[THEMA] Le débat : Jusqu’où réduire notre consommation de viande ?

Publié le mer 26/04/2023 - 12:00

Propos recueillis par Catherine Stern

Il y a viande et viande. Celle consommée aujourd’hui est majoritairement produite de façon industrielle, au détriment des animaux, de la santé humaine, de l’environnement et du lien au vivant, selon les scientifiques de ces différentes disciplines. Réduire sa consommation est donc un impératif, comme en témoignent Isabelle Chatel, fille et épouse d’éleveurs, devenue végétarienne, et Pierre Hinard, éleveur de bœuf d’herbe, auteur du livre Omerta sur la viande, qui a beaucoup réduit sa consommation.

Isabelle Chatel, psychothérapeute en Wallonie (Belgique), 56 ans, végétarienne

« Mes parents faisaient de l’élevage de porc intensif et de volailles. Depuis petite, je soignais les animaux. J’étais souvent dans les loges à cochons. Quand une truie mettait bas, je coupais le cordon. A douze ans, je tuais les volailles pour aider mes parents. Vers 15-16 ans, j’ai égorgé un cochon qui s’était blessé pour « sauver » la viande et éviter la fureur de mon père. A 21 ans, j’ai épousé un agriculteur, alors que j’avais fait des études de droit. Mon époux a repris l’exploitation de ses parents, une ferme avec 18 vaches laitières, 30 taurillons à l’engraissement, quelques cochons, qu’il a modernisée. Refusant le commerce à la ferme, il envoyait tout à la laiterie. J’ai continué à travailler à l’extérieur, comme greffière, tout en trayant le matin et le week-end. Mais je me demandais le sens d’avoir des bêtes pour que ça parte dans l’industrie. J’ai senti qu’il n’y avait plus le lien à l’animal comme avant. J’étais triste, frustrée, déchirée. Je trouvais atroce d’avoir des vaches pour prendre leur lait et les envoyer à l’abattoir. A 33 ans, j’ai décidé d’arrêté de manger de la viande rouge, porc et bœuf. J’ai dit à mon mari que je n’étais plus en accord avec ce qu’on faisait. En quelques mois, il a arrêté de traire et a gardé les terres. A 38 ans, je suis devenue complètement végétarienne. Pour mon mari, c’était de la folie, mais il a respecté mon choix. Lui-même en mange beaucoup moins depuis dix ans. Trois de mes quatre sœurs sont aussi devenues végétariennes. J’ai huit poules dont je mange les œufs et deux oies, avec qui j’ai une relation forte et qu’il est hors de question de manger. Je pense qu’il faudrait arrêter l’élevage dont l’humain n’a pas besoin. Il pourrait encore y avoir des vaches dans les près mais sans qu’il faille les tuer pour de la viande. Cette objectivation de l’animal me révolte. Si l’humain pouvait être plus conscient du vivant en lui, il objectaliserait moins les autres vivants. »

Pierre Hinard, agronome, éleveur de « bœuf d’herbe » entre Rennes et Nantes, lanceur d’alerte, auteur du livre Omerta sur la viande

« Notre consommation familiale a évolué depuis vingt ans, vers une réduction à deux par semaine du nombre de repas avec de la viande (bœuf et poulet) et une augmentation des repas végétariens. La viande reste difficile à produire donc c’est aberrant d’en avoir une consommation effrénée. Et le consommateur cherche toujours à acheter moins cher, sans réfléchir à ce que moindre prix veut dire au bout de la chaîne pour les animaux et les éleveurs.

De plus, les gens sont restés sur l’idée que la viande est importante pour la santé, sans faire attention à sa qualité. Or consommer beaucoup de viande de mauvaise qualité est délétère pour la santé, entraîne des maladies cardio-vasculaires, de l’inflammation chronique, des cancers. Ceci s’explique par la nourriture que l’on donne aux animaux : un herbivore nourrit avec des produits céréaliers (ensilage de maïs, tourteaux de soja), comme dans 90 à 95% des élevages, voit l’équilibre de ses acides gras modifié avec une augmentation des mauvaises graisses saturées inflammatoires (oméga 6), au détriment des acides gras essentiels polyinsaturés (oméga 3). La concentration en oméga 3 est trois fois supérieure quand les vaches, comme les nôtres, mangent exclusivement de l’herbe ! Cela agit aussi sur le microbiote intestinal : des études scientifiques montrent que la flore de l’étable se retrouve dans le produit fini (lait ou viande) et dans le microbiote du consommateur. Un tiers de notre clientèle exerce une profession de santé et nous envoie des personnes notamment dénutries, avec des carences, parfois en raison de régimes trop restrictifs comme le véganisme.

Il faut réduire sa consommation en quantité, de façon à utiliser le même budget pour acheter de la viande de meilleure qualité, en circuit court et en bio. Chaque personne a le pouvoir et la responsabilité de ce qu’elle met dans son assiette. Et donc celui d’induire les modes de production et le niveau de pollution et de maltraitance des animaux correspondant ».

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