[ECONOMIE SOCIALE] À Trévoux, les habitants se paient une « Folle aventure »

Publié le jeu 16/01/2020 - 07:00

Photo Elodie Horn. L'ancienne pharmacie a entièrement été retapée par les bénévoles et s'articule désormais entre un espace d'exposition et la librairie.

Par Elodie Horn

Alors que des communes rurales s’éteignent à petits feux, des irréductibles s’organisent pour leur donner un second souffle. À Trévoux, dans l’Ain, des habitants épaulés par Villages vivants, qui a pour mission d’acheter et de vendre des locaux afin d’y installer des entreprises d’innovation sociale, ont permis la réouverture d’une librairie, « La Folle aventure ».

 

Racheter, rénover puis louer à des prix justes et progressifs des boutiques vides, voici la mission entreprise par Villages Vivants. Cette société installée dans la Drôme souhaite rendre leur attractivité aux campagnes et accompagne des projets qui ont du sens, comme à Trévoux, où ils ont soutenu la réouverture d'une librairie en centre-bourg.

Dans les 100m2 tout juste rénovés de « La Folle aventure », le flux de visiteurs ne tarit pas ce samedi après-midi de septembre. Après tout, ce n'est pas tous les jours que les habitants de Trévoux, une commune de 6800 habitants située dans l'Ain, célèbrent l'inauguration d'un commerce. Articulé entre une librairie et une salle d'exposition, cet espace est avant tout un lieu de vie et de rencontres au cœur du bourg. De plus, ce dernier possède une autre particularité : c'est une entreprise coopérative. Les habitants n'en sont pas à leur coup d'essai puisqu'ils s'étaient déjà réunis, avec succès, pour créer un cinéma dans la cité, la Passerelle, mais aussi une recyclerie, en 2012. Forts de ces réussites coopératives, lorsque ferme « la Plume rouge », la dernière librairie du centre-bourg en 2016, une dizaine d'entre eux se mobilise pour trouver une solution. Cette cité, située à trente kilomètres au nord de Lyon, est historiquement connue pour être la commune où les Jésuites ont synthétisé les dictionnaires français du XVIIe siècle. Pour les Trévoltiens, c'est une raison suffisante pour ne pas laisser leur ville sans un lieu dédié au livre.

Un principe de non-concurrence

À l'occasion de l'inauguration de la librairie, Audrey Ziane encaisse et conseille sa nouvelle clientèle. C’est elle qui a été retenue pour se joindre à cette « Folle Aventure », le nom choisi pour le nouveau commerce. À 31 ans, la jeune femme, cheveux courts et bouclés, lunettes sur le nez, ne pensait pas avoir l'opportunité de gérer sa propre librairie, et encore moins dans son village natal. Elle qui a quitté la région pour aller faire ses études à Lyon et y débuter sa carrière professionnelle, n'hésite pas longtemps lorsqu'elle entend parler du concept. « J'ai commencé par travailler dans une librairie lyonnaise franchisée mais j'avais à l'esprit de rejoindre une librairie indépendante. Je me suis dit que le projet de Trévoux m'appelait. En creusant un peu, j'ai découvert qu'en plus, elle avait été créée sous forme de coopérative. Me voyant difficilement chapeauter un tel projet toute seule, c'était assez rassurant de savoir que j'allais être soutenue par une équipe de bénévoles », souligne Audrey Ziane.

À l'heure où les villages et petites villes se vident non seulement de leurs services, mais aussi, par extension, de leurs lieux de socialisation, ces irréductibles trévoltiens décident de prendre le problème à bras-le-corps. Pour ouvrir la nouvelle librairie, ils créent l'association « La passerelle du livre et des arts » en 2016. Afin de s'assurer de la viabilité de leur projet, les bénévoles partent à la rencontre d'autres commerces fonctionnant en coopérative, telle que la librairie du Volcan à Clermont-Ferrand. Ils imaginent un projet qui réponde aux besoins des habitants, sans compromettre les entreprises préexistantes. « Nous voulions une surface pour les livres mais aussi une salle d'exposition qui permette de mettre en avant les artistes locaux. Un des principes auquel nous tenions par ailleurs était celui de la non-concurrence, nous ne voulions rien vendre d'occasion, ni faire de café, puisque ce sont des services qui existent toujours dans le bourg »,précise Sophie, une des bénévoles de l'association. Ces préceptes une fois posés, deux objectifs principaux sont déterminés avant l'ouverture de la librairie : trouver une libraire professionnelle sensibilisée au fonctionnement particulier d'une zone périurbaine, et bien sûr un local au cœur du centre-ville.

Photo : Elodie Horn. La librairie possède un fonds de 5800 livres choisi par les soins d'Audrey. Elle essaie au maximum d'être la plus large possible dans ses choix.
 

Photo Elodie Horn. La librairie possède un fonds de 5800 livres choisi par les soins d'Audrey. Elle essaie au maximum d'être la plus large possible dans ses choix.

Un montage financier ambitieux

Et sans ces bénévoles, rien n'aurait été possible, puisque ce sont eux qui ont réalisé durant quatre mois les travaux qui ont permis au local de retrouver une seconde jeunesse. À eux, mais aussi à Villages Vivants, une Scic installée à Crest, à 25 km au sud-est de Valence, dans la Drôme. Ces derniers font partie des investisseurs qui ont permis au projet de voir le jour. Car pour résoudre la question de l'emplacement, c'est une ancienne pharmacie, entre la vieille ville et le cœur de ville, qui est choisie. Mais reste alors pour le collectif à trouver des fonds : le nerf de la guerre. Pour acquérir le local, mais aussi pour pouvoir rouvrir au public, 145 000 € sont nécessaires.

Accompagné par Domb'Innov, un Pôle territorial de coopération économique (PTCE), les habitants créent donc leur propre coopérative avec le statut de société coopérative d'intérêt collectif (Scic). Et font appel à Villages Vivants pour rentrer au capital à hauteur de 20 000€. Une évidence puisque Villages Vivants a pour but de rendre leur attractivité aux centres des petites villes et villages qui peuplent l'Hexagone. Leur projet s'inspire de celui de la coopérative Terre de Liens, qui préserve les terres agricoles en luttant contre la spéculation foncière et leur artificialisation. Sylvain Dumas, cogérant de Villages Vivants, a eu l'idée de transposer ce concept au foncier dans les territoires ruraux, villes et villages qui se désertifient partout en France. Cet ancien conseiller en microcrédit pour des ONG a voyagé à travers le monde, avant de revenir en France et de finalement s'installer à Crest. « J'ai réalisé que nous rencontrions une véritable problématique de boutiques vides, avec en parallèle des propriétaires qui abusaient. Je me suis dit qu'il y avait un problème dans le système et qu'il fallait imaginer une démarche radicale pour s'y attaquer », souligne encore le cogérant de la Scic qui gère aujourd'hui le pôle finance solidaire et création d'entreprises.

Des levées de fonds pour racheter les boutiques

Née en 2017 sous forme d'association, puis devenue une Scic en 2018, Village Vivants compte désormais six salariés. Le choix de fonder une Scic et non une SARL était par ailleurs une évidence pour ses fondateurs. Leur projet, avant de chercher la lucrativité, se devait de revêtir un véritable intérêt pour la société. Cogérée avec Raphaël Boutin Kuhlmann, responsable du pôle immobilier coopératif, l'entreprise aide à créer et monter des projets. Pour ce faire, l'équipe met en place des levées de fonds pour proposer aux particuliers, mais aussi à des collectivités, d'investir dans des activités en devenir. « Il s'agit d'un prêt financier sur 7 ans pour lequel les investisseurs perçoivent chaque année un intérêt de 1,5 % », souligne Sylvain Dumas. Les titres sont accessibles à partir de 100€ et ont une double fonction ; en plus de permettre de financer les achats de locaux, ils valident l'intérêt collectif du projet. Cerise sur le gâteau : l'investisseur devient lui-même ambassadeur du projet qu'il soutient.

Contrairement à certaines banques dont l'opacité des activités ne permet pas de savoir à quoi sert réellement son argent, Villages Vivants s'inscrit dans la finance solidaire. Grâce aux premières levées de fonds, aux emprunts bancaires et à l'investissement de France Active, Villages Vivants a déjà pu lever 1 million d'euros pour financer des projets de revitalisation des centres bourgs. La Scic achète des locaux qu'elle retape et propose à des prix progressifs. Seule condition pour en bénéficier : porter un projet qui possède un véritable intérêt dans un secteur géographique en difficulté. Des locaux ont déjà été achetés : une auberge à Boffres, située en Ardèche, une boutique-test à Crest, qui va accueillir un espace de coworking, les bureaux de la Scic et une épicerie en vrac. Et c'est loin d'être le dernier puisque Villages Vivants devrait continuer d'essaimer l'ouverture de commerces. Les fondateurs se sont fixé comme objectif d'être implantés à travers toute la France d'ici 5 ans.

 

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