Des watts en circuit court

Publié le ven 11/05/2018 - 13:55

Consommer plutôt que vendre l'électricité que l’on produit dans son habitation. Un décret publié il y a un an a mis en place une aide pour les installations d’autoconsommation électrique. La mesure a incité de nombreux foyers à utiliser directement une partie de l’énergie produite par leurs propres panneaux photovoltaïques. Un investissement intéressant.

Par François Delotte


AUTOCONSOMMER OU REVENDRE : IL FAUT CHOISIR !

Entre autoconsommation et revente intégrale de son électricité au réseau, il faut se décider au moment de l’installation de ses panneaux photovoltaïques car les conséquences techniques diffèrent. En effet, dans le cas d’une volonté d’autoconsommation, une demande de raccordement spécifique est nécessaire pour revendre son surplus éventuel d’électricité au réseau (qui sera vendu à un tarif plus bas que pour de la revente totale). Par ailleurs, pour de la revente totale de sa production électrique, 2 compteurs sont obligatoires : un pour sa propre consommation et un pour comptabiliser la revente.



40 % des foyers s’.quipant de panneaux le font dans l’objectif.d’autoconsommer leur électricité. © Pixabay

« Notre propre production d’électricité a couvert presque 50 % de notre consommation en 2017 », témoigne Patrick Lautier. Ce jeune retraité de 63 ans est pleinement satisfait de son installation photovoltaïque. Propriétaire d’une maison dans la région toulousaine, il a opté pour l’autoconsommation d’électricité photovoltaïque. Les rayons du soleil qui lèchent les quelque 16 m² de panneaux solaires fixés sur son toit font tourner ses appareils électriques, notamment la pompe à chaleur qui réchauffe l’eau de sa piscine. « Je n’ai jamais trop cru à la revente d’électricité au réseau national. C’est intéressant parce que les tarifs d’achat sont aujourd’hui subventionnés. Mais le jour où ça s’arrêtera… »

PRODUIRE ET CONSOMMER

Ce particulier qui se dit « de sensibilité écolo » est loin d’être le seul à avoir fait le choix de l’autoconsommation. Les installations de ce type représentent 40 % des foyers s’équipant de panneaux photovoltaïques, indique le cabinet de conseil Sia Partners dans une récente étude¹ réalisée avec Enerplan (syndicat professionnel de l’énergie solaire). Une vogue poussée par l’entrée en vigueur du décret du 10 mai 2017 par l’intermédiaire duquel l’État offre une prime pour les particuliers et les entreprises qui font le choix d’autoconsommer une partie de l’électricité qu’ils produisent, plutôt que de la revendre intégralement au réseau. Pour les installations inférieures à 3 kWc – kilowatts- crête² (puissance la plus adéquate pour les particuliers) – 400 euros par kWc sont alloués au foyer. Ainsi, un foyer qui choisit de mettre 2 kWc de panneaux photovoltaïques sur sa toiture, pour consommer une partie de l’électricité produite, bénéficiera d’une prime de 800 euros à l’installation. 

« L’autoconsommation engage la personne dans sa consommation énergétique. Elle répond à une demande croissante d’implication du citoyen dans la production d’énergie, comme on le voit au travers du développement de projets citoyens d’énergies renouvelables », analyse Raphaël Gerson, chef adjoint du service énergie renouvelable de l’Agence de l’Environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe). « Puis cela permet au particulier de maîtriser une partie de sa facture d’électricité », poursuit-il.

L’évolution du tarif d’achat de l’électricité des fournisseurs aux particuliers pousse aussi les foyers à autoconsommer. Ce tarif d’achat est réglementé et subventionné par l'État. Il est révisé tous les trimestres. Toutefois, le gouvernement se désengage progressivement de cette politique : les tarifs d’achat ne cessent de baisser. « Avec un contrat souscrit en 2011, le détenteur d’une installation domestique (environ 3 kWc ou environ 20 m² de panneaux) revend son électricité 60 centimes le kiloWatt–heure (kWh) pendant 20 ans. En 2018, le tarif se situe autour de 20 centimes », explique Morgan Beauzon, chargé d’étude pour le fournisseur d’énergie Enercoop Languedoc-Roussillon. En d’autres termes : on peut espérer empocher 2500 euros/an si le contrat de vente a été conclu en 2011 pour une installation dans le sud de la France (environ 1800 euros dans la moitié nord). La même installation sous contrat à partir de 2018 pourra espérer générer 850 euros/an dans le sud et 600 euros dans le nord ! Et les tarifs vont continuer à baisser du fait de la diminution des subventionnements… Mais attention, il faut mettre ces chiffres en balance avec le coût d’une installation photovoltaïque qui, lui aussi, diminue chaque année : il a été. divisé par deux par rapport à 2010. Donc aujourd’hui, l’investissement de départ est moindre, mais les retombées financières sont aussi plus faibles.

BIEN DIMENSIONNER SON INSTALLATION

Au vu de ces tarifs, il peut apparaître plus intéressant d’investir dans l’autoconsommation de sa production. « Avec une installation de 20 m² et de 3 kWc, on peut couvrir environ 20 à 30 % de ses besoins en électricité », expose Morgan Beauzon. Une installation de ce type est amortie en 10 à 13 ans dans la moitié sud du pays (plutôt 13 à 16 dans la moitié nord). « Elle permet de réaliser environ 300 euros d’économie par an sur sa facture d’électricité et de revendre le surplus de production pour environ 300 euros aussi »,poursuit l’ingénieur. Déjà plus intéressant que la revente totale, donc… « Les économies réalisées permettent de rembourser l’installation en quelques années puis de se prémunir de la hausse du prix de l’électricité en limitant fortement sa dépendance à l’électricité du réseau », complète Richard Loyen, délégué général d’Enerplan. L’autoconsommation pourrait donc se révéler être un placement judicieux sur le long terme. À condition de bien dimensionner son installation…

« Dans une maison, la journée est le moment où l’on produit le plus d’électricité, lorsque la majorité des personnes ne sont pas à leur domicile. C’est donc à ce moment, lorsque l’on dispose d’un système d’autoconsommation, que l’électricité non-consommée est revendue au réseau pour seulement 10 centimes d’euros le kWh (contre environ 20 centimes / kWh pour un contrat de revente totale – NDLR) »,indique Antoine Farcot, dirigeant de la société toulousaine Autan Solaire, spécialisée dans les énergies renouvelables. Pour être le plus autonome possible, l’idéal serait donc d’utiliser des batteries pour stocker l’électricité produite dans la journée et la consommer ainsi, sur place, le soir et la nuit, lorsque les besoins sont les plus importants. Mais le prix des batteries reste élevé (entre 5000 et 6000 euros sans la pose pour les petites capacités) et rendrait l’amortissement de l’installation très long. Du coup, Antoine Farcot conseille plutôt des stations de production d’une puissance allant de « 1 à 2 kWc pour une personne qui n’est pas chez elle la journée ». Mais alors, comment dépenser son électricité et atteindre des taux de 30 à 40 % en autoconsommation si l’on est absent de son domicile ? En faisant chauffer et en stockant l’eau chaude sanitaire la journée dans un ballon, en déclenchant les machines à laver le linge et la vaisselle le jour ou encore en rechargeant un véhicule électrique durant ces plages horaires, expliquent les spécialistes que nous avons interrogés. « Faites bien attention à ne pas surdimensionner votre installation en autoconsommation. Si vous disposez d’une grande toiture, je préconise plutôt de revendre la totalité de votre production ; ce qui reste encore très rentable (le retour sur investissement est d’environ 12-13 ans) », ajoute Morgan Beauzon.


La charge d’un véhicule électrique peut être une solution pour utiliser une partie de l’énergie produite pendant la journée. © Pixabay

PRENDRE LES CHOSES DANS LEUR GLOBALITÉ

Mais l’autoconsommation possède d’autres avantages que la simple question financière. D’abord, elle est bonne pour la planète.« Une de ses forces est qu’elle évite une déperdition d’énergie importante liée au transport »,avance Antoine Farcot. « On compte environ 10 % de perte d’énergie dans les transports. De plus, avec le nucléaire, on utilise 2,58 kWh d’énergie primaire (chaleur produite par la réaction) pour produire 1 kWh d’énergie utile », précise Morgan Beauzon d’Enercoop. Alors que dans l’autoconsommation, 1 kWh produit correspond à 1 kWh consommé ! Finalement, l’autoconsommation s’inscrit pleinement dans un changement de paradigme lié au développement des renouvelables. « Il s’agit de passer d’un système de production très centralisé à un modèle composé d’unités de production variables. Pour que la production soit la plus stable possible, il faut mettre en place un mix de solutions dont font partie le stockage, mais aussi l’autoconsommation »., détaille Raphaël Gerson de l’Ademe. Ce dernier assure par ailleurs que le gisement photovoltaïque offert par les toitures françaises est conséquent.« Il équivaut à 120 gigawatts. Par comparaison, notre parc nucléaire s’élève à 60 gigawatts ! », indique-t-il. Une aubaine donc pour sortir du nucléaire ! Le recours à l’autoconsommation pourrait par ailleurs être boosté par la Réglementation Thermique 2020 : celle-ci prévoit que les constructions neuves soient à énergie positive. C’est-à-dire qu’elles produisent davantage d’énergie qu’elles n’en consomment. Et si la clé de la transition énergétique se trouvait ici, chez nous ?

Plus d'infos :
www.ademe.fr
www.enercoop.fr
www.enerplan.asso.fr

1. Énergie photovoltaïque en France, Sia Partners et Enerplan, Novembre 2017 : www.energie.sia-partners.com/sites/default/files/energylab_-_autoconsom…
2. Unité de mesure permettant d'évaluer la puissance électrique maximum que des panneaux photovoltaïques peuvent produire.
3. Scénario NégaWatt 2017-2050 Dossier de synthèse, Collectif NégaWatt, janvier 2017 : negawatt.org/IMG/pdf/synthese_scenario-negawatt_2017-2050.pdf
4. Mobilité reposant sur une offre de mobilité diversifié et adaptée au trajet de l'usager (service de covoiturage, transport en commune, vélo en libre service, autopartage...).


ET L’ÉOLIEN DOMESTIQUE ?


© Pixabay

La grande majorité des installations d’autoconsommation font appel à la technologie photovoltaïque. Mais des entreprises proposent aussi des éoliennes domestiques. Pour quelles performances ? « L’éolien est, de façon générale, peu adapté au résidentiel, que ce soit pour la vente d’électricité ou l’autoconsommation »,indique Christophe Lefeuvre, gérant de la société Aprosios Énergie, distributeur d’équipements de production d’énergies renouvelables basé en Ille-et-Vilaine. Les éoliennes, souvent pas assez hautes, peuvent avoir du mal à capter suffisamment de vent. Ou, à l’inverse, « si le vent est trop fort, un dispositif de freinage automatique va se déclencher et limiter la production d’énergie », précise-t-il.


L’AUTOCONSOMMATION, CONCURRENCE POUR LES FOURNISSEURS D’ÉLECTRICITÉ ?

Engie, EDF ou même le fournisseur d’énergie renouvelable Enercoop perçoivent-ils le développement de l’autoconsommation comme une concurrence potentielle ? En tout cas, ces entreprises se positionnent déjà sur le marché avec des solutions clés en main dans ce domaine. À l’instar d’Engie et de son offre « My Power » qui propose, par exemple, une installation d’une puissance de 1,8 kWc pour 7000 euros. Certaines coopératives locales d’Enercoop peuvent aussi accompagner des projets d’autoconsommation. Ainsi, à Montpellier, Enercoop Languedoc-Roussillon contribue à la réalisation d’un dispositif d’autoconsommation collective qui permettra aux foyers d’un immeuble d’habitat participatif de consommer une partie de l’énergie solaire produite sur place. La livraison du bâtiment est prévue pour 2019. « Nous soutenons la production locale d’électricité renouvelable. Même si, au final, les gens ont moins besoin de nous acheter de l’énergie à nous, fournisseur. Mais ils auront toujours besoin de nous pour leur fournir de l’électricité quand le soleil ne sera pas au rendez-vous »,assure Morgan Beauzon, chargé de projet pour Enercoop Languedoc-Roussillon. Aujourd’hui, l’autoconsommation reste encore marginale. Seulement 30 000 consommateurs (dont 20 000 particuliers) autoconsomment leur électricité ; soit 0,1 % des compteurs électriques Français.


AUTOCONSOMMATION : GARE AUX ARNAQUES

L’autoconsommation doit permettre, à terme, de réaliser des économies. Et pas l’inverse ! Dans ce domaine (et dans celui de la pose des panneaux photovoltaïques en général), des arnaques existent. D’où l’importance d’être attentif avant de s’engager. « Il convient de faire appel à un installateur qualifié Reconnu Garant de l’Environnement (RGE) dans le domaine du photovoltaïque », recommande Richard Loyen, délégué général du syndicat professionnel Enerplan. RGE est un label par l’intermédiaire duquel l’État reconnaît les qualifications d’une entreprise ou d’un artisan. Il peut permettre aux particuliers de bénéficier de certaines aides. Par ailleurs, « il vaut mieux choisir un installateur local qui a pignon sur rue, plutôt que d’accepter l’offre d’une entreprise parisienne qui se dissimule derrière un numéro de téléphone », conseille Christophe Lefeuvre, gérant de la société Aprosios Énergie, distributeur breton d’équipements photovoltaïques. Il complète : « Comparez les offres. Ne signez rien avant d’avoir regardé les propositions d’un confrère. » Une personne avertie en vaut deux.


AUTOCONSOMMER C’EST BIEN, MAIS CONSOMMER MOINS C’EST MIEUX

« Avec l’autoconsommation, nous sommes au coeur de la transition. C’est le symbole de la décentralisation de l’électricité. Celle-ci implique fortement le consommateur dans les questions énergétiques », défend Raphaël Gerson, chef adjoint du service énergie renouvelable de l’Ademe. Mais, avant de chercher à produire ses propres électrons, l’enjeu ne serait-il pas d’abord de réduire nos consommations ? « L’un n’empêche par l’autre. Il faut consommer mieux et moins », répond Raphaël Gerson. Le collectif d’énergéticiens Négawatt produit un scénario selon lequel le 100 % renouvelable serait atteignable en France d’ici 2050. L’association insiste autant sur la « sobriété énergétique » que sur la production d’électricité verte. « Grâce aux actions de sobriété et d’efficacité qui se traduisent par la suppression des gaspillages, la consommation d’énergie finale en 2050, au terme du scénario NégaWatt 2017, est réduite de moitié », indique Négawatt dans la synthèse du scénario 2017- 2050³. « Ce résultat est obtenu grâce à la maîtrise du dimensionnement, du nombre et de l’usage de nos appareils et équipements, au développement d’une mobilité “servicielle”4, à un programme ambitieux de rénovation énergétique des bâtiments et à une occupation plus raisonnée de l’espace », poursuit le collectif.


Les rayons du soleil sont constitués de photons. Lorsqu’ils rencontrent une matière, ils la réchauffent. Dans le cas de l’énergie photovoltaïque, les photons sont absorbés par le silicium des panneaux puis sont transformés en électricité plutôt qu’en chaleur. L’électricité passe ensuite dans un onduleur, appareil qui permet de convertir le courant continu provenant des panneaux en courant alternatif utilisable par nos appareils électriques. Un compteur Linky (installé gratuitement par Enedis) distingue ensuite les différents flux : l’électricité utilisée en autoconsommation, celle achetée par le particulier à un fournisseur (EDF, Enercoop…) et le surplus éventuellement produit par le foyer qui peut être vendu à ces mêmes fournisseurs.


VERS UNE MAISON AUTONOME EN ÉLECTRICITÉ ?

Antoine Farcot, expert en énergies renouvelables, est aussi un des rares particuliers à avoir équipé sa maison d’une batterie permettant de stocker une partie de l’énergie solaire qu’il produit.


© DR

Le soleil, Antoine Farcot travaille et vit avec. Cofondateur avec son épouse d’Autan solaire, société toulousaine spécialisée dans les énergies renouvelables et l’installation de panneaux solaires, c’est naturellement que ce convaincu s’est dirigé vers l’autoconsommation électrique pour son propre foyer. En toiture, sur les brise-soleil et même au sol, dans son jardin : sa maison est bardée de panneaux photovoltaïques. Une partie est destinée à subvenir à ses propres besoins en électricité. « Compte tenu de la nature de mon activité, c’est pour moi cohérent d’être équipé de la sorte. Et cela me permet, sur le long terme, de réaliser des économies en maîtrisant ma facture d’électricité », affirme-t-il. « Je peux couvrir entre 70 et 80 % de mes besoins l’été, entre 50 et 60 % l’hiver et 10 à 20 % à l’automne et au printemps. Sachant que nous utilisons surtout un poêle à granulés pour nous chauffer »,assure le spécialiste. Soit une moyenne annuelle de 50 % d’autoconsommation. Le reste des consommations électriques de la maison est fourni par Enercoop.

WATTS EN STOCK

De très bonnes performances qui sont en partie permises par la présence d’une batterie de 4,4 kWh qui stocke une partie de l’électricité produite. Un équipement très rare chez les particuliers car encore cher à l’achat (plusieurs milliers d’euros) et donc encore difficilement amortissable. « Mais les prix vont progressivement baisser »,explique le professionnel. « Il s’agissait pour moi de tester ce type de produit avant de le proposer à mes clients. Mais aussi de pouvoir augmenter mes taux d’autoproduction, indiqueAntoine Farcot. Aujourd’hui, les batteries fonctionnent avec du plomb et du lithium. On sait désormais les recycler. Mais il faut continuer à faire progresser la recherche en ce domaine ». Et ainsi pouvoir rendre un jour accessible le rêve d’autonomie énergétique au plus grand nombre !

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