[ URGENCE CLIMATIQUE ] : LE VRAI SCANDALE DU FRET

Publié le sam 23/11/2019 - 10:06

 Par Magali Chouvion

Si les plans de relance du fret ferroviaire se suivent au gré des gouvernements, le transport des marchandises par train décline inexorablement depuis près de trente ans au profit du transport par camions. Un paradoxe national dans un contexte d’urgence climatique où la France affirme vouloir prendre des engagements.

Le transport de marchandises par train en France ne cesse de baisser depuis les années 1990 au profit de la route, en complète opposition aux engagements climatiques du pays. Les plans de relance se multiplient, à l'instar de l'ouverture à la concurrence en 2006 ou du Pacte ferroviaire de 2018, pour « sauver le fret ». Ultime tentative : la filialisation de Fret SNCF en janvier 2020. De quoi remettre le train sur les rails ?

Un train de fret émet dix fois moins de CO2 par kilomètre que le nombre de poids lourds nécessaires pour transporter la même quantité de marchandises ! Autant dire qu'avec l'urgence climatique, « le fret ferroviaire représente un levier essentiel pour le dynamisme économique de notre pays. Pour une mobilité propre, un seul train de fret représente 50 camions en moins sur les routes. », argue le gouvernement, alors que l'Etat est propriétaire à 100% du groupe SNCF.

Pourtant, force est de constater que le fret est en constant déclin en France. De 30% des marchandises transportées par train en 1984, on est passé à 9% en 2018. Et le nombre de gares de marchandises en France s'est effondré sur la même période...

Des tentatives avortées

De nombreux plans de relance ont bien été instaurés par les différents gouvernements pour sauver ce transport historique et écologique. Dernier en date : le Pacte ferroviaire de l'été 2018 avec le projet de filiation de Fret SNCF en janvier 2020 (lire notre encadré). Mais rien ne semble enrayer le phénomène. Car au-delà de la situation spécifique de Fret SNCF, l’activité reste fragile. Très exposées à la conjoncture économique, souffrant d’une très forte concurrence routière, sur un marché relativement étroit, toutes les entreprises de fret ferroviaires connaissent des difficultés économiques.

« Le fret ferroviaire a subi depuis plus de vingt ans une baisse constante d’activité, la chute s’accélérant avec la crise de 2008. À l’inverse de l’Allemagne, de la Suisse, de l’Autriche, ou du Royaume-Uni, la part du fret ferroviaire dans le transport de marchandises a baissé en France, de 18% en 2003 à moins de 10% aujourd'hui. », détaillait Jean-Cyril Spinetta dans son rapport pour le gouvernement sur l'avenir du fret ferroviaire en février 2018.

En réalité, la chute du fret a commencé à la fin des années 1980, avec la désindustrialisation de l'économie française, alors que la part du transport de marchandises par rail atteignait encore 21%. Malgré des résultats négatifs, « en 2000, un objectif gouvernemental parlait de doubler le fret avec des moyens pour y parvenir : des locomotives ont été commandées, ainsi que des wagons pour autoroutes ferroviaires. On avait une volonté et des moyens », raconte Alexandre Boyer, secrétaire fédéral CGT du secteur Paris Sud-Est. Mais en 2003, tout bascule : « un changement de politique fort s'est fait sentir, avec le premier Plan fret », poursuit-il. « L'activité était abandonnée au profit du seul transport de voyageurs ». Le fameux tout TGV !

Un service à améliorer

« Les clients du fret regardent d'abord les coûts du transport ! », explique de son côté Philippe Moritz, du service communication de la SNCF, pour expliquer la forte baisse de contrats. À l'en croire, il est même logique que les clients déportent leur choix sur la route, « plus rapide, fiable et flexible » que le rail.

Car inutile de le nier : « les sillons (capacité à faire circuler un train d’un point à un autre au cours d’une période donnée, ndlr) français sont les plus mauvais en Europe pour la qualité et le coût. », regrette l'Association française du rail. Coût qui se répercute sur les tarifs pratiqués auprès des clients, qui, de facto, se tournent inéluctablement vers la route. Le réseau ferroviaire qui relie les ports à l’arrière-pays est aussi globalement en mauvais état, la vitesse depuis le point de départ jusqu’à la destination finale étant dans certains cas très faible (par exemple, 6 km/h entre le grand port du Havre et Paris, selon une étude du Parlement européen). La raison est historique, tance l'Afra : « le réseau ferroviaire est sous entretenu depuis des décennies ». Depuis son abandon politique...

Responsabilité partagée

Car comment expliquer autrement le manque d'entretien des lignes ? « Fret SNCF perd de l'argent depuis des années, il est très compliqué d'investir dans ce contexte », tente de relativiser Philippe Moritz, à la SNCF. Avant qu'il ne précise : « mais le groupe, sous l'impulsion de l’État, a surtout préféré investir dans le réseau de lignes à grande vitesse pendant des années, au détriment de l'existant ». Depuis les années 2003, « au lieu de chercher à transporter plus de marchandises, la SNCF a cherché à fermer des gares, à réduire les moyens, au lieu d'investir », relate encore Alexandre Boyer de la CGT. « Et puis la concurrence est arrivée et les filiales de droit privé ont capté les trafics les plus rentables. »

Outre le manque d'investissements sur le réseau, la chute du fret s'explique aussi par une mauvaise gestion. À l'instar des camions sur une autoroute, les trains de marchandises doivent payer au gestionnaire de l’infrastructure (SNCF Réseau en France), un péage, c'est-à-dire un droit de circuler sur un « sillon ». Si elle reste lourde à supporter pour le client, cette redevance d'accès est assez basse en France (8eme place européenne) et l'Etat compense en subventionnant SNCF Réseau pour pallier ce tarif préférentiel.

Néanmoins, pas assez pour faire rentrer le gestionnaire dans ses frais. Aussi, l’Etat a conclu avec SNCF Réseau un contrat pluriannuel 2017-2026. Celui-ci prévoit une hausse progressive des péages allant jusqu'à 9, voire 10% par an. Ces tarifs « asphyxient les opérateurs », analyse la ministre des transports Elisabeth Borne.

Le vrai coût du transport

« Nous avons des coûts de réseau très importants ; on ne peut pas demander au fret ferroviaire d'être aussi rentable que la route », concède Alexandre Boyer de la CGT. Néanmoins, « il faudrait jouer à armes égales avec les camions et payer le vrai prix du transport ! ». Car là est sans doute le vrai scandale. Si le fret bénéficie d'une subvention sur les péages, elle est mineure comparée aux aides publiques apportées au transport routier. Effectivement, « les calculs, menés par le  ministère  des  transports,  semblent  suggérer  que  ni  le  transport  routier  de marchandises, ni le fret ferroviaire, ne couvrent leurs coûts. Dans le cas du fret ferroviaire, il s’agit  essentiellement  de  coûts  marginaux  d’infrastructure  non  couverts ;  dans  le  cas  du transport  routier  de  marchandises,  les  coûts  marginaux  d’infrastructure  sont  largement couverts. Mais  les  coûts  sociaux restent  très  importants  dans  l’activité,  en  termes  de  congestion,  de pollution, d’insécurité, etc. », rapporte Jean-Louis Spinetta. Résultat, la compétitivité est biaisée : nos collectivités (et donc nos impôts !) payent pour faire circuler des camions sur les routes !

Un renouveau du Fret ?

Comment, dans cette schizophrénie, espérer un avenir pour le fret ? « En changeant notre offre, en misant sur le  transport « combiné » (17% du transport de marchandises par rail aujourd'hui). Ce dernier apporte plus de souplesse, se veut optimiste Philippe Moritz. Et le branchement au réseau ferré serait moins cher pour le client ». Certes, en pouvant passer facilement les marchandises, conditionnées en conteneurs, des camions aux trains, et inversement, on gagnerait de la flexibilité en combinant les modes de transport. D'autant que le Pacte ferroviaire prévoit un maintien des aides pour le combiné.

Certes, la ministre des transports prévoit aussi « une remise à plat des péages ferroviaires, d'investir 10M€ par an pendant 10 ans dans le réseau, une part de cet investissement devant aller dans la rénovation des principales voies de fret et dans le maintien en état des lignes du fret et l'amélioration du service rendu ».

Mais ces annonces sont-elles compatibles avec la suppression de postes annoncée (lire notre encadré) ? Avec le choix de peu taxer les émissions de CO2 dans les transports ? Avec le découpage de l'entreprise et donc la fin de la mutualisation des moyens de production ? C'est « l'esprit même » de la SNCF qui disparaît. Car au-delà des marchandises, les hommes seront-ils toujours là pour faire rouler les trains du futur?

 

Plus d’infos : https://www.ecologique-solidaire.gouv.fr/nouveau-pacte-ferroviaire-0

http://www.assorail.fr/

https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/2017-09/20170914-refere-S2017-1999-transport-marchandises-SNCF_0.pdf

https://www.cheminotcgt.fr/dossiers/transport-de-marchandises/redynamiser-le-fret-ferroviaire/

 

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