[ LIONEL ASTRUC ] "L’art de la fausse générosité"

Publié le mar 15/10/2019 - 11:54

Dans son enquête parue en mars 2019 intitulée L’art de la fausse générosité, la fondation Bill et Mélinda Gates, (éditions Actes Sud), le journaliste et écrivain Lionel Astruc dévoile comment le patron de Microsoft assied son empire sur une posture faussement philanthrope. Pour Sans transition !, il revient sur les coulisses de l’enquête.

Depuis quelques années, la moutarde me monte au nez à chaque fois qu’un journaliste décrit Bill Gates comme le champion du monde de la générosité. Du reste j’ai toujours trouvé naïve cette vénération suscitée par l’image de Bill Gates, qui serait une sorte de Monsieur Parfait, un demi-dieu. J’ai pris la décision d’écrire ce livre le jour où j’ai lu dans un grand journal quotidien - un supplément consacré au mécénat rédigé par des spécialistes - pour la nième fois, cette description dépourvue de distance critique. Les retours que j’avais du terrain me montraient une image aux antipodes.

 

En commençant mes recherches j’ai vite compris que je ne pourrais pas réaliser seul une enquête d’une telle ampleur. C’est donc un ouvrage presque collectif dont j’aurais voulu qu’il soit co-signé avec d’autres, mais tous n’avaient pas autant de temps à y consacrer. J’ai notamment travaillé avec Mark Curtis, un écrivain, historien et journaliste d’investigation britannique qui fut auparavant chercheur à l’Institut Royal des Affaires Internationales. Il a réalisé avec l’ONG britannique Global justice now un excellent rapport intitulé « Gated development : is the Gates Foundation always a force for good ? » malheureusement passé inaperçu. La Fondation travaille dans tant de secteurs, avec tant de filiales que la complexité fait écran à une compréhension des enjeux et notamment des conflits d’intérêts à petite et grande échelle.

Paradis fiscaux

Cette enquête montre tout d’abord qu’on ne peut pas être « généreux » avec l’argent des autres, c’est à dire avec des ressources dont on prive les états via les paradis fiscaux. Le montant de l’évitement fiscal est tel qu’il peut être équivalent à ce qui est "donné". On sait par exemple que Microsoft a déplacé à l’étranger près de 21 milliards de dollars de recettes (sur une période de trois ans), économisant ainsi 4,5 milliards d’impôts dus au Trésor américain. Cela représente une somme plus importante que les dépenses annuelles (soit 4,7 milliards en 2017) de la fondation Gates dans le monde. J’ajoute que globalement Microsoft conserve 92,9 milliards de dollars à l’étranger pour éviter de payer 29,6 milliards d’impôts aux États-Unis. Autrement dit ces dons, dès le départ, n’en sont pas, mais ce n’est que le début du problème.

Plus en aval dans le parcours que suit l’argent de Bill Gates, on constate que ce qui est destiné à être « donné » est en réalité placé dans un fonds d’investissement qui fait fructifier l’argent de la fondation. Seuls les dividendes sont ensuite « donnés ». D’autres organisations philanthropiques le font et, si les investissements sont éthiques et de nature à améliorer l’intérêt général, cela ne pose pas de problème. Mais ce n’est pas le cas ici : le trust de la fondation investit dans des secteurs et des entreprises tels que l'armement, les énergies fossiles, la grande distribution, les OGM ou encore les sodas : BAE systems, Total, BP, Walmart, McDonald’s, Monsanto, Coca-Cola, etc. Comment est-ce possible ? Venant d’un surdoué comme Bill Gates on a du mal à voir là une incohérence fortuite. Ce fonds a investi dans 35 des 200 sociétés qui émettent le plus de CO2 : géants du pétrole et du charbon notamment. Cette contradiction illustre à elle seule le problème global que pose la fondation Gates comme Albert Einstein le disait : « on ne résout pas un problème avec les modes de pensées qui l'ont engendré ».

Les flux financiers issus de ce Mécano opaque alimentent ce qui motive réellement Bill Gates : acquérir de plus en plus de pouvoir sur des domaines comme la santé ou l’agriculture afin d’imposer des solutions qui placent (maintiennent) les multinationales au cœur du système. OGM, géoingénierie, vaccins sans discernement : cela se vérifie dans tous les secteurs où il intervient. Plus que jamais soyons vigilants !

Plus d’infos : https://www.actes-sud.fr/catalogue/ecologie-developpement-durable/la-voie-des-paysans

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