[INTERVIEW] Laurent Mucchielli : « La surveillance en direct est un leurre »

Publié le mer 17/11/2021 - 11:00

Directeur de recherches au CNRS spécialisé dans la sociologie de la délinquance et des politiques de sécurité, auteur d’une enquête sur la vidéosurveillance, Laurent Mucchielli dénonce la faible utilité de ces dispositifs qui détournent les policiers municipaux de leurs missions de proximité sur la voie publique.

Vous avez mené une enquête dans une demi-douzaine de villes de toutes tailles sur les caméras de vidéosurveillance qui se développent dans l’espace public. Selon vous, servent-elle vraiment à assurer la sécurité de la population comme l’avancent les politiques qui en font la promotion ?

Les élus parlent souvent de protection face au risque terroriste, mais c’est naïf ou mensonger. Nice, la grande ville la plus vidéosurveillée de France, a connu le 14 juillet 2016 l’un des pires attentats de notre histoire (86 morts et des centaines de blessés). Il s’est déroulé sur la promenade des Anglais, le lieu le plus touristique et vidéosurveillé de la ville, au nez et à la barbe des caméras, des policiers municipaux (PM) et des agents de surveillance de la voie publique (ASVP) qui les gèrent. Quel est l’intérêt d’avoir des images du massacre après coup, quand les gens sont déjà morts ?

Le deuxième constat de mon enquête est que la surveillance « en direct » est un leurre. Pour repérer un groupe de dealers au bas d’un immeuble par exemple, elle ne marche qu’une fois, par l’effet de surprise. Mais dès qu’une arrestation a lieu grâce aux images, les dealers comprennent et s’en vont quelques centaines de mètres plus loin. C’est l’effet de déplacement de la délinquance. Cette surveillance en direct coûtant cher en effectifs de PM et d’ASVP, le système est de plus en plus souvent détourné pour faire de la « vidéoverbalisation » des petites infractions routières du quotidien. Je n’ai pas à dire si cela est souhaitable ou non, mais ce n’est pas ainsi que le dispositif a été présenté à la population.

Quel est selon vous le coût-bénéfice de ces équipements ?

La seule chose qui se défende en termes d’évaluation coût-bénéfice est l’installation d’un nombre limité de caméras à des endroits stratégiques du point de vue des policiers ou gendarmes nationaux, pour enregistrer au cas où cela servirait dans de futures enquêtes. En revanche, les policiers municipaux sont infiniment plus utiles sur la voie publique dans des relations de proximité avec la population, plutôt qu’enfermés dans un bureau du centre de supervision urbaine. Par ailleurs, beaucoup d’élus détournent la fonction policière des caméras pour en faire un usage politique en les multipliant pour répondre non pas à la délinquance mais au sentiment d’insécurité de certain·es.

Quelles sont les prochaines étapes que vous voyez de la vidéosurveillance et ses risques ?

Le prochain défi des industriels sera de vendre aux Etats la reconnaissance faciale. Outre les nombreux problèmes juridiques que cela poserait, les expériences menées en Angleterre suggèrent qu’il s’agit d’un gadget technologique qui ne tiendra pas ses promesses, coûtera très cher, détournera une partie des effectifs policiers de leurs missions de proximité sur la voie publique et risque d’être à son tour détourné tôt ou tard des objectifs officiels pour devenir un outil de surveillance voire de fichage de tout ou partie de la population.

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