[SOLIDAIRE] Les jardins de Solène, contre le gaspillage alimentaire

Publié le mar 19/01/2021 - 12:00

Crédit WAD. Certaines cantines scolaires ont un partenariat avec la légumerie.

Par Julien Dezécot

La légumerie sociale et solidaire des Jardins de Solène valorise des légumes frais et locaux déclassés en Vaucluse, qui alimentent notamment cantines et supermarchés solidaires du coin. Reportage.

Munis de masques, gants et surchaussures hygiéniques, Lisa, Dimitri, Clément et Yoni lavent, découpent puis emballent en équipe une myriade de carottes fraîches déclassées, produites cette saison par des agriculteurs du Vaucluse. Les machines de découpe, lavage et d'emballage tournent à plein régime dans l'atelier, dans un bourdonnement bienveillant. Ces légumes hors calibre sont ensuite ensachés et estampillés « Jardins de Solène » en barquettes compostables. Puis sont adressés dans les cantines des collectivités du territoire, ainsi qu'en grandes surfaces depuis cette année, pour être proposés « prêts à cuisiner ».
L'originalité de cette légumerie sociale et solidaire de 450 m² : elle emploie 10 personnes à Pernes-les-fontaines près de Carpentras, avec une majorité en situation de handicap - dont certains issus de la rue. Ces derniers participent aux décisions opérationnelles du quotidien de l'entreprise.
Sébastien habite Carpentras. La quarantaine, cheveux courts, regard persan, il a longtemps travaillé en intérim avant d'être embauché ici, en 2008, où il est désormais chef d'équipe. « En CDI, j'alterne le travail à la légumerie ainsi que des prestations agricoles comme en ce moment, où je taille la vigne d'un producteur à Vinsobres. » détaille-t-il enjoué.

Du sens au travail

Entre deux découpes de carottes, Dimitri répond également à nos questions. Salarié aux jardins de Solène depuis 5 ans, vivant aussi à Carpentras, il est également en CDI. « Avant, j'étais en IME. Puis un éducateur m'a aidé à trouver ce travail, j'y suis très heureux ! », affirme-t-il. Lui aime travailler en équipe dans une bonne ambiance. Au fond de l'atelier, Clément, récemment employé, ensache les légumes depuis septembre. Ce qui lui plaît ? « J'aime bien l'écologie. Nous travaillons des légumes déclassés. Notre boulot évite le gaspillage alimentaire ! » annonce-t-il fièrement.

Au total, près de 22388 Kg de légumes frais et locaux hors calibre, dont 15 % en bio, sont ainsi valorisés par cette SAS de l'économie sociale et solidaire, plutôt que d'être détruits. C'est une véritable mission d'intérêt général, remplie par les Jardins de Solène, du prénom de sa fondatrice, Solène Espitalié, ingénieure en agriculture de formation. « Je n'envisageais pas d'entreprendre autrement que dans une logique d'insertion, en proposant une alimentation saine pour le plus grand nombre », explique-t-elle d'emblée, entre deux appels téléphonique à des producteurs locaux.
« J'avais en moi de lutter contre la discrimination pour les personnes hors cadre, renchérit-elle. Admettre que si tu ne rentres pas dans le moule, alors tu ne peux pas avancer, ne me convenait pas du tout ! ». En expérimentant une approche pédagogique basée sur la responsabilisation des salariés, notamment avec Lisa qui encadre les chefs d'équipe, les employés des Jardins de Solène montent en compétence, se forment en interne et tendent vers l'autonomie dans leur travail, tout en participant aux décisions.

-90 % de CA avec la Covid

« Avec la Covid et suite au 1erconfinement, souligne la jeune femme charismatique en sortie d'atelier, nous avons perdu 90 % de notre chiffre d'affaires. Désormais, l'activité repart doucement. L'entreprise a décroché quelques marchés publics, dont celui de la ville d'Avignon en 2019 et plus récemment l'Isle-sur-Sorgue.
Direction Montfavet, fruits et légumes en main, pour les offrir aux bénéficiaires et bénévoles du supermarché solidaire à l'occasion des fêtes de fin d'année. Solène coopère depuis septembre avec Nabil, le directeur bénévole de cette épicerie sociale. Ce dernier s'affaire avec une dizaine d'autres citoyens venus aider les deux salariés du magasin dans la mise en rayon.
Les sachets de carottes des jardins de Solène se retrouvent précisément en linéaire aux côtés d'autres produits, dont la plupart en limite de dates. 1500 familles bénéficient de ces produits à prix cassés, soit 3500 personnes. Leur nombre ne cesse d'augmenter dans le contexte de crise sanitaire, dans un des départements les plus pauvres de France.

Les marchés publics comme levier

Face à cette situation, la Ville d'Avignon a décidé depuis le printemps dernier de soutenir des associations comme les Restos du cœur, le Secours populaire et les épiceries solidaires - dont le supermarché de Montfavet. Pour cela, elle leur livre pour 3500 euros de nourriture par semaine depuis novembre (1000 euros / semaine depuis avril). Parmi les produits frais et locaux proposés, on retrouve précisément les carottes des jardins de Solène, dont l'une des bénéficiaires vient de prendre un sachet à prix cassé dans son cabas avant de passer en caisse.
En arrière salle du supermarché, les bénévoles préparent des paniers pour les séniors d'Avignon, financés par la Ville. Ces corbeilles solidaires sont proposées à 14 euros au lieu de 70. « Nous avons une priorité politique sur la démocratie alimentaire, précise Christian Rocci, conseiller municipal en charge de l'agriculture et de l'alimentation. Dans cet esprit, nous avons également financé en ces temps de crise des paniers pour les étudiants proposés gratuitement, en partenariat avec l'université d'Avignon, incluant des produits frais et locaux comme ceux des Jardins de Solène que nous retrouvons également à la cantine de la ville ».
Outre à la cantine scolaire, ces légumes frais et locaux se retrouvent aussi à l'hôpital d'Avignon. 80 kg de légumes frais et locaux sont mixés chaque semaine dans les soupes des patients et personnels. « Les résultats des questionnaires de satisfaction à l'hôpital sont très positifs, s'enthousiasme Solène, et le gaspillage alimentaire est largement réduit avec nos produits ! »Ce qui permet aux gestionnaires d'absorber le surcoût qualitatif. Car le coût du gaspillage alimentaire est colossal selon l'Ademe : près de 27 centimes par repas en restauration collective. Avec la loi Egalim, les marchés publics des hôpitaux, cantines mais aussi les collèges – lycées, voire des Ephad, intègrent peu à peu des clauses pour les « produits frais et locaux ». « C'est un véritable levier de développement pour une alimentation saine et accessible grâce aux collectivités », reprend Solène, également engagée pendant plusieurs années au Centre social (CCAS) de Pernes-les-Fontaines.

Dans ce contexte de crise, comment projeter les Jardins de Solène d'ici quelques années ? « Ne vivre que du gaspillage alimentaire serait un paradoxe car nous voulons l'éradiquer », affirme Solène. Elle et son équipe travaillent désormais à la construction d'un « écosystème alimentaire » sur le territoire, du producteur au citoyen-consommateur, en lien avec les collectivités et des partenaires privés. C'est le cas notamment de la Fondation Yves Rocher, qui doit rentrer au capital de l'entreprise en 2021. « J'aimerais que les producteurs du coin puissent dédier des terres en friche non valorisées pour de futures cultures qui se retrouveront en restauration collective, comme chez les particuliers », imagine Solène. « Plus besoin alors de parler de légumes déclassés. Et nous pourrions même accompagner les producteurs vers des conversions bio et les consommateurs dans des ateliers d'éducation culinaire ! »Un projet alimentaire global, intelligent, qui ne manque décidément pas d'audace.

Plus d’infos : www.lesjardinsdesolene.com

Plus web : itw vidéo sur la chaîne youtube de Sans transition !avec Solène Espitalié + itw audio avec Nabil, le directeur du supermarché solidaire de Montfavet.

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