[BLOOM] Entre gigantisme et productivisme, l’avenir des eaux européennes se joue en Bretagne cette semaine

Publié le jeu 15/02/2024 - 13:21

Le Conseil régional de Bretagne s’apprête à voter vendredi 16 février une feuille de route pour le secteur de la pêche et de l’aquaculture à l’horizon 2027 qui déroule un tapis rouge à la pêche industrielle à fort impact écologique et social, sans la moindre considération pour la préservation de la pêche artisanale et des écosystèmes marins. BLOOM et Pleine Mer demandent au Président de la région Bretagne M. Chesnais-Girard et au vice-président Mer et Littoral M. Daniel Cueff le retrait pur et simple de cette feuille de route et l’établissement, en concertation avec les citoyens, d’un réel plan d’action stratégique pour la pêche qui engage le secteur sur la voie d’une transition sociale, écologique, juste et transparente.

BLOOM et Pleine Mer appellent à la mobilisation générale les pêcheurs artisans et toutes les forces citoyennes individuelles, associatives ou politiques engagées pour la justice sociale et écologique. Nous les invitons à se joindre à nous pour venir manifester jeudi 15 février à 10h30 à Saint-Malo contre le plus grand chalutier pélagique du monde : l’ANNELIES ILENA. Ce navire-usine de 145 mètres destiné à fabriquer du surimi industriel doit remplacer un autre géant qui semble petit en comparaison : le Joseph Roty 2 de 90 mètres.

Alors que 2023 a été l’année la plus chaude depuis l’ère préindustrielle, que nous avons atteint 1,5°C de réchauffement global, c’est-à-dire l’objectif fixé par l’accord de Paris pour la fin du siècle, que l’océan se réchauffe à une vitesse qui sidère les chercheurs, que le dioxyde de carbone n’a pas atteint une telle concentration dans l’atmosphère depuis trois millions d’années, entraînant une élévation du niveau des mers de près d’un demi centimètre par an et une acidification accrue des eaux du globe signant la déstructuration profonde et irréversible des écosystèmes marins, que font nos dirigeants ?

Ils soutiennent la course au gigantisme et la capture des quotas par les armements industriels au détriment des pêcheurs artisans et de la résilience des écosystèmes.

LA FOLIE DES GRANDEURS

D’un côté, la Compagnie des Pêches de Saint-Malo a investi 15 millions d’euros avec la bénédiction de l’administration française pour exploiter « l’Annelies Ilena », un navire-usine de 145 mètres destiné à produire du surimi industriel, dont la taille démesurée l’empêchera d’entrer dans le port de Saint-Malo. BLOOM et l’association Pleine Mer organisent jeudi 15 février à 10h30 à Saint-Malo une manifestation pour protester contre le plus grand chalutier du monde qui remplacera un autre géant, paraissant petit en comparaison : le « Joseph Roty 2 » de 90 mètres.

  •  Voir notre communiqué du 11 janvier dernier qui a lancé l’alerte et notre fiche d’identité de l’Annelies Ilena.
  • Nous demandons au gouvernement français d’empêcher le transfert de quotas français de merlan bleu vers l’ANNELIES ILENA et d’interdire immédiatement les navires industriels de plus de 25 mètres dans les eaux côtières françaises (12 milles nautiques).

LE GRAND BOND EN ARRIÈRE PRODUCTIVISTE

De l’autre côté, vendredi 16 février, la Région Bretagne votera une feuille de route pour le secteur de la pêche d’un productivisme suranné qui met en péril toute tentative française et même européenne d’engager une transition sociale, juste et écologique des pêches.

Comment un vote en Bretagne pourrait-il avoir des répercussions aussi graves ?

La Bretagne est la première région de pêche de France : elle réalise près de la moitié de la production et de la valeur au niveau national. Les lobbies bretons de la pêche industrielle dictent invariablement la position de Paris. Et Paris celle de l’Union européenne à Bruxelles, étant donné que les eaux françaises représentent la moitié de l’espace maritime européen et que la flotte française (6104 navires) est actuellement la 6e de l’UE en termes de nombre de bateaux mais la première sur le plan de la puissance motrice[1].

La Feuille de route halieutique qui sera votée au Conseil régional de Bretagne à Rennes le 16 février va fixer le pilotage et le financement du secteur de la pêche en Bretagne jusqu’en 2027 et ainsi déterminer la politique de la France pour les trois prochaines années. « Mais ce document supposé être stratégique s’enferme dans un productivisme débridé digne de l’après-guerre, et rate entièrement l’enjeu de la transition sociale et écologique du secteur« , a réagi Valérie Le Brenne, chargée de programme chez BLOOM.

Structuré en six axes se déclinant en actions pour l’ensemble des filières halieutique et aquacole, le document d’une centaine de pages, qui n’est pas consultable publiquement, peut être lu comme le plan d’action stratégique des industriels aux niveaux national, européen et international.

1ER COMMANDEMENT : ABATTRE LES RÈGLES EUROPÉENNES AFIN D’AUGMENTER LES CAPACITÉS DE PÊCHE

Le premier axe annonce d’emblée la couleur en affichant comme priorité le renouvellement de la flotte de pêche et la volonté d’engager un effort de lobbying à Bruxelles pour faire sauter les rares règles européennes qui ont permis de juguler le problème chronique de la surcapacité des flottes européennes et la surexploitation des espèces marines que cela a entraîné[2]. En effet, alors que 90% des stocks européens étaient surexploités à la fin des années 1990, l’Union européenne a pris deux mesures absolument vitales pour lutter contre la surcapacité et la surpêche lors de la réforme de la Politique commune de la pêche de 2002 : l’interdiction des aides à la construction de navires neufs et les restrictions relatives à l’augmentation de la jauge des navires. Ces restrictions ont permis d’améliorer quelque peu la situation sans toutefois suffire à restaurer la santé des écosystèmes marins ni même celle des espèces ciblées : en effet seuls 31% des stocks évalués en 2020 étaient en bon état[3].

Depuis des années, les industriels multiplient les attaques contre ces deux dispositions et utilisent toutes sortes de prétextes pour rouvrir les vannes des subventions publiques à la construction ou à l’achat de navires. Désormais, c’est l’argument de la décarbonation du secteur qui est utilisé comme cheval de Troie pour exiger le retrait des garde-fous européens et obtenir des financements pour augmenter les capacités. Avec l’augmentation des prix du carburant, la rentabilité des engins à fort impact comme les chaluts de fond traînés sur le substrat marin, déjà artificielle et dépendante de l’argent public, s’est effondrée. Les engins traînants semi-industriels et industriels étant en faillite structurelle, ils ont embrassé la cause de la décarbonation comme une priorité vitale pour tenter de réduire la facture énergétique, en restreignant la question de la transition écologique à la seule question des émissions de CO2, ce qui est largement insuffisant et infondé scientifiquement.

Notons par ailleurs l’incohérence d’un positionnement plaidant pour le financement de la construction de nouveaux navires industriels alors que 52 millions d’euros de fonds européens ont été utilisés pour payer la destruction de 81 navires dans le cadre du Brexit[4].

En janvier 2024, BLOOM a publié les résultats scientifiques du groupement de recherche constitué autour de la question de la transition du secteur de la pêche. Voici quelques données issues du rapport « Changer de cap » donnant la mesure de l’inadaptation orthogonale de la feuille de route bretonne avec le bilan objectif et quantifié de la performance des différentes flottes de pêche :

Les chaluts et sennes de fond sont responsables de :

  • 84% de la surexploitation des stocks de poissons générée par les flottes
  • Plus de la moitié des captures totales de juvéniles (poissons immatures sexuellement)
  • 90% de l’abrasion des fonds marins engendrée par les méthodes de pêche traînantes
  • 57% des émissions de CO2 (alors qu’ils ne représentent même pas un quart de la flotte).

2ÈME COMMANDEMENT : DÉCARBONER SANS RIEN CHANGER

La « feuille de route » témoigne d’une vision particulièrement étriquée de la transition du secteur qui n’est abordée que sous l’angle énergétique et non dans une perspective écosystémique. Un moteur « vert » plutôt que diésel ne règlera pas les autres tares environnementales et sociales associées aux chaluts industriels (+ de 24 m) et semi-industriels (12-24 m). Les travaux du groupement de recherche sur la transition des pêches ont pourtant démontré que les navires de petite pêche côtière et les engins dits “dormants” étaient ceux qui avaient le meilleur bilan économique, social et écologique.

En restant fidèle à la ligne défendue par les industriels, la feuille de route manque d’ambition et de vision pour le secteur et ne propose, finalement, que de pérenniser un modèle industriel historiquement responsable de la destruction des ressources et des emplois.

Comparés aux arts dormants côtiers (engins sélectifs tels que la ligne, le casier ou le filet), les chaluts et sennes de fond :

  • Sont 3 à 4 fois moins rentables par rapport au capital investi
  • Créent 2 fois moins de valeur ajoutée et
  • 2 à 3 fois moins d’emplois.

Les grands chalutiers pélagiques créent, quant à eux, 10 fois moins d’emplois que les petits métiers côtiers.[5]

3ÈME COMMANDEMENT : INVISIBILISER LA PETITE PÊCHE ARTISANALE

Le document de 112 pages ne fait pas une seule fois mention de la petite pêche côtière ou artisanale. En outre, les mesures de maintien et de renouvellement de la flotte ciblent « principalement » les semi-hauturiers (12-24 m) et les hauturiers (plus de 24 m). Comme toujours, la petite pêche côtière est la grande laissée pour compte des décideurs publics.

Ce document porte le sceau des industriels du secteur de la pêche et démontre à quel point la transparence et la concertation citoyenne sont indispensables pour définir l’avenir d’un secteur dépendant de ressources sauvages et impactant le plus grand Commun de la planète, son organe vital : l’océan.

Nous demandons au Président du Conseil régional de Bretagne, Monsieur Loïg Chesnais-Girard et au vice-président Mer et Littoral M. Daniel Cueff de retirer cette feuille de route indigne de l’urgence sociale du secteur de la pêche et de l’état écologique de l’océan.

Nous leur demandons par ailleurs d’engager une élaboration transparente et citoyenne du futur document fixant le pilotage stratégique et scellant le sort de l’océan et des pêcheurs artisans.

J'INTERPELLE LE PRÉSIDENT ET LE VICE-PRÉSIDENT DE LA RÉGION BRETAGNE

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