AGRICULTURE : tester pour réussir

Publié le lun 02/04/2018 - 10:50

À Sarzeau (56), en presqu’île de Rhuys, l’association La Pépiterre aide au développement de projets agricoles et artisanaux. À l’origine de cette pépinière d’entreprises rurales, des paysans déjà installés et d’autres en recherche de terres qui ont voulu mutualiser leurs efforts en matière de veille foncière. Aujourd’hui, la Pépiterre offre un espace-test pour lancer, doucement mais sûrement, son activité.

Par Stéphanie Biju

Tout au fond du « jardin », les poules du Bindo gambadent au grand air sur 1000 m² de parcours libre. 220 « petites rousses » comme les surnomme Aurélie. La jeune éleveuse passe tous les jours entre 10h30 et 12h pour ramasser leurs œufs. « Mes poules ne sont pas très matinales », ironise-t-elle. Pas encore bien éduquées non plus… « Certaines coquines se sont habituées à pondre au sol », peste Aurélie, en quête de la moindre coquille cachée dans la litière du poulailler. « Ces œufs-là sont invendables… Mais bon, tout ça, ça se travaille ! Il faut leur apprendre à utiliser les nids. »

Aurélie et son mari Antoine, éleveurs de poules pondeuses bio et de volailles de chair, Faňch, producteur de plants de légumes bio, Stéphane, charpentier spécialiste de l’ossature bois, Maria, créatrice d’objets de déco en matériaux recyclés ou encore Marine et Chloé, chocolatières bio et équitable… Une dizaine de porteurs de projets ont rejoint les rangs de la Pépiterre, une pépinière d’entreprises agricoles, artisanales et solidaires, installée à la sortie du bourg de Sarzeau (56) sous forme associative par un groupe de paysans installés et d’autres en recherche de terre. Depuis sa création en mai 2017, elle a pour vocation d’accompagner et d’aider au développement d’activités en lien avec la terre et la mer et respectueuses de l’environnement en presqu’île de Rhuys. « Lidée est non seulement daider à linstallation mais aussi de mutualiser les moyens humains et matériels, de créer du lien et une dynamique de collaboration, pour permettre la réussite d’un projet », précise Faňch, l’un des membres fondateurs de la Pépiterre.


Faňch, producteur de plants de légumes bio, est l’un des membres fondateurs de La Pépiterre. Il vient de trouver le foncier qui lui manquait pour lancer son activité, à Saint-Gildas de Rhuys. Il compte pour autant continuer à utiliser les serres de l’association et ainsi différer un investissement important. © S. Biju

Un territoire jamais remembré

À l’époque, lui recherche 20 hectares pour produire ses plants de légumes bio. Aurélie et Antoine ont aussi besoin de foncier pour leur projet d’élevage de volailles de chair et poules pondeuses. Manon et Alexandra, elles, veulent se lancer dans les plantes aromatiques et médicinales… « Chacun de notre côté, nous étions tous dans une démarche de repérage de terres, de recherche de leurs propriétaires. On sest dit que ce serait plus efficace de partager nos informations », raconte Faňch.

Le petit groupe se réunit ainsi régulièrement, rejoint par des paysans du coin qui leur apportent main forte. Dont Denis Rouillé, gérant d’une société d’éco-pâturage et ancien fonctionnaire territorial chargé de l’urbanisme. « Dune manière générale, trouver du foncier pour tout nouveau paysan, cest compliqué », souligne celui qui est aujourd’hui le président de la Pépiterre. « Encore plus en presquîle de Rhuys où le territoire na jamais été remembré (sauf à Sarzeau dernièrement). Les terres appartiennent à une multitude de propriétaires qui nhabitent pas sur place mais saccrochent à leurs bouts de terrain proches de la mer. Sur un hectare, on peut ainsi avoir 10, 15, 20 propriétaires… ». Situation d’autant plus regrettable que, selon Denis Rouillé, « ces terres en friche, non travaillées depuis des années, présentent un vrai potentiel pour instaurer une agriculture différente. »

Des moyens de production en place

Initialement vouée à la « simple » veille foncière, la Pépiterre prend une autre ampleur lorsque le site occupé par un pépiniériste, quartier du Bindo à Sarzeau, se libère. « Quatre hectares, dont 200 m² de bureau, 250 m² dhangar agricole, 500 m² de serres, un système dirrigation… De nombreux moyens de productions étaient déjà en place. On sest bien vus ici », détaille Faňch. Aujourd’hui, la Pépiterre se veut un lieu d’essai, un espace-test pour de futurs professionnels. Des agriculteurs mais aussi des artisans et indépendants qui, contre une contribution aux charges et dans un esprit d’entraide et de partage, disposent de terrains, de locaux, d’outils…

À la Pépiterre, Antoine et Aurélie ont ainsi pu démarrer leur activité par un ’atelier de poules pondeuses. « Un atelier simple à monter qui nous permet de nous rôder au rudiment dun élevage, mais aussi de commencer à mettre en place un réseau de fournisseurs, un circuit de distribution et nous faire connaître auprès de la clientèle », apprécie Aurélie, tout en rangeant délicatement les œufs de ses « petites rousses » sur des plaques alvéolées. « On démarre doucement mais sûrement. On gagne aussi en confiance avant de lancer la production de volailles de chair ! »

L’échéance approche d’ailleurs à grand pas. Le dossier présenté conjointement par Antoine et Faňch dans le cadre d’un appel à projets d’installation agricole lancé l’été dernier par la municipalité de Saint-Gildas de Rhuys, a été retenu. Leurs deux productions, animale et végétale, cohabiteront ainsi sur huit hectares de terres, dotés d’un bâti. « Le fait que lon se connaisse et quon ait déjà travaillé ensemble au sein de la Pépiterre a certainement pesé dans la balance », estime Faňch.

Son activité sur le point de démarrer à Saint-Gildas-de-Rhuys, le maraîcher occupera pourtant encore un temps les serres du site du Bindo. « Au moins deux ans ! », lance celui qui veut cultiver ici sa production hors-sol. Tomates, dès ce mois de mars, puis betteraves, épinards, persil… « Je vais ainsi pouvoir différer l investissement dans mes propres structures, certes nécessaire mais très élevé", justifie Faňch. Autrement dit, et toujours grâce à La Pépiterre, assurer ses arrières…

PLUS D’INFOS
La Pépiterre


Jean-Baptiste Cavalier : « Tester son activité en limitant la prise de risque »

Jean-Baptiste Cavalier est animateur coordinateur national du Réseau national des espaces-test agricoles (Reneta). Créé en 2012, il a pour but la promotion du test d’activité pour favoriser l’installation agricole. Une structure clé pour essayer de grossir les rangs d'une profession en perte incessante d'actifs.


DR
 

Qu'est-ce que les espaces-test agricoles ?

Ces dispositifs permettent à des personnes de tester leur projet d'installation agricole en grandeur réelle, sur une durée limitée (3 ans maximum), et dans un cadre qui limite la prise de risque. Dans les espaces-test, les porteurs de projet disposent d'un statut juridique leur permettant d'exercer une activité agricole sans s'installer comme agriculteur. On met à leur disposition des moyens de production (foncier, matériel…). Ils bénéficient aussi d'un dispositif d'accompagnement et de suivi, à la fois sur les techniques de production et sur des aspects liés à la gestion, à la commercialisation. Côté « humain », ils sont aussi accompagnés : qu'est-ce que c'est que d'être agriculteur ? Suis-je prêt à porter ce projet ? Comment vais-je le mener à bien ? L'objectif : à l'issue du test, la personne doit être en mesure de décider en connaissance de cause si elle veut s'installer, réorienter son projet ou l’abandonner.

Avez-vous un retour chiffré de ces espaces-test ?

Nous avons des estimations. Globalement 500 personnes sont passées dans ces espaces-test aujourd'hui. On sait qu'environ les 2/3 s'installent. 0 10 0 % décident de ne pas s'installer en tant qu'agriculteurs mais de devenir salariés agricoles. 5 % réorientent de façon assez importante leur projet : certains ayant prévu de faire à la fois de l'agriculture, de la transformation et de la commercialisation, ciblent par exemple au final un métier commercial plutôt que la production. Et 15% des personnes abandonnent totalement leur projet. Enfin, 5 % n’ont pas pris de décision à l’issue du test.

Quel est le profil des porteurs de projets ?

En majorité, les porteurs de projet ne sont pas issus du milieu agricole. Certains ont une vision un peu « romantique » de l'agriculture, il est donc nécessaire pour eux de vérifier s'ils sont bien faits pour ce métier. Beaucoup sont en reconversion professionnelle, même s'il y a aussi des jeunes. En moyenne, on est sur une tranche d'âge de 30 à 45 ans.

Chacun des espaces a un fonctionnement spécifique, mais globalement quels sont les partenaires qui s'inscrivent autour de ces projets ?

Effectivement chacun des 49 espaces-test français aujourd'hui en fonctionnement a une configuration particulière liée à l'histoire et aux enjeux du territoire. Il existe une grande diversité d'acteurs autour de ces lieux. L'idée est d'essayer d'avoir à la fois des acteurs spécialistes des pratiques d'installation agricole (associations de développement agricole comme le réseau des ADEAR, les Civam, les chambres d'agriculture), des acteurs spécialistes de la création d'entreprises, d'activités (coopératives d'activités, couveuses…), des acteurs de l'enseignement agricole, de la formation, ainsi que des collectivités. Ces dernières utilisent de plus en plus l'espace-test comme un outil de leur politique alimentaire et agricole territoriale. Mais leurs niveaux d'implications sont très variables. Certaines vont être porteuses du projet, c'est le cas de la ville du Havre, de Roanne ou de Metz. Dans d'autres cas, la collectivité va faciliter la création de l'espace-test en mettant à disposition du foncier mais sera moins impliquée.

Vous vous définissez comme porteurs d’une « agriculture durable ». Qu’est-ce à dire ?

Dans notre charte on parle « d'une agriculture respectueuse de l'Homme et de l'environnement », pour ne pas dire agriculture biologique parce que certains espaces-test ont des difficultés à imposer du biologique. Aujourd'hui, 90 % des espaces-tests sont en bio. Cette approche entraîne aussi toute une logique de développement de circuits-courts. Nous avons en effet la volonté de permettre aux agriculteurs d'être les plus autonomes possibles, de développer de la valeur ajoutée, donc d'aller jusqu'à la commercialisation de leur production, s’ils le souhaitent.

Plus d'infos : www.reneta.fr

Garantissez l'indépendance rédactionnelle et financière de Sans transition !