[THEMA] ALIMENTATION : sur place ou à importer ?

Publié le mer 18/01/2023 - 11:00

Par Quentin Zinzius

Fortement dépendant des importations, le système alimentaire français doit se relocaliser. Mais la démarche a un coût : de la production à la distribution, pour que le système se transforme de manière durable, des centaines de milliers d’emplois vont devoir être créer… sans que ces surcoûts impactent les consommateurs.

Si la France est historiquement un grand pays d’agriculture et demeure le principal producteur européen avec 17% de la production totale, elle reste extrêmement dépendante de ses voisins pour se nourrir. Ainsi, selon un rapport sénatorial (1) du 10 octobre 2022, la France importe près de 50% de ce qu’elle consomme. Précisons : pour les fruits et légumes frais, qui sont les bases d’une alimentation saine et équilibrée, le taux d’importation atteint respectivement 28% et 71% (!) du total consommé. Un constat alarmant selon Gilles Fumey, enseignant-chercheur en géographie culturelle de l’alimentation au CNRS. « Si nous ne relocalisons pas notre système alimentaire, de la production à la transformation, de ce qui est indispensable à l’échelle de la France puis des territoires, c’est notre sécurité alimentaire qui est en jeu », prévient-il. « L’enjeu est colossal : nous devons transformer le système alimentaire tout en assurant un prix de l’assiette raisonnable pour tout le monde », complète Yannick Saleman, chef de projet emploi et politiques industrielles au Shift Project.

Produire local

Encore faut-il savoir par où commencer. « Le premier élément pour entamer une relocalisation, c’est de comprendre ce que local veut dire, reprend Gilles Fumey. Le facteur déterminant, c’est la distance à parcourir pour accéder aux produits indispensables à notre alimentation. » Il s’appuie notamment sur le modèle de Von Thünen qui décrivait dès 1828 la répartition des cultures selon leur importance dans notre régime alimentaire, leur facilité de transport et leur rentabilité économique. Par ordre de proximité : le maraichage, le bois de chauffage, les cultures céréalières puis l’élevage extensif. « Ce qui doit être le plus local possible, ce sont les produits frais, les fruits et légumes – adaptés aux climats locaux – et dont la durée de conservation est limitée », insiste Anne-Cécile Brit, bénévole aux Greniers d’abondance et coordinatrice du Civam Bretagne. Bien que les céréales occupent une place importante dans notre régime (un tiers d’une assiette équilibrée), elles restent « par essence même, stockables sur le long terme, reprend Gilles Fumey. De plus, leur transport est moins couteux que celui des produits frais car il ne nécessite pas de réfrigération. Il n’y a donc pas d’urgence à en faire sur tous les territoires, d’autant que certains sont déjà inadaptés à ces cultures, comme le Dauphiné ou la Bretagne », ajoute-t-il.

Logistique alimentaire

« Relocaliser ces productions implique une importante main-d’œuvre agricole », complète Yannick Saleman : 366 000 emplois à créer selon le Plan de transformation de l'économie française (2) du Shift Project. Une main-d’œuvre à former aux nouvelles pratiques agricoles, mais aussi à la distribution des produits. « Car une bonne territorialisation passe aussi par des circuits de transformation et de distribution locaux », reprend l’expert. « Certaines régions sont mieux fournies que d’autres en ce qui concerne la transformation, notamment la Bretagne, étaye Gilles Fumey, mais ses infrastructures ultraspécialisées sont adaptées à un marché alimentaire mondialisé, et non à des besoins locaux ». Pourtant, il n’y a finalement rien à inventer. « Il faut bien sûr profiter des infrastructures là où il y en a encore, mais il faut aussi en remettre là où elles ont disparu. Transformer et vendre à la ferme est un art oublié », rappelle Anne-Cécile Brit. Ce type de commercialisation s’adapte bien aux territoires ruraux, alors que les initiatives de circuit courts actuelles « s’orientent davantage vers les zones urbaines. Sans oublier des solutions comme les commerces itinérants, les magasins coopératifs, les plateformes mutualisées de distribution pour les producteurs locaux, la mutualisation d’outils de production et de transformation… En clair, nous allons devoir jouer collectif ! »

La faim d’un monde

Mais relocaliser tous les maillons de la chaîne ne suffira pas. « Il faut aussi créer les débouchés, alerte Anne-Cécile Brit. Car produire sur les territoires serait totalement inutile si la production ne peut pas être écoulée, s’il n’y a pas de demande des consommateurs ». Une fois de plus, la question de nos choix de consommation revient sur la table. Par ailleurs, « les produits carnés et ultra-transformés auront toujours, même dans un système relocalisé, des externalités négatives plus importantes », atteste Gilles Fumey. En diminuant certaines de ces consommations à des niveaux plus raisonnables, « nous pouvons nous passer des pratiques intensives, des « usines agricoles » et l’agro-industrie, mauvaises pour la planète comme pour notre santé », ajoute Yannick Saleman. D’une pierre, deux coups. Reste maintenant à convaincre la population. « Cuisiner est aujourd’hui devenu un luxe, se désole Anne-Cécile Brit. Mais en acceptant de remettre la main à la pâte, non seulement notre assiette sera plus équilibrée, mais nous diminuerons également les besoins en infrastructures de transformation ».

Une vision globale

Reste à soutenir ces relocalisations sur les territoires – sans que cela n’affecte trop le porte-monnaie des ménages. Par chance, il y a un précédent. « Il y a eu un soutien historique de transformation du système alimentaire et agricole lors de son industrialisation, sans que les consommateurs n’en aient pâti d’un point de vue budgétaire, rappelle Yannick Saleman. Nous devons à présent apporter le même soutien économique mais pour faire le chemin inverse ». Et pour se faire, les spécialistes s’accordent : « la Politique agricole commune (Pac) est un élément crucial ». « Aujourd’hui la Pac compense le surcoût des produits conventionnels, ce qui donne l’illusion que ceux-ci sont moins cher que le bio », analyse encore Yannick Saleman. « Associée aux Projets alimentaires territoriaux (PAT), une Pac relocalisée permettra d’entrer dans une logique systémique : des objectifs globaux, des impératifs locaux », ajoute Anne-Cécile Brit. « Mais nul ne peut contraindre les élus, raille Gilles Fumey. Mouans-Sartoux (lire Zoom territoire) est un exemple de ce qui se fait de mieux dans le domaine et pourtant trop peu de communes ont sauté le pas. » Pour que tout le monde ait à manger sur sa table, ils ne doivent pourtant pas tarder à mettre les pieds dans le plat.

 

Notes de bas de page :

1) https://www.vie-publique.fr/en-bref/286593-agriculture-francaise-une-puissance-mondiale-qui-decline

2) https://theshiftproject.org/wp-content/uploads/2021/04/TSP-PTEF-V1-FL-Agriculture.pdf

3) https://www.rmt-alimentation-locale.org/post/parution-du-guide-de-bonne…

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