[REPORTAGE] Villeurbanne : le jardin au cœur des gratte-ciel

Publié le mer 01/12/2021 - 09:00
© Camille Grange

Par Camille Grange

Jusqu’en 2023, la coopérative Pistyles est au cœur d’un projet baptisé la Ferme des Artisans, basé sur la végétalisation de l’espace urbain au milieu des gratte-ciel. La mission que s’est fixée cette Scic à Villeurbanne : expérimenter et démocratiser.

En plein cœur de Villeurbanne, la quatrième ville la plus peuplée de la région Auvergne-Rhône-Alpes en pleine refonte, les équipes de la coopérative de jardiniers Pistyles s’affairent dans un cadre futuriste. Face à elles, deux immenses tours se dressent, tellement imposantes et historiques qu’elles ont donné leur nom au quartier : les Gratte-ciel. Mais, alors que les enseignes de grandes distributions foisonnent, un chantier pas comme les autres intrigue les passants au nord du cours Emile Zola : celui de la Ferme des Artisans.

Pistyles, une scic (société coopérative d’intérêt collectif) de jardiniers villeurbannais, est un des partenaires choisis par la Métropole de Lyon et la Société d'Equipement et d'aménagement du Rhône et de Lyon, en concertation avec la ville de Villeurbanne, suite à un appel à projets lancé pour expérimenter des solutions de végétalisation à vocation écologique et sociale dans cette zone. Objectif de cette végétalisation des espaces urbains : un quotidien en ville plus confortable avec moins de pollution, moins de chaleur et, surtout, plus de connexions au sein de la population.

Démocratiser la nature en ville

Là où, fin 2019, les pelleteuses ont abattus les derniers immeubles, « certains espaces urbains dépérissent et il faut que les habitants aient envie de se les approprier, explique Benjamin Porte, jardinier et coordinateur des travaux pour Pistyles. L’idée n’est pas d’en créer d'autres, mais de se demander : que fait-on de ce qui existe aujourd’hui ? »

Rue Léon Chomel, quinze containers de port ont été installés et sont exploités pour le début des expérimentations de végétalisation. « Notre mission est de redonner un peu d’espoir à celles et ceux qui pensent qu’il n’y a pas de raison de se battre pour des causes environnementales, même à l'échelle de leur quartier, poursuit le jardinier. La nature a un potentiel de résistance et d’adaptation que l’on ne soupçonne pas. » Le site a été agencé de manière à créer plusieurs types d’espaces : pépinières, restauration, conseil et artisanat local. Tout cela sur un sol nivelé et adapté aux conditions urbaines. « Notre ambition est de pouvoir disposer d’un site représentatif de ce qu’on retrouve partout en ville, de montrer qu’il est possible de faire évoluer la végétation et de cultiver en milieu urbain », reprend-il.

Créer une biodiversité urbaine

Fin avril, Pistyles organisait un événement en plein air pour lancer la mise en place de la Ferme des Artisans. Toute la journée, une petite centaine de personnes, vivant à Villeurbanne ou non, sont venues découvrir le projet et les solutions de végétalisation de plus près. Le matin, l’atelier sur la revalorisation de vieilles palettes a remporté un franc succès. « Nous souhaitons créer une biodiversité urbaine et une végétalisation intelligente », affirme Michael, son animateur, au fil d’une déambulation sur le site pendant laquelle il explique comment et pourquoi les végétaux ont été choisis.

Ici, de la sauge. Là, de la ciste. En haut, sur le toit du container, un grenadier. Contre le mur, une botte de fagots se dresse fièrement dans la pépinière locale, un petit espace qui servira à mettre en avant les végétaux trouvés auprès de pépinières partenaires. Prélevés sous forme de graines ou de boutures dans la région, ils reprendront vie en pleine ville. « Les gens pourront aussi donner leurs plantes défraîchies et nous les remettrons en terre ici, pour leur donner une seconde vie, raconte Benjamin Porte. A l’inverse du circuit linéaire : j’achète, j’utilise de manière temporaire puis je jette. »

S’approprier la démarche

Les espèces végétales ne sont pas sélectionnées au hasard. Elles sont adaptées au contexte pédoclimatique : selon le sol et le climat d’une région. L’arrosage, quant à lui, est assuré par un système d’irrigation au goutte-à-goutte et, à quelques endroits, par des ollas. Ces petites poteries en terre cuite enterrées, emplies d’eau et recouvertes d’un couvercle, diffuseront l’eau lentement. Si les conditions sanitaires le permettent, la zone devrait prendre vie plus durablement, notamment grâce à l’installation de restaurateurs et d’artisans locaux.

Kasia ne cache pas son enthousiasme de voir ce jardin urbain naître sous ses mains. « Ces dernières années, toutes les petites maisons avec jardin ont disparu. Je suis entourée de béton », regrette cette habitante de Villeurbanne. « Il faut que cela fasse sens pour les Villeurbannais·es. L’idée n’est pas que l’on fasse tout, dans notre coin, mais que la démarche soit participative et que les gens, à leur échelle, puissent aussi s’approprier la logique de nature en ville et de préservation de la biodiversité », souligne Benjamin Porte, le coordinateur des travaux.

Jardinerie-conseil

À terme, la Ferme des Artisans endossera aussi un rôle de jardinerie-conseil pour les habitants du quartier. Une alternative inédite à la grande distribution. L’objectif ? Transmettre les clés au sujet de la nature en ville et développer la coopération. « Nous aimerions montrer aux gens qu’ils peuvent faire du jardinage, même au quinzième étage avec une paire de ciseaux. Plutôt que d’acheter des plantes à 25 euros, pourquoi ne pas demander à son voisin ou sa voisine de fournir la même chose ? En plus de converser avec lui ou elle, vous apprendrez peut-être une technique », poursuit-il.

Pour Manon, une jeune habitante de Villeurbanne venue participer aux ateliers de jardinerie urbaine, cette initiative a de l’avenir : « cela fait du bien de voir que l’on se pose des questions sur nos modes de vie urbains, surtout quand on a connu les étés très chauds dans la métropole de Lyon. »

Malheureusement, la Ferme des Artisans n’est que temporaire : de nouveaux immeubles qui abriteront notamment des locaux commerciaux sortiront de terre après 2023. L’émulation collective pourrait-elle pérenniser la vie d’un tel projet ? « Il faudra beaucoup de courage politique pour laisser vivre ce tiers-lieu après 2023 », reconnaît une participante aux ateliers. « Il faut également se dire que ce tiers-lieu peut être transféré sur un autre terrain : les containers peuvent être facilement être déplacés, les végétaux, déplantés », rassure Benjamin Porte. En attendant, Manon, Kasia et les autres, ont pu profiter du site tout l’été, sur les chaises longues en bois ornementées par leurs soins.

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