Cantal - Un toit et un emploi pour les mal-logés d’Île-de-France

Publié le mar 25/09/2018 - 11:51

Par Sonia Reynes

À Aurillac, dans le Cantal, le programme « Un toit, un emploi » permet à des habitants d’Île-de-France de rompre avec le mal-logement et d’habiter dans des appartements proposés par un bailleur social. Le gain pour le territoire ? De la main-d’œuvre, là où plusieurs professions sont en tension.

« Entre juin 2015 et décembre 2017, grâce à ce projet, nous avons accueilli à Aurillac vingt-et-une familles, soit quarante-huit personnes, adultes et enfants », détaille Pascal Polonais, chef de service d’Aurore à Aurillac. Né il y a environ quatre ans, le programme « Un toit, un emploi » part d’une double réalité. D’abord, le constat du mal-logement en Île-de-France : « 36 000 personnes sont hébergées tous les jours à l’hôtel par le SAMU social », rappelle Jean-François Roux, directeur administratif et financier de Polygone. Ensuite, à plusieurs centaines de kilomètres de là, à Aurillac dans le Massif central, « nous sommes quasiment au plein emploi, avec un taux de chômage inférieur à 6 % », explique Pascal Polonais. Cependant, la population active est en baisse et les métiers du bâtiment, des transports et de l’hôtellerie sont en tension et manquent de main-d’œuvre.

L’association d’insertion Aurore et le bailleur social Polygone se sont associés pour résoudre ce problème : ils proposent à des Franciliens de s’installer à Aurillac et les accompagnent pour trouver un logement et un emploi. « Les familles franciliennes intéressées viennent découvrir la ville pendant une semaine, puis ils repartent à Paris pour réfléchir, précise Pascal Polonais. Et lorsqu’elles décident de s’installer, elles choisissent un appartement. » L’association les aide également dans toutes leurs démarches administratives.

Athula et Palika Wittanage étaient parmi les premiers bénéficiaires du programme « Un toit, un emploi ». Ils ont tous les deux trouvé du travail à Aurillac. © S. Reyne

« Une vie simple, au calme »

Quelques célibataires, des familles monoparentales et des couples avec enfants ont sauté le pas et se sont installés dans le Cantal. Avec cette forme innovante de prise en charge, Aurore s’adapte à l’évolution de la précarité et de l’exclusion.

Mesti Tamani est entrée dans ce programme après avoir été conseillée par l’association SOS femme battue. « Je voulais démarrer une nouvelle vie et élever mon fils dans une ville calme, dans laquelle il aurait une bonne éducation, explique-t-elle. Je ne me sentais pas bien dans une grande ville. » Subissant des violences conjugales, elle s’était réfugiée chez sa tante : « Mais je n’étais pas chez moi. » L’association Aurore a pris le relais pour aider Mesti Tamani à mettre en place sa nouvelle vie. À Aurillac, tout a changé : l’école pour son fils de cinq ans, Dayssam, est à cinq minutes à pieds. Son travail, qu’elle exerce à temps partiel, est à vingt minutes de son logement. « Je peux me construire une vie simple, au calme. Et le samedi, mon fils peut aller au judo », explique-t-elle.

« Au total, 60 % des adultes accueillis travaillent ou sont en formation », constate Pascal Polonais. À Aurillac, la population jeune et active baisse : depuis 2009, la tranche d’âge allant de 30 à 44 ans a diminué en proportion de 17 %. Le taux de chômage reste cependant très faible et d’ici 2020, près de 1500 personnes vont partir à la retraite. « Il existe des besoins en main-d’œuvre pour des postes demandant un faible niveau de qualification », ajoute Pascal Polonais.

« C’est grand, je suis bien, ici »

Certains nouveaux arrivants travaillent en CDD, comme Mesti Tamani. D’autres sont déjà en CDI ou en intérim, comme Jacques Datt, 58 ans, plombier, qui s’est installé dans la région à la fin du mois de mars. « J’ai passé dix ans en Espagne et, comme je n’ai pas cotisé pendant cette période, je dois encore travailler, explique-t-il. Je suis venu en immersion durant une semaine et j’ai trouvé une mission d’intérim. Lorsque je suis rentré à Paris, j’ai dit à l’association que j’étais très motivé et pressé de commencer. »

Jacques traverse à grandes enjambées son appartement : « C’est grand, je suis bien ici, sourit-il. Je n’ai pas eu le temps de meubler toutes les pièces, parce que je travaille tout le temps depuis que je suis arrivé. » Et il y a de la surface : il vit maintenant dans 70 m² « pour un loyer qui payait à peine 14 m² en région parisienne ».

Le bailleur social qui fournit les habitats, Polygone, est à la tête de près de 5 000 logements locatifs, répartis sur six départements ruraux : l’Aveyron, le Cantal, la Corrèze, le Lot, la Lozère et le Puy-de-Dôme. Avec son siège social dans le Cantal, l’entreprise enregistre un développement important : 3 000 logements familiaux ont été créés ces vingt dernières années. Le parc locatif est confortable et lui permet de proposer un large éventail d’appartements aux Franciliens, lors de leur arrivée à Aurillac.

Mère célibataire, Mesti Tamani voulait donner « une bonne éducation » à son fils. © S. Reyne

« Ici, mon épouse travaille, et moi aussi »

D’autres adultes entrent en formation lorsqu’ils arrivent dans le Cantal. Athula Wittanage, un Srilankais qui exerçait la profession de journaliste dans son pays, suit maintenant une formation de boulanger-pâtissier, après un passage à l’École de la 2e chance. Avec sa femme Palika et son fils, ils sont l’une des premières familles à avoir tenté l’aventure. « À Paris, nous avons vécu pendant plus d’un an à trois dans une chambre. Nous étions sans emploi. Ici, mon épouse travaille et moi aussi », explique l’ancien journaliste, qui dit avoir fuit des persécutions. Dans le Massif central, il a rapidement trouvé un contrat de travail de quelques mois. Reste encore à perfectionner la maîtrise de la langue : « Apprendre le français est difficile, mais les gens sont très accueillants », précise-t-il. Le transfert de la capitale à la province semble être réussi : en plus de toutes ces activités, Athula Wittanage s’est aussi mis à animer des ateliers artistiques.

 


Jean-François Roux : « Polygone veut être un acteur engagé »

Jean-François Roux est le directeur administratif et financier de Polygone, bailleur social qui fournit les logements dans le cadre du programme « Un toit, un emploi ».

Pourquoi Polygone s’est-il lancé dans le programme « Un toit, un emploi » ?

Notre raison d’être est de construire, mais nous essayons aussi de cultiver d’autres valeurs. D’abord, l’innovation : la démarche « Un toit, un emploi » est une expérimentation sociale. Ensuite, l’engagement, car nous souhaitons être un acteur engagé dans les territoires où nous intervenons.

Est-ce que beaucoup de logements sont vacants à Aurillac ?

La vacance chronique, c’est-à-dire dépassant les trois mois, existe. Mais elle est relativement faible et ne représente que 3 % des logements vacants. C’est principalement la rotation de l’occupation des logements qui permet de proposer facilement des locations. C’est une différence majeure avec les organismes franciliens, où le taux de rotation est très faible : de l’ordre de 6 %, quand il est de plus de 15 % à Aurillac.

Quel bilan tirez-vous de ce programme ?

Une petite trentaine de familles ont été accueillies mais, pour quatre d’entre elles, la greffe n’a pas pris. Deux familles ont gagné en autonomie et ne sont plus suivies.

Quels sont les objectifs pour les mois à venir ?

Nous sommes en phase de recherche de crédits, et nous répondons aussi à des appels à projets dans le but d’essaimer dans d’autres territoires, comme le Lot et la Lozère.

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