[ PUY-DE-DOME ] Renaissance d'un commerce rural

Publié le mar 18/06/2019 - 16:13

Pour maintenir une vie socio-économique, des petits établissements multiservices émergent dans les villages ruraux en proie à la désertification commerciale. Le Bistrot des Halles, à Tours-sur-Meymont (Puy-de-Dôme) est de ceux-là, avec la particularité d’accueillir les enfants de l’école le midi.

Juste derrière l’église, face à la place couverte du marché, le Bistrot de la Halle allonge sa façade jaune et rouge. Plusieurs générations de Meymontoursins poussent sa porte depuis des lustres. « Mes grands-parents tenaient déjà l’établissement », confie René Boeuf, l’ancien propriétaire. Accoudé au comptoir formica rouge devant un café, il se souvient avec un ami « du temps où l’apéritif allait bon train et où il n’y avait pas les gendarmes à chaque virage ». Pendant 40 ans, René Boeuf a tenu le bar, et avant lui ses parents.

Désormais, ce sont Emma, Camille, Zoé, Sophie, Claire et Marika qui tiennent l’établissement. Elles se sont associées pour reprendre le Bistrot de la halle voilà un peu plus d’une année, parce qu’elles n’acceptaient pas de voir disparaître l’un des derniers lieux de socialisation du village.

La cantine au bistrot

Derrière le comptoir, Sophie essuie les verres et sert les cafés. Pour rien au monde elle n’échangerait sa place. « Reprendre le bar restaurant à six, avec des projets et des valeurs communes me plaît, explique-t-elle. Je suis bien ici, dans ce petit coin d’Auvergne où je sens que je peux vivre comme je l’entends. » Aujourd’hui, elle assure la partie bar : « Il y a toujours un jour où je cuisine dans la semaine. Je compose les menus. Dans l’équipe, c’est moi la commission restauration, cela implique aussi que je passe les commandes aux fournisseurs... Pour la cantine scolaire, je propose des menus pour 15 jours, comme ça les parents peuvent adapter les repas à la maison. »

La devanture du bistrot

Dans ce village de 500 habitants situé dans le parc naturel régional du Livradois-Forez, la municipalité a choisi de faire déjeuner les enfants du groupe scolaire au bistrot, plutôt que d’investir dans une cantine. De septembre à juin, une vingtaine d’enfants et d’agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles (Atsem) déjeunent sur les tables colorées du restaurant. « Il fallait remettre la cantine scolaire aux normes. L’équipe municipale a fait le choix de ne pas s’endetter et de plutôt soutenir les restaurants locaux. Ce sont des professionnels, ils sont déjà très au point sur les normes et l’hygiène : ils ont su s’adapter à la restauration scolaire. Le prix de revient du repas est à peine plus élevé qu’en restauration collective, hors coût de la mise aux normes que nous aurions dû financer pour la cantine », explique Pierre Faure, maire de Tours-sur-Meymont. Tout le monde est gagnant ! Le prix de repas, 6,5 euros, est assumé à parts égales entre la municipalité et les familles*. Jusqu’à l’été dernier, les enfants alternaient entre deux restaurants pour prendre leurs repas. Mais le second restaurant a fermé cet été, comme de nombreux commerces de cette zone rurale, faute de trouver leur équilibre économique.

« Nous avons fait le choix de nous engager sur l’alimentation »

Malika et Sophie, du Bistrot des Halles

Ainsi, « dans les années 70, il y avait six bistrots dans le village, se souvient René Boeuf, l’ancien propriétaire du Bistrot de la Halle. Aujourd’hui, il ne reste que celui-ci. Le restaurant marchait bien. Tous les dimanches c’était des banquets, des mariages avec 80 couverts... » Au comptoir, plusieurs anciens opinent du chef et se souviennent des tournées de rosé tôt le matin. Mais plus personne ne boit ni ne sort autant aujourd’hui. Et le village comptait deux fois plus d’habitants qu’aujourd’hui ! René, de son temps, « faisait » restaurant, bar, hôtel et taxi...

Au Bistrot de la Halle, les six associées de 27 à 55 ans travaillent chacune deux ou trois jours par semaines, mais elles sont loin de se salarier à hauteur de leur engagement. Aujourd’hui, elles financent 1,5 équivalent plein temps de salaire, pour six. « Nous n’avons pas fait de gros investissements», reconnaît Marika. Une déco de bric et de broc fait cohabiter avec bonheur les tasses à fleurs, du mobilier années 1950 ou 1930, quelques amusants tableaux et l’exposition d’une plasticienne locale.

Une cuisine familiale

Dans ce cadre hétéroclite, bon an mal an, le Bistrot de la Halle sert quotidiennement une dizaine de couverts en moyenne. « Atteindre une vingtaine de couverts chaque jour serait idéal », affirme Marika. « D’ailleurs, plusieurs collectivités jouent le jeu pour nous soutenir », reconnaît Sophie. Ainsi, « la Maison du Parc, le Verger conservatoire, le Centre national de la fonction publique territoriale font déjeuner leurs stagiaires ici lorsqu’ils organisent des rencontres à proximité », explique-t-elle. Sans compter la cantine qui accueille 18 à 25 enfants de la maternelle à 8 ans, ceux plus âgés étant scolarisés à quelques kilomètres de là.

À l’heure du déjeuner, une volée de convives hauts comme trois pommes débarquent donc, accompagnés de Nicolas, Nadine et Mireille, les trois Atsem qui les chaperonnent. Le ballet est parfaitement réglé. Les petits s’installent chacun à la table qui leur est dédiée et mettent le couvert. « Les serviettes de table changées chaque semaine viennent de leur maison », précise Mireille. À la fin du repas, les plus âgés, ou les plus adroits, débarrassent et passent un coup d’éponge sur la table.

La cantine accueille 18 à 25 enfants, de la maternelle à 8 ans.

Le menu aussi est déchiffré par deux ou trois minots plantés devant l’ardoise. Aujourd’hui, après la salade de chou blanc, le poulet rôti/pommes de terre au four et le yaourt nature, les enfants célèbrent l’anniversaire d’un des élèves avec chanson de circonstance et gâteau aux pommes. « Nous avons fait le choix de nous engager sur l’alimentation », précisent Marika et Sophie. Aux fourneaux chacune leur tour, les six femmes préparent une cuisine familiale à base de produits frais, de saison, locaux et le plus possible d’origine biologique : « Nous proposons un menu pour la cantine et pour le restaurant nous élaborons chaque jour un menu classique et un menu végétarien, avec des plats traditionnels et d’autres plus exotiques », explique l’une des cuisinières du jour.

Bientôt de l’hébergement ?

La recette fait mouche : « Dès le départ, nous avons été soutenus par des habitués ou des nouveaux venus qui ont su nous accueillir avec bienveillance et nous faire une place ici », explique une autre. Les habitués « d’avant » s’arrêtent boire un café ou déjeuner et de nouveaux clients viennent des villages alentour. Bien que le maire regrette la fermeture de l’établissement le samedi et le dimanche, « le bistrot accueille plein d’autres événements : des tournois de ping pong, des concerts tous les mois, des expositions, des karaokés, de grands petits déjeuners un dimanche par mois, des apéros en terrasse, ou un bal sous la halle. Et ce n’est que le début... La fréquentation des soirées concert ou théâtre nous témoigne de la solidarité des habitants », apprécie Marika. Car les six capitaines de ce navire un peu particulier ne manquent de projets. Elles pourraient bientôt réveiller les neuf chambres endormies des étages, « en proposant de l’hébergement pour les randonneurs », explique Marika. « En aménageant un peu, nous pourrions aussi proposer des espaces pour des activités créatives, du yoga, un labo photo... » L’aventure ne fait que commencer.

Plus d’infos

www.bistrotdelahalle.fr

Contact :

contact@bistrotdelahalle.fr ou 04 73 16 88 39

*Selon les chiffres de l’Union nationale des associations familiale, datés de 2014, le prix moyen d’un repas en cantine scolaire municipale est de 2,90 euros pour un élève de primaire.

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