[THEMA] Quelle gestion de l’eau pour un système agricole résilient ?

Publié le mer 01/02/2023 - 11:00

Par Anna Sardin

Alors que l’eau douce disponible se fait de plus en plus rare et que les conflits provoqués par son accaparement se multiplient, le monde agricole français reste accroché au robinet. Il doit sortir de sa dépendance. Mais comment faire différemment ?

+ 14 % en dix ans : c’est la hausse de la surface agricole irriguée en France entre 2010 et 2020 (1). En cause, le dérèglement climatique qui met champs et pâturages à l’épreuve de la sécheresse et de la hausse de la température moyenne. Le modèle agricole français compte de plus en plus sur les ressources hydriques du territoire, fragiles et incertaines. Un cercle vicieux puisque l’eau douce disponible se raréfie : le volume annuel disponible a baissé de 14% entre 1990 et 2018, selon les données publiées par le ministère de la Transition écologique en juin 2022 (2).

Pour une gestion résiliente de l’eau

Pour préserver les ressources en eau et donc notre alimentation, les leviers sont nombreux. En premier lieu, redonner au sol son rôle naturel d’éponge en réduisant au maximum le labour et le nombre de passage des tracteurs lourds. « Un sol agricole en bonne santé va mieux retenir et filtrer l’eau vers les nappes souterraines, indique Alexis Guilpart, animateur du réseau Eau et milieux aquatiques de France Nature Environnement (FNE), ce qui évite aussi l’effet lessivage lors d’intenses précipitations. » D’autres bonnes pratiques existent comme la restauration des infrastructures bocagères ou encore la plantation de haies, voire d’arbres et d’arbustes qui, s’ils consomment de l’eau, évitent l’érosion des sols et l’assèchement de surface.

Deuxième levier : s’adapter, par exemple en choisissant les variétés en prévision des sécheresses à venir et du climat modifié. De nouvelles études scientifiques prévoient un réchauffement climatique qui pourrait être jusqu’à 50% plus intense au cours du siècle que ce que prévoyaient les précédents modèles (3). « Pour adapter nos types de cultures et nos modes d’irrigation, nous pouvons prendre exemple sur les pratiques des pays semi-arides et arides, propose Damien Serre, directeur scientifique de Mayane, le centre de recherche créé par l’hydrologue Emma Haziza. Il est essentiel de mieux prendre en compte l’évolution de la typologie des sols, réfléchir à planter d’autres variétés, irriguer de manière optimale et sûrement redéfinir des priorités dans les usages de l’eau ».

Le monde agricole à la traîne ?

Ces changements de pratiques ne sauraient se faire sans un bouleversement du cadre général : les experts rappellent qu’il ne faut pas compter uniquement sur les choix individuels des agriculteurs, mais que c’est à l’ensemble des filières et du modèle agricole de se transformer. Aujourd’hui, les deux tiers des céréales produites en grandes cultures sont à destination des animaux. Il faudrait « désintensifier » les élevages, permettre au bétail de se nourrir d’herbe plutôt que de productions cultivées, ce qui remodèlerait par la même les paysages agricoles. Cette transfiguration pourrait surtout permettre de baisser significativement la pression d’irrigation : il faut presque dix fois plus d’eau pour produire un kilogramme de bœuf qu’un kilogramme de céréales (4).

Mais les filières agricoles peinent encore à appréhender le problème autrement qu’en développant leur accès à l’eau par des forages surdimensionnés par rapport aux besoins actuels. Le développement des constructions de stockage, les « réserves de substitution » ou « méga-bassines », fait également l’objet de fortes oppositions, comme l’ont montré de récentes mobilisations dans les Deux-Sèvres contre un projet promettant de « stocker » l’équivalent de 260 piscines olympiques. « Il est compliqué pour les filières et les territoires d’aller vers des trajectoires d’adaptation si cela n’est pas fait collectivement, appuie Alexis Guilpart. Le plan stratégique national (PSN), la déclinaison française de la politique agricole commune européenne, n’encourage ni les pratiques agroécologiques, ni un meilleur usage de l’eau ». Alors que les arrêtés de restrictions de l’usage de l’eau se sont multipliés cet été, les champs pourraient continuer de griller si la ressource en eau n’est pas mieux considérée.

Notes de bas de page :

(1) Données issues du dernier recensement agricole mené par les directions régionales de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt (DRAAF), compilées par le réseau France Nature Environnement.

(2) Évolutions de la ressource en eau renouvelable en France métropolitaine de 1990 à 2018 (https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/evolutions-de-la-ressource-en-eau-renouvelable-en-france-metropolitaine-de-1990-2018)

(3) ESD - An updated assessment of past and future warming over France based on a regional observational constraint (copernicus.org)

(4) En moyenne, 15 415 litres d’eau sont nécessaires pour produire un kilo de viande de bœuf, principalement pour nourrir l’animal, alors que les céréales ne nécessitent que 1644 litres d’eau pour un kilo (variable selon les variétés).

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