[AGRICULTURE] Chanvre en Pays d’Arles : une filière Bio en construction

Publié le mer 24/03/2021 - 07:38

Crédit : Pixabay

Par Maëva Gardet-Pizzo

Autour d’Arles, la Scop ABC Chanvre s’attelle à créer une filière chanvre bio en économie circulaire. En plus d’apporter de véritables revenus aux agriculteurs, la plante peut être utilisée dans de nombreuses industries en remplacement de matériaux polluants. Après une phase de tâtonnement, le projet se concrétise.

Ses fibres solides ont longtemps été plébiscitées dans la construction d’habitats et la fabrication des voiles et cordages de la marine. Puis sa production a périclité au profit, entre autres, du coton de la machine à vapeur et du nylon. Mais le chanvre connaît un nouvel essor depuis une quarantaine d’années, en particulier en France puisque le pays en est le premier producteur européen avec 1414 producteurs et plus de 16 400 hectares cultivés en 2019. Une production dont 70 % a été exportée en 2019. C’est dans cet élan que s’inscrit ABC Chanvre en souhaitant réimplanter cette culture du chanvre bio dans le sud de la France, et plus particulièrement en pays d’Arles.

Une plante multifonction qui remplace des matériaux polluants

C’est avec son coach de projet Serge Lièvremont qu’Axel Bougrainville s’associe, (avec un associé extérieur) pour créer début 2020 la Société coopérative ABC Chanvre. Spécialiste de l’éco-construction bois, Serge Lièvremont a depuis quelques années une expérience du chanvre en isolation, qui présente de nombreuses vertus. « Alors que la production de béton génère beaucoup de CO2, le chanvre en stocke. On estime ainsi que pour une maison de 100 mètres carrés, 15 tonnes de CO2 sont stockées par le mélange Chaux/Chanvre en matériau de construction et d’isolation thermique », assure Axel Bougrainville.

Dans le textile aussi, l’utilisation de cette plante s’avère respectueuse de l’environnement. « La fibre de chanvre peut remplacer efficacement le coton et le nylon qui représentent 90 % du marché mondial du tissu », note Serge Lièvremont. Des matériaux et des substances le plus souvent importés, dont la confection nécessite une grande consommation d’eau et de produits chimiques.

D’importantes perspectives existent aussi sur les marchés de l’agroalimentaire et des cosmétiques. « Les graines et l’huile de chanvre sont riches en omégas 3, 6 et 9 ainsi qu’en acides aminés. En cosmétique, il y a un véritable intérêt pour les soins de la peau ».

De plus, ABC Chanvre entend entamer des recherches pour la fabrication des matériaux composites à base bio-sourcée notamment pour la plasturgie (automobile/aviation/pales d’éoliennes etc.)

Pour les agriculteurs : des revenus et une meilleure rotation des terres

Mais pour tirer profit de toutes ces applications, il faut semer les graines de la filière, ce qui commence par la terre et ceux qui l’exploitent : les agriculteurs. Des acteurs qu’il n’est au départ pas facile de convaincre. « La nouveauté peut parfois interroger. Ils se demandent ce que cela peut leur apporter et si la culture sera adaptée aux conditions méditerranéennes spécifiques (qualité des sols/climat et arrosage)", reconnaît Axel Bougrainville. La Scop réussit à convaincre sept agriculteurs, qu’elle forme, en lien avec la Chambre d’agriculture des Bouches-du-Rhône. L’an dernier, vingt-cinq hectares ont ainsi pu être cultivés.

S’il y a eu quelques ratés, dus à l’inexpérience, pour le producteur de blé Enzo Ferretti en revanche, l’expérience a été « très concluante. Pour moi, c’était une année test. J’ai planté 4 hectares de chanvre sur les 70 que je possède. Avec un bon travail du sol et seulement deux arrosages, j’ai obtenu un bon rendement ». Ce qui induit des revenus supplémentaires mais pas seulement. « Je suis en agriculture conventionnelle mais j’envisage de passer en bio. Pour cela, j’ai besoin d’alterner sur mes parcelles différentes cultures qui ne nécessitent pas d’engrais ni de pesticide. Le chanvre est parfait pour cela ». Il renouvelle l’expérience en 2021, sur 20 hectares cette fois-ci.

Cette année, ABC Chanvre prévoit une culture sur 50 hectares au total, essentiellement aux alentours d’Arles, le sol y étant plus propice. « Mais la surface et le nombre d’agriculteurs ne font pas tout. Ce qu’il nous faut, c’est vendre ! », pointe Serge Lièvremont. Des partenariats commerciaux sont déjà établis avec des clients dont un groupe dans le secteur du bâtiment et un laboratoire régional. La production croîtra en fonction de la demande. Avec un impératif : la proximité. « On veut s’inscrire dans une logique de circuit court », à même de créer des emplois sur le territoire.

Un projet qui s’inscrit dans la transition écologique du territoire

Une démarche à laquelle est sensible le Pôle d’équilibre territorial et rural du Pays d’Arles qui a signé en 2019 un Contrat de transition écologique (CTE) dans le cadre d’un appel à projets émanant du ministère de la Transition écologique et solidaire.

« Avec ce contrat, nous voulons profiter de l’appui de l’État pour valoriserla filière des matériaux bio sourcés sur le territoire », explique Julien Brinet, chef de projet Plan Climat air Énergie du Pays d'Arles. Le sujet est sur la table depuis 2012. « Nous avons vu dans le CTE un moyen de nous redonner de l’allant et de faire émerger de nouveaux acteurs ». ABC Chanvre en fait partie. « Nous avons l’intention de faire évoluer le CTE pour y intégrer plus d’acteurs. Cela nous permettra de mieux aider la Scop dans la réalisation de ses investissements ».

Un soutien financier nécessaire pour l’installation des outils de défibrage qui permettra à ABC Chanvre de transformer elle-même son chanvre, alors qu’elle s’appuie aujourd’hui sur un partenaire français. Une première unité mobile sera opérationnelle pour ce printemps. « Il s’agit de la version réduite d’une unité de défibrage, adaptée à de petites surfaces. Nous pourrons ainsi amorcer le marché en minimisant les risques », précise Axel Bougrainville. Un premier test avant l’installation d’une vraie usine prévue pour 2023/2024 pour le financement de laquelle « nous organisons une levée de fonds de 500 000 € auprès d’investisseurs privés et publics ainsi qu’une recherche pour un terrain avec un bâtiment en pays d’Arles ».

D’ici 3 ou 4 ans, les trois associés – qui viennent de recruter leur première salariée, Agathe - espèrent faire cultiver 350 hectares de chanvre. « Si l’objectif est atteint, on sera à 80 % de nos possibilités en pays d’Arles. On pourra alors envisager de reproduire le modèle dans toute la région », se projette Serge Lièvremont. En attendant, ce chanvre méditerranéen participe dès cette année, en lien avec d'autres partenaires, à la création de la toute nouvelle filière de fibre textile en chanvre bio de France. De quoi regarder l’avenir avec confiance.

Pour en savoir plus

-La page facebook d’ABC Chanvre qui permet de suivre le projet au fil des mois : https://www.facebook.com/abcCHANVRE/

-On peut retrouver le contenu du contrat de transition écologique du pays d’Arles sur son site :

https://www.pays-arles.org/wp-content/uploads/0.-CTE-signe%CC%81.pdf

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