Pour ce numéro thématique, Marguerite a organisé un petit concours littéraire sur le thème de l’eau. Cela s’y prête bien (mieux que le méthane ou l’oxyde d’azote, par exemple). Elle a recueilli un grand nombre de haïkus, micronouvelles, aphorismes, brèves de comptoir, poèmes... Certain·e·s auteur·rices ont souhaité garder l’anonymat, d’autres ont accepté de faire figurer leur prénom, voire leur nom. Les textes de petit format ayant été particulièrement nombreux, Marguerite vous propose la sélection ci-dessous :
À fleur de peau, les pieds dans l’eau
Les yeux au loin, une brasse dans l’air
Une étincelle à la source d’une rivière
À fleur d’eau et de peau
Confusion d’éléments
Et derrière moi, un enfant
Alors que je regarde au loin
Lui, dans la mer,
Saute à pieds joints
Lisa, Bourg-la-Reine
Marre des bulletins météo
Qui disent que la pluie
Et le froid c’est mal
Et qu’il faut voir une rime
Voire un synonyme
Entre beau et chaud
Bernadette, Chartres
La rivière
Descendons la rivière. Nous aurons une embarcation légère, des pagaies, des casquettes, quelques vivres. Mais pas de carte. De toutes façons, cette rivière n’est pas répertoriée. Une fois sur l’eau, nous nous laisserons emporter. Le courant sera calme et régulier. Peut-être qu’une seule vague, une seule onde nous portera vers l’aval. Nous avons le temps. Notre destination, nous n’en avons pas. Nous n’avons aucun objectif, si ce n’est celui d’accepter ce que la rivière nous réserve. Jamais nous ne serons allés aussi loin.
Nous ferons halte en route. Il y aura un village, coupé de tout, sauf de la rivière. Un village vivant, grouillant au bord de la rivière. Nous serons accueillis par des sourires, on nous aidera à hisser notre embarcation sur la rive. Les enfants se mettront à courir autour de nous en riant.
En dégustant du poisson et des légumes grillés, nous écouterons les histoires, celles du présent, celles du passé mais surtout celles de l’avenir, car ces gens parlent surtout de l’avenir, c’est cela qui les met en joie. Ils mêlent le présent à l’avenir en parlant de leur aventure qui les mène vers une vie heureuse. Ils parlent d’aventurtopie, de parcours de la vie, d’un idéal que l’on n’atteint pas, mais qui donne tout son sens à l’existence. Ils n’ont qu’un seul dieu, l’eau. Ils la chérissent, mais ils n’en parlent pas.
Lorsque les dernières braises se seront éteintes, nous irons nous coucher. Les sons aux alentours seront nombreux et variés, mais jamais ils ne seront inquiétants, encore moins menaçants. Le bruissement de la vie nous apaisera.
Le lendemain, nous repartirons sur la rivière.
Elle nous emmènera encore plus loin. Le courant sera tranquille, l’eau sera fraîche quand nous tremperons une main dedans. Nous observerons les oiseaux voler de part et d’autre. Ils chanteront, s’appelleront les uns les autres et ils attraperont des poissons sous nos yeux.
Nous nous demanderons où la rivière se jette dans la mer. Mais peut-être que cette rivière ne se jette pas dans la mer, ni même dans une autre rivière.
Jérôme, Poitiers
Eau de terre
De mer
Du ciel
Eau de la vie
Ode à la vie
D., Vichy
La source
Devient ruisseau
Son lit
Les emmène
En mer
Clara, Troyes
Goutte de poison
Tue
Goutte d’eau
Je t’en prie
Reste propre et douce
S., Annecy
Chaque matin, la rosée
Comme si la nuit
Avait pleuré
Une journée à oublier
Arthur, Paris
Le travail, contraire de l’eau
Je suis débordée
Goutte après goutte
Me voilà noyée
Lola, Bordeaux
Ah, plonger dans l’eau
Se baigner, se rafraîchir
Se désaltérer
Oui, mais où ?
Jean, Vienne
Cent jours
Sans pluie
Pas de nuage
Même la nuit
F., Carpentras
Les nuages passent
Voyageurs avares
Insouciants et fiers
La vie ici-bas crève
Monique, Paris
Tantôt manque
Tantôt trop
Ici c’est sec
Là c’est inondé
L’argent et l’eau
Joseph, Lyon
Christiane, fidèle lectrice d’Indre-et-Loire, nous a envoyé des textes qu’elle a fait écrire par ChatGPT. Outre le fait que ces textes ne sont pas dénués d’une certaine qualité poétique, voire d’émotion, il est à remarquer que ChatGPT, qui n’est que le reflet du contenu d’internet, met en évidence la réelle préoccupation que constitue désormais l’eau dans l’imaginaire collectif. Jugez plutôt :
Rare et précieuse
L’eau s’échappe entre nos doigts secs
Soif de vie en jeu
ChatGPT
Terre aride et sèche
Nulle trace d’eau en vue
Espoir en suspens
ChatGPT
Gouttelette unique
Sur la feuille desséchée
Mirage de pluie
ChatGPT
Il est vraisemblable que Christiane, qui nous dit être engagée pour la transition écologique, a formulé sa demande à ChatGPT d’une manière qui manquait peut-être d’objectivité. Par ailleurs, Christiane fait remarquer qu’ironiquement, ChatGPT se situe dans le cloud, où l’eau ne manque pas.
Convoi exceptionnel
Devant, des motards de la gendarmerie : gyrophares, sifflets, poussez-vous, laissez passer.Facile, il n’y a personne dans les rues.
Derrière, des camionnettes de policiers en tenue de combat.
À l’abri des fenêtres, on regarde avec curiosité.
Soudain, le camion se couche, la citerne se vide.
Le liquide crépite sur le bitume brûlant et part en vapeur, le peu qui reste glisse vers l’égout.
— C’était quoi, maman ?
— C’était de l’eau mon chéri.
Romane, Toulouse
Il fut un temps où on se foutait de la gueule des indigènes qui faisaient la danse de la pluie. On avait tort.
Christophe, Rivesaltes
Le seul truc qu’on peut faire sans eau, c’est dire des conneries. Et encore : au bout d’un moment, ça donne soif.
Raoul, Clamart
Tu mets un glaçon dans un verre d’eau. Quand il fond, ça ne déborde pas. Tu mets un glaçon sur une table. Quand il fond, t’as de l’eau partout. Tu mets un iceberg dans la mer. Quand il fond, le niveau de la mer n’augmente pas. Tu mets un glacier ou une calotte glaciaire à la surface de la Terre. Quand le glacier fond ou bien quand la calotte glaciaire glisse dans la mer, t’as des millions de réfugiés climatiques partout.
Stéphane, Lille
Le fils de Narcisse
L’enfant arrive au plan d'eau. C’est au fond du bois, dans l'espace dégagé entre les derniers arbres et le mur qui clôt le domaine. À cet endroit il y a un garde, tourné vers les manifestants au-delà de la propriété. Le plan d'eau, bien sûr, n'intéresse pas le garde. C'est une mare fascinante pourtant. Jacko se pose d’abord la question inutile : je serai assez profond ?
À la surface de l'eau, des froissures, des salissures d'ombres. Jacko prend soin de se rappeler qu’il aime, au fond, les poissons, malgré son père. La surface du lac, avec ses longues ombres sinueuses, fait croire qu’elle est poissonneuse. À tel point, se dit-il, qu'il ne pourrait rien attraper. Ils sont trop nombreux ! Cela l’emplit d’un pressentiment d’infini, le noie d’avance.
Il ramasse un caillou et le lance. Les ombres poissonneuses ont vite fait de fuir, de revenir en ondulant. Il se dit : Dommage que le Monsieur ne pêche pas !
Mais l’employé de son père ne surveille pas le lac. Ni d’ailleurs l’enfant : il fixe les manifestants.
L’enfant s'approche du bord, se penche : la surface, c’est une toile d'araignée souple, en réalité, tendue de bord en bord. Il se renfrogne : son visage ne lui offre aucun reflet, il est parfaitement absent. Il ne comprend pas. Il n'est pas pris, lui aussi, dans le filet ? Il cherche dans sa poche, trouve et déplie la photo et la lance sur l'eau. Avec un effort d'imagination, en se plaçant au niveau de l’image, il regarde vers le haut depuis la surface du papier, à partir des yeux de son père.
Monsieur ! crie-t-il. T'as vu les petits poissons ? (il indique avec espoir devant lui).
Il s'interroge, déprimé, oppressé : pourquoi avoir demandé s'il y avait des poissons ? Pourquoi ne pas lui avoir posé la question qui le tourmente, qui lui pèse comme du plomb, sur l'absence de son reflet ? Jacko se met à compter les ombres puis — subitement, honteusement — à suffoquer de larmes, lance :
Je vais compter !
Et il saute.
Il ne comprend pas. L'eau lui arrive au bas du short, mais c'est suffisant pour faire vaguement effet sur le garde (Poste arrière à poste central. Le gamin se dégueulasse dans la mare du fond. À toi... Vous venez ?), tandis que Jacko cherche son reflet à plat sur l'eau. Quand il le trouve, il le laisse là. Il fait route vers le bord herbeux. Il est assez content de sentir l'eau sale sur lui. Plus encore quand il pressent l’arrivée du majordome. Quand le majordome arrive, c’est pour tendre une main impatiente, agitée. Jacko se lève et prend la main. Ils passent devant la balançoire, où l'idée de sommeil commence à le bercer, où, dans la fraîcheur relative des ombres, les arbres s'enfoncent dans un sol doux et parfumé, où ses chaussures sales sont plus bruyantes que celles, fluides — noires comme des corbillards — du rigide majordome.
Christopher Davies
Il faut se méfier de l’eau qui dort, d’accord. Mais il faut surtout se méfier de l’eau qu’on salit et de l’eau qui disparaît.
Julie, Brest