de bains qui, comme les autres espaces, sont conçues pour la perte de mobilité. À chaque étage, les appartements sont reliés par des coursives où l’on trouve une bibliothèque commune, répartie sur les quatre niveaux de l’immeuble. Mais aussi une zone où « les gens mettent ce qu’ils veulent collectiviser avec les habitants de leur étage »,explique Michèle Burloux Tortonèse, co-fondatrice de ce projet fou.


La salle commune est le lieu des réunions hebdomadaires du groupe mais aussi là où chacun peut recevoir amis et famille. © L. Piazza

« LE RÊVE FUMEUX EST DEVENU PROJET »

Tout a démarré en 2009, se souvient- elle. « Avec deux amis, on était dans un moment où on pensait à l’avenir, au vieillissement. En fait, on devait de plus en plus accompagner nos parents et du coup, on se questionnait sur une solution pour ne pas être trop encombrants pour nos enfants. Petit à petit, a mûri l’idée d’un lieu de vie commun, dans la solidarité, avec des personnes choisies, qui partageraient nos valeurs. »Au cours de ses recherches, le groupe rencontre Habicoop, la Fédération française des coopératives d’habitants, puis les futurs habitants du Village Vertical. « On s’est rendu compte que c’était possible. Tout d’un coup, le rêve fumeux est devenu projet ! On se reconnaissait dans les valeurs portées par l’habitat coopératif : la non-spéculation, la solidarité, la mixité sociale… »,se souvient Michèle Burloux Tortonèse. Les trois amis se sont alors lancés. Non sans embûches. Car jusqu’à la loi Alur de 2014, l’habitat coopératif n’était ni reconnu, ni encadré en France. Ce qui ne facilitait pas les démarches auprès des promoteurs, des banques et des éventuels soutiens financiers. Il a fallu convaincre. D’abord les pouvoirs publics, pour qu’ils acceptent de leur vendre un terrain puis qu’ils se portent caution pour l’obtention d’un crédit.

UNE 3E VOIE CONTRE LA SPÉCULATION

En l’absence de cadre spécifique, les futurs habitants ont créé une SAS à capital variable. Chacun a acheté des parts sociales afin de regrouper 20 % du montant total du projet. Grâce à cet apport et aux cautions apportées par la mairie de Vaulx-en-Velin et la Métropole de Lyon, la SAS a pu obtenir un crédit, sécurisé par le bailleur Est Métropole Habitat. « La société est propriétaire de l’immeuble. Et nous des parts sociales, résume Chantal Nay. Chaque mois, on verse une redevance à la société. Une partie est comme un loyer. Une autre, permet d’équilibrer les comptes de la société, via un compte courant associé. »Si l’un des habitants décidait de partir, il récupérerait uniquement cette part versée sur le compte courant associé, ainsi que ses parts sociales initiales. Un modèle parfois difficile à saisir mais qui répond à l’une des valeurs centrales de l’habitat coopératif : la non-spéculation. « C’est une 3e voie. On n’est ni propriétaire, ni locataire »,résume habilement Michèle Burloux Tortonèse.


Une grande bibliothèque collective est répartie entre les 4 étages de l’immeuble. © L. Piazza

Comme l’estime une autre habitante, Michelle Danière, « on ne vient pas seulement ici pour habiter ». Chamarel est un projet de vie permettant de mutualiser les moyens et le recours à des aides (soins, ménage, etc.). Mais c’est aussi un projet militant. Celui du refus de la solitude et du rejet des maisons de retraite, comme le raconte cette dernière : « Je travaillais en maison de retraite. Et je voyais que beaucoup de résidents gardaient leur tête et auraient été capables de gérer leur vie. Ils en étaient très malheureux. Je me suis promis de trouver une autre façon de vivre le vieillissement. »

DÉMOCRATIE ET AUTOGESTION

Le groupe s’est aussi fixé un objectif de mixité sociale. 14 des 16 appartements sont des logements sociaux. Et chacun a acheté des parts sociales en fonction de ses moyens. « C’est un vrai engagement,ponctue Thérèse Martin. On partage des valeurs : la non-spéculation, l’envie de vieillir ensemble, la solidarité, la bienveillance… On construit, on grandit ensemble. J’aime cette idée d’intelligence collective. On est dans l’autogestion. » Le groupe, qui se réunit une fois par semaine, prend toutes ses décisions par consensus, parfois après de longues discussions. « Cela permet d’apprendre à gérer ses frustrations et à se remettre en cause constamment »,lâche Thérèse Martin. « C’est un bordel très organisé ! », résume dans un sourire malicieux Hélios Lopez, le libertaire. « Ce fonctionnement est un gage de démocratie,explique Michèle Burloux Tortonèse.Mais c’est aussi une mobilisation psychique et intellectuelle permanente qui aide à lutter contre le repli sur soi et l’aigreur, souvent associés au vieillissement. »

Et pour le bâtiment : « On voulait que la construction soit la plus écologique possible »,indique Michelle Danière. Entouré de son jardin, de son compost et de son parking en revêtement de noyaux de pêches recyclés, il a été pensé par le cabinet d’architecte Arkétype, spécialisé en éco-construction. « Lorsqu’ils sont venus me voir, ils savaient déjà qu’ils voulaient une isolation en paille,expose Clément Bel d’Arkétype. On a réfléchi ensemble, en fonction des ressources locales. Et on a opté pour des murs de structure bois, isolés en paille et recouverts à l’intérieur d’un enduit à base d’argile. » Une terre trouvée au plus près puisqu’elle vient directement du jardin des Chamarel.


LE VILLAGE VERTICAL, HABITAT PIONNIER

La commune voisine, Villeurbanne a auparavant accueilli la première expérience d’habitat coopératif en France : le Village Vertical. Démarré en 2005, le projet de 14 logements n’a abouti qu’en 2013. En partenariat avec Habicoop et en l’absence d’encadrement, il a fallu en effet inventer un montage juridique. Au cours d’une visite, l’ex- ministre du Logement, Cécile Duflot, y a annoncé la création d’un statut juridique, au sein de la loi Alur du 24 mars 2014.


L’HABITAT PARTICIPATIF SE DÉVOILE

Par VG

Les Journées Portes ouvertes de l’Habitat Participatif se déroulent tout au long du mois de mai. Le programme détaillé dans votre région pour découvrir ce mode de vie.

L’association Les HABILES (Habitats isérois libres et solidaires) propose de nombreux événements en Isère :

• Mercredi 23 mai, visite à partir de 18h de la Colo, habitat groupé autogéré de 6 logements (1991). 765, chemin de Montbivet, à Biviers.

• Vendredi 25 mai à 17h30, visite et apéro-dînatoire participatif au Clair du Quartier, un habitat de 5 logements en auto-promotion issu d’un appel à projet de la Ville (2017). 1 bis rue des Cahmpas-Élysées à Grenoble-Eaux Claires.

• Samedi 26 mai à 9h30, visite de l’Androsace, habitat en accession sociale de 7 logements (2016). Rdv au 12, rue Capitaine Lanvin Lespiau, Grenoble Presqu’Île.

• Samedi 26 mai à 11h, visite de Domisilami, habitat de 6 logements en autopromotion avec diversité des âges (2012), 7 passage du Marché, quartier Saint-Bruno à Grenoble.

• Dimanche 27 mai, à 11h, visite du chantier et pique-nique partagé avec les futurs habitants de La Prédelle, un habitat de 5 logements actuellement en construction, en autopromotion. 2, rue du Pré d’Elle, 38240 Meylan.

• Dimanche 27 mai, à 15h, visite et goûter partagé aux Granges des Toits Liés, un habitat intergénérationnel et bioclimatique de 8 logements (2013). 111, rue du Maniglier, à Pontcharra.

Plus d'infos : leshabiles.org

L’association Cohab’titude et Habitat & partage organisent le 27 mai, de 14h à 17h, une visite des Choux Lents, un habitat participatif de 7 foyers au nord de Lyon. RDV au 19, av. de la Résistance, 69650 Saint-Germain-au-Mont-d’Or.

Plus d'infos : cohabtitude.org et habitatetpartage.fr

À l’heure où nous bouclons, toutes les portes ouvertes organisées dans la région ne sont pas encore définies. Mais le site de l’Habitat Participatif remet à jour régulièrement la carte qui recense tous les événements de cette manifestation nationale. N’hésitez pas à la consulter sur www.habitatparticipatif.eu

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