VERTES, les pistes ?

Publié le mar 13/03/2018 - 12:47

Terrassement, modification des régimes hydrographiques, urbanisation à outrance… L’impact environnemental des stations de ski alpin n’est plus à prouver. Et la Cour des comptes vient de le rappeler dans son rapport de février, pointant notamment du doigt la systématisation des canons à neige dans les stations de basse altitude. Du coup, certaines essaient de reverdir leur image. Effets cosmétiques ou efforts réels ? On fait le point.


LE MIRAGE DE LA STATION DURABLE

Face aux émissions de gaz à effet de serre et au changement climatique, de plus en plus de stations de montagne mettent en avant leurs actions en faveur du développement durable. Qu’y a-t-il derrière le discours ? L’environnement fait-il le poids contre l’économie du ski ? Reportage à Valberg, dans les Alpes-Maritimes, qui affiche sa devise : « place à l’environnement ».

Par Margaïd Quioc

« Oh mais, il n'y a que ça de neige ? » Grosse déception pour ces écoliers qui entament un séjour d'une semaine à la station de Valberg, 1700 mètres d'altitude. La chaleur et de gros coups de vent ont eu raison du manteau blanc. Malgré tout, les skieurs dévalent les pistes grâce aux 380 canons à neige répartis sur le domaine des Alpes-Maritimes. « À celui de canons, on préfère le terme d'enneigeurs », corrige Stéphanie Larbouret, chargée du développement durable à Valberg.

Ici, on utilise donc de la ressource en eau et en électricité pour pouvoir skier, même si les températures de ce lundi de janvier dépassent les 10 °C… Pourtant, Valberg s'affiche comme un modèle de développement durable, et espère même décrocher avant l'été le label « flocon vert », censé garantir l’engagement durable des destinations touristiques de montagne. « En tant que président de l'association des maires de stations de montagne (ANMSM), je dois montrer l'exemple », affirme Charles-Ange Ginesy, président du Conseil départemental des Alpes-Maritimes et adjoint au maire de Péone, l'une des deux communes qui accueillent Valberg sur leur territoire.

Pour montrer l'exemple, est-ce qu'il ne faudrait pas commencer par démonter les canons à neige ? « On ne peut pas se le permettre. 70 % de l'économie de la station dépend du ski », se défend Charles-Ange Ginesy.

De nouveaux canons à neige


À Valberg, les canons à neige à haute pression ne sont utilisés qu'en dessous de - 5 °C pour un meilleur rendement. © Valberg

Direction le haut du domaine et l'usine de production de neige. Une rangée de pompes prélèvent l'eau d'une retenue en amont, pendant que de gros compresseurs envoient de l'air sous pression dans les tuyaux. Mais en ce moment, les canons sont à l'arrêt, par souci d'économie des ressources. « On ne produit de la neige qu'à partir de - 5 °C, explique Sébastien Vasseur, chargé de la production de neige. Au-delà de ces températures, on utilise plus d'eau pour fabriquer le même volume de neige. » Avec des périodes de froid de plus en plus courtes et la sécheresse qui a duré sept mois en 2017 et amputé de 30 000 m³ les réserves d'eau, la station n'a pu ouvrir qu'une partie du domaine.

Valberg expérimente des astuces comme la mise en pâturage des pistes l'été, qui aident à maintenir un manteau de 10 à 15 centimètres de neige de culture en favorisant l'adhérence. Mais cela ne remplace pas l'investissement dans de nouveaux canons à neige, moins gourmands que les anciens modèles mais très coûteux. Chaque année, le département des Alpes-Maritimes finance la station à hauteur d'un million d'euros. Le Conseil régional prévoit lui d'y investir 1,2 million d'euros d'ici 2020.

Cependant, toute la technologie n'empêchera pas les températures de monter de un ou deux degrés d’ici quelques dizaines d’années. Les climatologues prévoient la fin du ski d'ici 10 à 20 ans en dessous de 1800 mètres d'altitude. La station cherche donc à attirer les touristes en mettant en avant son principal atout : la nature. Située en bordure du parc national du Mercantour, Valberg propose des activités plus respectueuses de l'environnement comme les raquettes ou le ski de randonnée. « Mais pour l'instant, seul le ski de piste nous permet de maintenir 500 emplois dans la station », assure Charles-Ange Ginesy.

« La station verte n'existe pas »

Dans un dépliant consacré au développement durable, Valberg vante ses initiatives : véhicules électriques en autopartage, gestion raisonnée de l'éclairage public et de l'électricité par la société des remontées mécaniques, rénovation des bâtiments publics… De beaux efforts, mais ceux qui espèrent skier « écolo » feraient fausse route. « La station verte n'existe pas », prévient Camille Rey-Gorrez, directrice de l'association Mountain Riders, qui instruit la labellisation « flocon vert » de Valberg. « Comme toute industrie, les sports d'hiver ont un impact sur l'environnement. Notre rôle consiste à accompagner les stations à se projeter dans un avenir sans neige à moyen terme. Valberg fait partie des stations qui prennent le sujet au sérieux. »

Venus de Hyères (83) pour quelques jours en famille, Lionel et Céline avouent que la politique de développement durable n'est pas un critère au moment de choisir leur destination : « On vient surtout pour le ski. » Le couple est pourtant conscient des effets du changement climatique. « Sans doute qu'on ne pourra plus skier ici dans 10 ans », regrette Lionel avant d'ajouter, en pointant des logements touristiques en chantier : « Et eux, comment vont-ils s'en sortir ? »

Charles-Ange Ginesy estime qu'il faudra 20 ans pour inventer une nouvelle économie de la montagne, moins dépendante des sports d'hiver. Faire aimer la montagne sans le ski, voilà le vrai défi des stations « éco-responsables ».

Plus d'infos :
www.valberg.com
www.anmsm.fr
www.flocon-vert.org
mountain-riders.org


La Région Paca donne 50 millions pour les canons à neige

Si les canons à neige poussent dans les stations de ski des Alpes du Sud, c'est qu'ils sont largement subventionnés par les collectivités territoriales. En 2016, la Région Paca a voté un plan à 50 millions d'euros destiné à soutenir l'économie de la montagne baptisé « Smart Mountain ». « 90 % des demandes de subventions qui sont remontées suite à l'appel à projets concernaient l'enneigement artificiel », explique Chantal Eymeoud (LR), l'élue chargée de piloter le dossier. « Il y a un vrai besoin. Les stations de notre région perdent en chiffre d'affaires, alors que celles des Alpes du Nord progressent. »

L'écologie serait-elle sacrifiée sur l'autel de la rentabilité économique ? « Il faut préserver un équilibre entre économie, emploi et environnement », a déclaré le président de la Région Renaud Muselier lors de ses vœux à la presse. Un équilibre particulier puisque sur les 16 millions d'argent public déjà dépensés, seuls 700 000 euros ont été attribués à des projets de tourisme vert.


3 questions à Vincent Neirinck de Mountain Wilderness

« On a créé une montagne qui ressemble à la ville »

L'association, fondée en 1989 en Italie par des alpinistes, promeut le respect de la nature dans les activités de montagne. Son activisme a permis d'inscrire l'obligation pour les stations de ski de démonter les équipements obsolètes (remontées mécaniques...) dans la loi montagne II.
 

Quelles sont les conséquences du ski sur l'environnement ?

Pour que le ski de piste soit possible, même avec de mauvaises conditions d'enneigement, il ne faut pas un caillou qui dépasse. Cela demande de lourdes opérations de terrassement. Et on utilise des explosifs pour creuser les réservoirs d'eau nécessaires au fonctionnement des canons à neige. Finalement, on ratiboise la montagne pour en faire un espace qui ressemble à la ville.

Qu'en est-il des ressources en eau ?

Le stockage pour les canons modifie profondément la circulation et le cycle de l'eau. Les ruisseaux ne sont plus alimentés de la même façon, ce qui affecte les milieux naturels. Une partie de l'eau stockée s'évapore. Combinée à la diminution des précipitations, le risque de sécheresse augmente. C'est absurde. On sait fabriquer de la neige mais s'il fait 5 °C, de toute façon, elle fond ! Les canons ne sauveront pas le ski.

Quelles solutions pour des vacances aux sports d'hiver vraiment durables ?

Plutôt que de dépenser des millions dans des canons à neige, les stations devraient embaucher des personnes pour accompagner les touristes à découvrir la montagne. À Noël 2016, il n'y avait pas suffisamment de neige pour le ski de piste. Est-ce que les touristes s'en sont plus mal portés ? Il y a d'autres sports à découvrir, les raquettes, le ski de randonnée, le VTT et des paysages magnifiques. Plutôt que de vendre coûte que coûte du ski standardisé, les stations devraient mettre en avant leurs territoires, qui ont une identité propre, un imaginaire.


Dans « l'usine à neige de Valberg », les pompes prélèvent de l'eau dans les retenues collinaires pour alimenter les canons. © M. Quioc

Plus d'infos :
www.mountainwilderness.fr


INTERVIEW

Philippe Bourdeau : « Dans le tourisme de montagne, le problème environnemental majeur reste celui du transport »

Professeur à l’Institut de géographie alpine de l’Université Grenoble-Alpes, Philippe Bourdeau est également membre des conseils scientifiques du Parc national des Écrins et du Parc naturel régional du Vercors.

Propos recueillis par Virginie Guéné


© G. Lansard

On parle beaucoup de l’impact environnemental des stations en hiver. Mais quel est-il en été ?

En toute saison, les stations génèrent les mêmes problèmes que ceux liés à une urbanisation massive : l'artificialisation des sols et la destruction de zones humides en premier lieu. L'été est la saison des chantiers. Grues et engins de chantier sont très présents. La dépendance à la voiture est aussi un sujet majeur dans le tourisme de montagne, été comme hiver. Même si l'été les flux touristiques sont plus diffus qu’en hiver, ils génèrent des émissions de gaz à effet de serre et de particules fines, du bruit, des accidents et des encombrements liés au transport carboné. Enfin, outre ceux des remontées mécaniques, il existe des impacts environnementaux particuliers liés à l'activité touristique estivale. Dans la pratique de la randonnée, du vélo tout-terrain, du parapente, de l'escalade, il peut y avoir des atteintes à la biodiversité, une dégradation du sol ou un dérangement de la faune, plus par inconscience que par incivilité.

Les infrastructures sont quand même moins importantes l'été ?

Oui les infrastructures sont beaucoup plus légères l'été. Mais quand on aménage des parcours acrobatiques en forêt, des via ferrata, des pistes de descente de VTT, des centres thermo-ludiques, les précautions prises ne suppriment pas tout impact. On dégrade des espaces naturels, on déterre des arbres, on coupe des branches, on pioche dans l'humus, on met à nu des racines. On dégrade donc les sols et on favorise l'érosion. En fait, au sein des stations ,l'exploitation touristique estivale n'est pas très différente de celle de l'hiver. Même s'il s'agit d'infrastructures plus légères, le problème est qu'elles se multiplient. Même si les constructions entreprises sont de haute qualité environnementale, qu'une étude d'impact a été effectuée ou que des arbres ont été replantés, le cumul de toute cette artificialisation a un impact qu'on ne maîtrise pas vraiment.

Finalement, l’impact des stations est-il plus important en été qu'en hiver ?

Je ne pense pas. Ce qui est certain, c'est que dans la vision paysagère qui prédomine, la neige est un peu un cache-misère. L'hiver, on ne voit pas les pentes défoncées, ni les espaces publics négligés. Alors que l'été, tout est révélé.

 

 

 

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