PAYSANS, ILS VEULENT REPRENDRE LA MAIN SUR LA MACHINE

Publié le jeu 19/07/2018 - 15:58

Par Jérémy Pain

Renouer avec des savoirs paysans oubliés afin de retrouver une autonomie vis-à-vis d’un matériel agricole de plus en plus cher et sophistiqué. C’est l’objectif des formations d’auto-construction dispensées par l’Atelier paysan. La coopérative essaime désormais partout en France. Entraide et partage d’expériences garantis.

Les formations de l’Atelier Paysan, coopérative d’auto-construction de matériel agricole, n’ont pas toujours lieu dans un tel cadre, mais cette fois-ci, les sept agriculteurs ont particulièrement de la chance. Cette semaine d’avril, ils sont accueillis chez Ludovic Baudel, participant du stage et co-gérant du Gaec (Groupement agricole d'exploitation en commun) Terres d’Eole à Poleymieux-au-Mont-d’Or (Rhône). Perchée sur les collines du nord de Lyon, l’exploitation offre en effet une vue imprenable sur la plaine de l’Ain jusqu’à la chaîne des Alpes et le Mont-Blanc. Un panorama que les sept comparses n’auront malgré tout pas trop le loisir de savourer, bien plus occupés à travailler le métal et concevoir un outil avec lequel ils repartiront en fin de formation : cette fois-ci une brosse à blé. La machine, composée d’un tambour central, permet de séparer des céréales les poussières fixées en surface et autres parasites. Elle est utilisée en amont de l’activité de meunerie pendant laquelle le moulin transformera les grains en farine.

Concevoir un outil adapté

Sept agriculteurs réunis donc pendant quatre jours. Ou plutôt sept paysans-boulangers, en devenir ou déjà aguerris, qui ensemble revoient des savoirs de base liés à leur activité. « C'est une formation de travail du métal avant tout. Couper, tracer, pointer, percer et souder. C'est l'essentiel », résume Dominique Traullé, le formateur de la semaine. « Il y a un double objectif. Pour que le travail soit intéressant, chacun travaille sur un outil qu’il pourra rapporter chez lui. Le stagiaire va le maîtriser, oser le transformer, l'entretenir » poursuit-il. Éparpillés dans les coins d’un hangar, chacun occupe un poste différent. Les étincelles jaillissent au contact du fer à souder et de la meuleuse. Les conseils se multiplient à mesure que les mains butent sur les difficultés. Chacun vient à tour de rôle s’imprégner des différents plans de l’outil placardés sur un des murs. Plus tard, l’assemblage des tôles, des barres et autres tubes permettra de façonner l’objet final.

À côté de la pratique, le formateur avance un autre avantage : l’outil est adapté. S’il existe dans le circuit commercial traditionnel, il est le plus souvent approprié pour des volumes importants et coûte en conséquent plus cher, jusqu’à quatre fois plus qu’un outil auto-construit. À l’Atelier Paysan, les outils se nomment vibroplanche, cultibutte ou encore rouleau  »fakir ». Ils sont tous été imaginés, développés et modifiés par des paysans eux-mêmes selon leurs besoins. En permanence sujets à amélioration, les plans et tutoriels des 52 nnovations répertoriées sont en libre accès sur le site Internet de la coopérative d'autoconstruction dans une logique de diffusion libre des savoirs. Ici on ne s’accapare pas les objets avec des brevets, on essaie au contraire de les diffuser massivement aux professionnels qui souhaitent les utiliser.

Retrouver son indépendance

Engagés le plus souvent en agriculture biologique, les stagiaires de l’Atelier Paysan sont tournés vers les valeurs de l’agro-écologie. « Nous avons tous un esprit paysan avec cette volonté de faire vivre des petites structures, d'être autonomes et de vivre de nos métiers en minimisant les coûts de production », assure Ludovic Baudel. Au sein du Gaec, il est en charge, avec Mélanie Moreira de la panification, lui s’occupant de la partie agricole, son acolyte de la boulangerie."« Nous sortons le pain du jour à côté des champs de blé. Nous vendons très localement, à un petit magasin dans le village, aux Amap des communes alentours et dans un magasin de produits bio. »

Si cela fait huit ans que le paysan-boulanger est engagé dans l’activité, pour d’autres stagiaires, les formations de la coopérative servent de déclencheur pour se lancer ou diversifier leur profession. Lionel Roux est de ceux-là. À 34 ans, il est producteur de fromage à Montseveroux (Isère) depuis trois ans. Il souhaite aujourd’hui développer une nouvelle activité et conquérir son indépendance. « Je gagne ma vie parce que je suis autonome. C'est valable pour tout : l'alimentation des animaux, la vente directe et aussi la mécanisation », assure-t-il.

Les discours militants sont pleinement assumés. Entre les lignes, émerge la critique d’un modèle conventionnel qui ne satisfait pas ces professionnels désireux d’exercer leur métier différemment. « C'est un système qui s’essouffle, on le voit. Sur l’exploitation, nous avons 10 vaches, 30 chèvres. On fait 10 hectares de blé. Tout en bio. On a repris la ferme il y a trois ans, la personne travaillait toute seule, aujourd'hui nous sommes cinq. Et on se paye correctement », renchérit l’éleveur.

 

 

Le formateur Dominique Traullé, pas avare en coups de main - Crédit : J.Pain

Une entreprise de l’ESS en plein développement

Ce développement est à mettre en regard avec le succès de l’Atelier Paysan. Fondée en 2009 par Fabrice Clerc, charpentier reconverti eningénieur agronome, et Joseph Templier, maraîcher bio, l’entreprise basée en Isère a depuis adopté le statut de Société coopérative d'intérêt collectif (Scic). Pour une gouvernance partagée entre salariés et paysans. Elle n’a cessé ces dernières années de grandir et compte aujourd’hui onze salariés permanents contre trois seulement en 2012. 70 formations sont désormais dispensées à travers la France, majoritairement entre l’automne et le printemps, lorsque les travaux des champs occupent moins les agriculteurs. Les frais pédagogiques des ateliers sont pris en charge par des fonds professionnels des salariés de l'agriculture. Seul reste à la charge des stagiaires l’achat des matières premières utiles à la confection des outils.

L’Atelier Paysan possède en outre quatre camions-ateliers bardés d’outils et de postes de soudure qui sillonnent le territoire pour s’installer dans des lycées agricoles, des fermes ou des maisons familiales rurales. Progressivement, la coopérative se diversifie pour aller sur d’autres secteurs comme la conception assistée par ordinateur, le travail du bois et l’électronique libre. Les nouvelles pratiques agricoles ont rendu nécessaire la confection de nouvelles machines davantage respectueuses des sols. Fini donc le labour en profondeur.

Recréer du lien entre les paysans

Au-delà des savoirs techniques, les formations permettent de mutualiser les expériences des uns et des autres et de briser l’isolement qui touche parfois les agriculteurs. « C’est un travail d’équipe, cela crée des liens, on se retrouve sur les mêmes thématiques. On se retrouve ailleurs également, dans le réseau Semences Paysannes par exemple », reconnaît Ludovic Baudel.

Entre ceux qui sont installés depuis des années et les porteurs de projet, les échanges se multiplient, les repas et temps de pause constituant autant de moments propices aux discussions sur le métier et les pratiques. « Nous sommes face à un public qui se pose des questions, prêt à changer de façon de faire si nécessaire. Nous avons en commun des valeurs de partage, c’est très facile de travailler avec eux », abonde le formateur. Respirer pendant quatre jours les odeurs de métal chaud, ça soude.

Plus d'infos :

www.latelierpaysan.org


« Plus d'observations, moins d'interventions »

DR

Véronique Bellon Maurel est directrice du département Ecotechnologie d'IRSTEA, l'Institut national de recherche en sciences et technologies pour l'environnement et l'agriculture. Pour elle, le numérique et la robotique sont indispensables pour passer à l'agro-écologie.

Quelles sont les projets de recherche menées par IRSTEA sur les nouvelles technologies appliquées à l'agriculture ?

À IRSTEA, on travaille essentiellement sur 3 types d'activités. D'abord sur le matériel d'application d'intrants (fertilisants, produits phyto et eau). On cherche à évaluer les matériels existants et à en créer de nouveaux. Notre objectif est bien sûr d'être plus précis dans l'application pour réduire la quantité d'intrants épandus en utilisant les concepts de l'agriculture de précision. Le deuxième axe est la robotique qui est développée dans notre centre de Clermont-Ferrand, baptisé RobAgri. Si l'on veut changer de forme d'agriculture et aller vers un modèle plus agro-écologique, cela nécessite plus d'observations et moins d'interventions. Si l'on veut éviter de mettre des produits phytosanitaires, il faut plus d'interventions mécaniques. Donc nous travaillons sur la mobilité des robots dans les champs et sur la collaboration de robots en troupeaux pour une productivité élevée mais avec un impact moins important sur l'environnement que les machines actuelles.

Et du côté du numérique ?

Le numérique est notre troisième axe de travail développé à l'institut #Digitag à Montpellier. Il est utilisé pour observer. Par le biais des satellites qui permettent de faire des suivis des cultures, des adventices… tous les 5 jours. Mais aussi par le biais des smartphones via l'appareil photo ou parce que l'agriculteur rentre les données à la main. Il existe aussi des capteurs permettant d'engranger des données de température, d'hydrométrie, de qualité du sol… Toutes ces données qui reviennent à l'agriculteur permettent une agriculture de précision pour mieux produire.

Ces nouvelles technologies ouvrent-elles la porte à une agriculture plus durable ?

Oui, aujourd'hui il faut vraiment que l'on change de manière de produire. Il faut aller vers l'agro-écologie. Et en agro-écologie, on parle d'être plus efficace dans les applications d'intrants, de mieux utiliser les propriétés fonctionnelles des écosystèmes, du sol, des associations. Le numérique et la robotique sont indispensables à ce changement de mode de production. Les agronomes vont devoir penser de nouveaux systèmes de culture, de nouvelles rotations, des cultures associées, etc. Si on essaie de le faire sans réfléchir en même temps à l'agro-équipement, on n'y arrivera pas ou pas bien.

Plus d'infos :

www.irstea.fr

Garantissez l'indépendance rédactionnelle et financière de Sans transition !