Miscanthus : le nouvel or vert ?

Publié le lun 07/05/2018 - 15:38

Encore peu connu, le miscanthus commence à séduire de plus en plus de producteurs par ses multiples usages : chauffage, paillage et peut-être demain d’autres fonctions encore dans les nouvelles filières de la bio économie. Reste la première étape : structurer un marché en pleine éclosion. Reportage en Ariège, dans la toute première exploitation de miscanthus du sud de la France.

Par Grégoire Souchay

Le printemps peut bien avoir officiellement commencé, le vent pénétrant et la neige poudrant encore les sommets pyrénéens voisins donnent un air hivernal au lieudit Pontaut. Située à dix kilomètres de Pamiers, au coeur de la plaine de l’Ariège, l’exploitation de Lise Girard n’a de prime abord pas grand-chose de particulier, si ce ne sont ces longues tiges jaunies et effeuillées dans les champs tout autour. « À l’automne, la plante produit une sorte de coton qui brille à la lueur du soleil »,poétise la propriétaire de cette première exploitation de miscanthus (miscanthus giganteus) en Occitanie. Variété la plus couramment cultivée aujourd’hui, cette espèce de graminée résulte d’un croisement naturel, ramenée du Japon par un horticulteur danois en 1935. Pouvant atteindre quatre mètres de haut, ses attraits ne sont pas seulement esthétiques. « Mon père a découvert cette culture en allant installer des panneaux solaires chez un céréalier qui en cultivait dans le Loiret », raconte la jeune femme, ingénieure agronome de formation, installée avec son compagnon en Ariège depuis 2010. « Je voulais développer une activité soutenable pour une femme seule, ni chronophage, ni trop physique. »Suivant l’exemple beauceron, elle décide de se lancer dans la production de miscanthus et finit par acquérir 85 hectares sur la commune de Montaut.

UN PARI SUR L’AVENIR

Lise Girard nous emmène dans une parcelle voisine de la ferme. La terre commence tout juste à absorber les précipitations d’un hiver relativement humide mais les tiges de la plante sont déjà bien sèches, les feuilles qui poussent en été sont tombées dès l’automne. « Nous avons planté au printemps dernier 20 000 rhizomes par hectare »,raconte l’exploitante. Après un premier labour, les pieds sont plantés à 10 cm de profondeur. Ensuite, les racines se déploient jusqu’à un mètre autour et densifient progressivement la production. Pour le moment, entre les rangs, on trouve ici ou là encore un peu de végétation. «La culture du miscanthus est exigeante les deux premières années. Comme pour du maïs, nous avons irrigué et même utilisé un peu de désherbant, mais c’est seulement pour cette année »,assure Lise qui souhaite s’inscrire dans une culture écologique. C’est toute la singularité de cette culture : après deux années d’entretien, elle devient pérenne pendant au moins vingt ans, avec une récolte annuelle au printemps. « Il vaut mieux avoir dès le départ des débouchés à la production »,soutient Alain Jeanroy, président de France Miscanthus. Lui voit surtout de multiples intérêts économiques à cette culture. Avec un rendement de vingt tonnes à l’hectare, le double si les terres ont été irriguées, « le miscanthus reste avant tout destiné aux chaufferies biomasse collectives, mais on l’utilise désormais comme paillage et mieux encore, comme litière animale. »La plante, jusqu’ici peu connue, commence à faire des émules dans le monde de l’élevage, notamment en aviculture. Lise Girard explique : « à la différence d’une paille traditionnelle, le miscanthus est très absorbant et il n’est pas nécessaire de le remplacer tout le temps ».Un investissement à l’achat mais au final de possibles économies pour les éleveurs qui disposent ainsi d’un fumier plus concentré et moins acide.


© G. Souchay

VERS DE LA MONOCULTURE DURABLE ?

Aujourd’hui, la production de miscanthus concerne 5500 hectares en France, avec une croissance annuelle des surfaces de 10 %. Elle demeure un pari audacieux, avec de lourds investissements de départ et au minimum trois ans pour pouvoir faire la première véritable récolte. En moyenne, il faut compter 2500 euros par hectare simplement pour la plantation dans des terres potentiellement irrigables, donc plus chères et recherchées. Les 85 hectares de l’exploitation ariégeoise font ainsi figure d’exception : « La taille des exploitations varie entre 5 et 10 hectares en moyenne. Et elle est souvent associée à un élevage ou à d’autres cultures »,explique Alain Jeanroy. Car outre l’apport financier, la culture de miscanthus demande des pré-requis importants pour devenir viable : une bonne terre, la possibilité d’irriguer au moins deux ans, et surtout des débouchés à proximité. Peu dense, le miscanthus nécessite d’importants espaces de stockage et engendre des coûts de transport élevés. « C’est une production qui n’est rentable qu’en circuit court »,confirme Alain Jeanroy.

Heureusement, à la ferme de Pontaut, Lise Girard dispose déjà de son propre réseau. C’est Novabiom, leader français du marché du miscanthus, qui lui a vendu lesplants et l’a encouragé, la demande étant aujourd’hui supérieure à l’offre. Difficile d’avoir du recul tant, de la chambre d’agriculture aux syndicats agricoles, le miscanthus reste encore méconnu de la profession. Mais la néo-ariégeoise est confiante : « j’ai un bon soutien de la part des entrepreneurs agricoles locaux qui m’aident à me faire connaître par le bouche-à-oreille ». Et elle mise sur la vente directe : « un certain nombre de producteurs sont intéressés pour des essais de litière. Je vise également des communes déjà équipées d’un réseau de chaleur pour leur proposer mon produit », comme à Montaigut-Plantaurel, plus à l’ouest. « Et les pistes de diversification sont encore plus nombreuses ! »,s’enthousiasme Lise Girard. Quant au risque de voir ces cultures énergétiques se substituer aux cultures alimentaires, la récente décision de l’Union Européenne d’inscrire le miscanthus dans la liste des espèces éligibles aux surfaces d’intérêt écologique (SIE) ouvre la voie à son implantation en zones de captage d’eau potable ou sur des bordures de parcelles, hors concurrence donc. À Montaut, il faudra encore un an pour la première récolte, trois pour une production optimale. Le temps d’apprécier si l’herbe à éléphant accouchera d’une souris ou donnera vie à une nouvelle filière en Occitanie.


INTERVIEW

HERMAN HÖFTE : « Un réel intérêt biologique »

Propos recueillis par GS

Directeur de recherche à l’INRA de Versailles, le biologiste Herman Höfte est spécialiste de la formation des parois végétales et travaille notamment sur le miscanthus dans le cadre des investissements d’avenir « Biomasse For the Future ».


© DR

Pourquoi les chercheurs s’intéressent-ils au miscanthus ?

Grâce à ses rhizomes, cette espèce est capable de stocker ses nutriments lorsqu’elle ne pousse pas. De ce fait, quand on coupe la tige au printemps, la plante a la capacité de repousser sans apport extérieur. En concentrant ses nutriments dans la partie basse, les cannes que l’on récolte ne contiennent presque que du carbone. Ces rhizomes sont également des clones stériles, ce qui en fait une espèce non-invasive, mais en même temps très vulnérable si jamais une maladie touchait l’espèce. Nous cherchons donc désormais à diversifier les variétés cultivables.

Outre le chauffage, la paillage et la litière animale, à quoi pourrait servir le miscanthus ?

Nous menons plusieurs recherches parallèles. Avec MetalEurop, nous expérimentons sa culture dans des terres polluées et commençons à observer que les métaux lourds restent dans le sol, redonnant une vocation agricole à ces espaces. Nous avons également mis au point, avec le cimentier Calcia, un bloc de béton végétal qui pourrait se substituer aux parpaings traditionnels. Mais le processus est encore trop complexe et coûteux. On peut aussi utiliser les fibres végétales pour remplacer les fibres de verre ou de plastique, comme c’est déjà le cas dans l’industrie automobile avec d’autres cultures similaires. Pour les agro-carburants, en revanche, ce sont des perspectives plus lointaines.


L’ÉNERGIE PAR LES PLANTES

Les cultures énergétiques ou lignocellulosiques, c’est-à-dire dédiées à la biomasse – comme le miscanthus –, peuvent être envisagées comme ressources complémentaires au bois et coproduits agricoles, agroalimentaires et forestiers, dans le nécessaire développement des énergies renouvelables. Pourtant, en France, leur exploitation est encore peu fréquente.

Par VG


© Jebulon-WikimediaCommons

« La culture lignocellulosique qui se rapproche le plus du miscanthus, car également pérenne, est celle des taillis à très courte rotation (plantations de saule, le plus souvent) », explique Élodie Nguyen, chargée de mission énergie biomasse climat à la chambre d’agriculture des Hauts-de France, structure qui coordonne au niveau national le réseau RMT Biomasse. Ces derniers se récoltent également tous les trois ans et nécessitent donc un investissement de départ assez important. Ils peuvent être plantés soit en parcelles, soit en bandes. « Cela dépend de l’intérêt environnemental que l’on recherche. Toute culture pérenne peut être implantée sur des zones d’érosion pour éviter l’écoulement de boue ou l’érosion des sols comme dans le cadre du projet INNOBIOMA en Pays-de-Caux, ou sur la commune de Brumath en Alsace »,indique la spécialiste. Pourtant, en France, très peu de surfaces sont consacrées à ces cultures. « Quant au switchgrass – plantes d’Amérique du Nord, NDLR –, c’est encore plus anecdotique. Je manque de données sur ce sujet. Les parcelles que je connaissais étaient expérimentales dans le cadre du projet R&D lignoguide. Je ne sais pas s’il y a vraiment de produits valorisés à ce jour, peut être en paillage. » Voilà le problème majeur de ces plantes, la construction de leurs filières. Taillis, switchgrass et miscanthus ont pour principal débouché la combustion. Le dernier, comme expliqué dans le reportage précédent, est aussi valorisé en paillage horticole et en litière animale. Et des recherches sont menées pour l’envisager comme matériau biosourcé. D’ailleurs,« je pense qu’à moyen terme, sa valorisation en matériau bio-sourcé sera plus intéressante. Mais il faut encore attendre 3 à 5 ans avant de structurer des marchés »,commente Élodie Nguyen. Quant aux taillis à très courte rotation et au switchgrass, leur avenir est envisagé dans la production de biocarburant de 2e génération. À suivre donc…

+ D’INFOS : www.rmtbiomasse.org

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