YÁNIS VAROUFÁKIS : « Les mouvements, comme les acteurs politiques, devraient avoir une date d’expiration »

Publié le lun 07/05/2018 - 16:55

Figure de l’anti-austérité, l’ancien ministre des Finances grec a lancé fin mars son nouveau parti baptisé MeRA25. Il est également à l’initiative du mouvement transeuropéen Diem25, dont l’objectif est de rallier à sa cause des partis nationaux, comme Génération-s de Benoît Hamon, pour présenter un programme commun aux élections européennes de 2019. Ambition : relancer une Europe écologique, transparente et solidaire.

Propos recueillis par Magali Chouvion, traduction Lisa Clisson O'Beirne

Depuis des années, vous vous battez contre la politique d’austérité européenne. Pourriez-vous nous expliquer de quoi, selon vous, cette austérité est responsable ? 

La Grèce n’a pas subi un simple programme d’austérité. Le pays a subi la plus importante austérité dans l’histoire de l’Homme ! Une ‘grande dépression’ en résulte. Plus de 28 % des revenus réels ont été perdus, un tiers des emplois éradiqués, une famille sur deux survit sur une petite allocation. Dernier chiffre, et pas le moindre, le taux de suicides a augmenté de 45 %. En d’autres mots, la Grèce est le laboratoire vicieux d’un néolibéralisme devenu fou.

Dans une telle situation, selon vous, les solutions contre la pauvreté et les inégalités concernent nécessairement l’échelle européenne ou ces problèmes peuvent-ils être réglés au niveau national ?

Afin de combattre la pauvreté, nous devons agir sur tous les niveaux à la fois : localement, nationalement et au niveau de l’Union Européenne. DiEM25 pense que le fait de prioriser le niveau national sur le niveau européen, comme le contraire, serait une erreur. Nous devons tous aller dans le même sens.

Vous avez créé DiEM5 en 2016. Était-ce déjà en prévision des Européennes de 2019 ? 

Lors de la création de DiEM5 en février 2016, nous avions un seul objectif en tête : la création d’un seul mouvement pour tous les Européens progressistes. Donc la dissolution des fausses barrières entre nos nations, aussi bien que des séparations des partis politiques, qui sont dénuées de sens. Pendant deux ans, nous nous sommes focalisés sur la question essentielle : « Qu’est-ce qui doit être fait ? Qu’est-ce qu’on peut faire par rapport à la pauvreté, à l’évasion fiscale, à la dette publique et privée, aux taux trop bas des investissements, à la destruction de la Planète ? Peut-on concevoir un cadre unique pour l’Europe entière qui ramènera de l’espoir ? » Le résultat de notre réflexion est présenté dans la publication du « New Deal Vert », et dans nos autres travaux sur la transparence, les réfugiés et le projet d’assemblée constitutionnelle qui remettra le sens ‘demos’ dans la démocratie à travers l’Europe. Une fois que nous avons répondu à ces interrogations, et proposé des actions à mener, nous nous sommes rendus compte que la seule façon de faire entrer nos propositions dans le débat public était de les présenter aux électeurs du Parlement européen.

Pourquoi vous êtes-vous donné jusqu’à 2025 pour réussir (ndlr, d’où le nom DiEM25), et pas plus de temps ? Quels sont les indicateurs qui vous montrent que « le temps est venu » ?

Simplement parce que nous pensons que l’Europe ne dispose pas de plus de temps. Nous craignons même que 2025 ne soit trop loin. De plus, nous croyons que les mouvements et les acteurs politiques eux-mêmes ont ou devraient avoir une date d’expiration. Sinon, ils deviennent une partie de ‘l’establishment’.

Présenter un seul parti politique sur plusieurs pays n’est pas possible en Europe. Vous souhaitez donc faire des alliances et présenter un programme commun avec d’autres partis nationaux. Mais avez-vous des alliés dans chaque pays ? Quelle est votre méthodologie d’action ?

Légalement, vous avez raison. Autrement dit, il n’existe pas une Union européenne réelle. Mais DiEM25 croit fortement qu’il est possible de dépasser les incompétences légales et politiques de l’Europe. Nous établissons une liste transnationale de partis. Par exemple, nous avons créé notre nouveau parti en Grèce, MeRA25, et DiEM25 a intégré des partis politiques existants en Pologne (Razem) et au Danemark (Alternativet). Ces partis se réunissent au niveau européen, en un seul conseil de gouvernance qui se met d’accord sur une liste commune de candidats et un manifeste. Le résultat, en pratique, est un mouvement paneuropéen, transnational. 

En France, vous vous êtes rapprochés de Benoît Hamon et de son mouvement Génération-s Êtes-vous sur la même ligne concernant toutes vos préconisations ou avez-vous des différences de vision ?

Génération-s est entré en tant que membre fondateur de notre mouvement. C’est un nouveau mouvement qui est en train de formuler ses politiques, idéologies et identités. En participant à notre mouvement paneuropéen et transnational dès le début – tout comme les autres partis inscrits – Génération-s et DiEM25 se rapprochent de jour en jour. De plus, nous sommes en train d’œuvrer pour attirer d’autres forces politiques vers notre mouvement. C’est une action hautement épanouissante.

Et Jean-Luc Mélenchon ? Nous connaissons tous ses arguments anti-libéraux. Un rapprochement est-il possible avec son parti, ou son nationalisme est-il problématique pour DiEM25 ?

Nous avons beaucoup de choses en commun, naturellement. Notamment notre critique de ‘l’Establishment’, qu’il soit français, grec ou allemand. Tout comme notre opposition à l’adoption par Macron, Merkel et Tsípras, des politiques qui affaiblissent les faibles, renforcent la droite raciste et délégitimisent l’Europe aux yeux des Européens. Néanmoins, nous avons une importante divergence d’opinion. 

Jean-Luc Mélenchon propose pour l’Europe un Plan B sans la mise en place d’un Plan A crédible. Pour être plus précis, son Plan A est basé sur la proposition de déchirer les traités européens existants. Bien que nous sommes d’accord sur le fait que les traités existants mettent à mal la prospérité économique comme la démocratie, la construction d’un Plan A sur le concept de la désintégration de l’Europe et de ses traités n’est pas crédible. Premièrement, il faut du temps pour remplacer les traités avec une alternative démocratique paneuropéenne. Deuxièmement, un Plan A raisonnable doit être basé sur des propositions exaltantes. Au lendemain de notre élection, nous allons recalibrer les institutions existantes induites par les Traités actuels pour apporter une différence de vie appréciable à la majorité des Européens.

Ce Plan A, DiEM25 le propose sous la forme d'un 'New Deal Européen Vert'. Jean-Luc Mélenchon est obligé de procéder directement à son Plan B : la sortie de la France de l’UE. Ce manque d’un Plan A digne, qui mène logiquement à la mise en œuvre d'un Plan B de désagrégation, est la principale dissension entre DiEM25 et le mouvement de Jean-Luc Mélenchon.

Pourriez-vous donc nous décrire vos Plans A, B voire C pour l’Europe ? Bref, vos ambitions et options en cas d’échec.

Comme je l’ai dis, notre Plan A – notre priorité – consiste en un 'New Deal Vert Européen' qui boostera de façon importante les investissements ‘verts’, et prendra en compte la pauvreté et les dettes publiques et privées. Mais aussi la création d'une assemblée constitutionnelle pour permettre aux Européens de débattre de comment, et avec quoi, nous allons remplacer les traités européens avant 2025. 

Notre Plan B est très simple : il faudra répondre au refus quasi certain de la part de ‘l’Establishment' du Plan A par des actions de désobéissance civile et gouvernementale à tous les niveaux : municipal, régional, national et européen. Dans un sens, nous allons imiter la tactique de la chaise vide de De Gaulle dans les années 60. 

Quant au Plan C : bien que nous ne proposerons jamais la désintégration de l’UE, nous serons préparer à ramasser les morceaux si/quand l’euro et l’UE se désagrège/raà cause de l’incompétence autoritaire de l’Establishment. 

Dans votre programme, vous proposez un 'New Deal européen', avec de forts investissements, notamment dans le développement des énergies vertes et dans la lutte contre les pauvretés via une garantie d’emploi et des logements sociaux. Comment ces investissements seront-ils financés ?

La Commission européenne donnera son feu vert à la Banque européenne d'investissement pour procéder à l’émission de 500 milliards d'euros d’obligations publiques chaque année pendant 5 ans. Pour s’assurer que ces obligations ne perdront pas leur valeur en raison d’une offre excessive, les banques centrales (dans la juridiction desquelles les investissements seront effectués) annonceront leur volonté de les acheter si leurs rendements devaient dépasser un certain niveau. En d’autres termes, DiEM25 propose une nouvelle version verdie de l’Assouplissement Quantitatif qui utilise le bilan des banques centrales pour lever les liquidités privées dormantes et les transformer en investissements verts réels. De cette façon, le New Deal Vert, qui représentera 5 % de la zone Euro en cinq ans, sera entièrement financé, sans aucun nouvel impôt et sans être garanti par les citoyens imposables.

Quant au dividende universel, est-ce la même chose que le revenu universel proposé par Benoît Hamon ?

Non. Notre proposition d’un Dividende Universel de Base (DUB) diffère du revenu universel de façon importante. Nous sommes contre l’idée de le financer par les impôts. Nous proposons qu’il soit financé par le Fond européen de richesse ou d’équité dans lequel les grandes entreprises déposeront 10 % de leurs actions. Ce sont les dividendes qui financeront le DUB. Dans un sens, nous sommes en train de proposer que les citoyens profitent, à part égale, des droits de propriété d’une partie des actions des entreprises.

Avez-vous aussi des projets pour une refonte des institutions européennes ? Pour limiter l’action des lobbies par exemple ? Augmenter la transparence ? Ou pour renforcer la démocratie directe ?

Notre manifeste exprime cela de façon parfaitement explicite. La transparence est la clé de voûte de notre campagne, l'aspect central de notre raison d’être.

En 2025 justement, qu’aimeriez-vous que soit l’Europe ?

Une source d’inspiration. Et le lieu d’une prospérité partagée par les Européens. Le contraire de son état actuel qui ressemble de plus en plus à une cage de fer faite d’austérité et de misanthropie.

 

À LIRE

Aux éditions Les Liens qui libèrent : Conversations entre adultes. Dans les coulisses secrètes de l’Europe, 2017. Et les faibles subissent ce qu’ils doivent ? 2016. Notre printemps d’Athènes, 2015. Un autre monde est possible : pour que ma fillecroie encore à l’économie, Flammarion, 2015. 

Le Minotaure Planétaire : l’ogre américain, la désunion européenne et le chaos mondial, Le Cercle, coll. « Enquêtes et perspectives », 2014.


Bio express


© Jörg Rüger/Wikimedia Commons

24 mars 1961 : il naît à Athènes.

1987 : il obtient son doctorat en économie à l'universitéd'Essex en Angleterre.

1989-2000 : il est professeur associé en théorie économique à l'université de Syndney (Australie)

2000-2006 : il enseigne à l'université d'Athènes.

De janvier 2004 à décembre 2006 : il est conseiller économique de Giórgos Papandréou, alors président du Pasok.

25 janvier 2015 : il est élu député d'Athènes. À la suite de la victoire de Syriza, il est nommé ministre des Finances dans le gouvernement Tsípras jusqu'au 6 juillet 2015 où il démissionne après le référendum.

Le 9 février 2016 :  il lance le Mouvement pour la démocratie en Europe : DiEM25.


 

Garantissez l'indépendance rédactionnelle et financière de Sans transition !