[THEMA] Agriculture : ne faisons pas que du blé !

Publié le ven 10/02/2023 - 11:00

par Quentin Zinzius

Massivement industrialisée, la production agricole française a conduit à sa propre vulnérabilité : destruction des sols, effondrement de la biodiversité, dépendance aux intrants pétrochimiques… Des faiblesses qui se ressentent jusque dans nos assiettes. Alors, pour assurer notre sécurité alimentaire, nous devons changer de modèle : place à l’agroécologie !

Sécheresses, inondations, orages violents, tempêtes de grêle, pénuries de pétrole... Depuis plusieurs dizaines d’années déjà et de plus en plus régulièrement, le système agricole souffre d’importantes vulnérabilités. Entre 1981 et aujourd’hui, les rendements des principales cultures (maïs, blé, soja) ont chuté de plus de 10% en France, selon la FNSEA elle-même. Les pertes pourraient même dépasser les 20% à l’échelle de l’Europe en cas de franchissement des deux degrés de réchauffement climatique global, selon une étude(1) de l’Académie américaine des sciences (Pnas). Pourtant, ce système industriel n’est pas le seul à pouvoir nourrir le monde – et la population française. « En utilisant l’ensemble des techniques qui relèvent de l’agroécologie, nous pouvons nourrir correctement et durablement l’humanité toute entière », promet Marc Dufumier, agronome et professeur à AgroParisTech. Basées sur des données scientifiques, ces techniques permettent, selon lui, « une meilleure résilience de la production, de restaurer les écosystèmes et de produire une alimentation de qualité ». Elles fonctionnent, pour la plupart, selon un même principe : « remplacer les actions humaines par des processus existants dans les écosystèmes », complète le maraîcher Félix Lallemand.

Des ressources accessibles

Car si les machines ont permis « un gain de production de facteur 50 à 100 par rapport au travail manuel », poursuit le co-fondateur des Greniers d’abondance, elles l’ont fait au dépend de ressources limitées et des écosystèmes. « L’agro-industrie a détruit les processus qui permettent aux plantes de faire un usage intensif de ce qui est renouvelable, gratuit et accessible : les rayons du soleil, le gaz carbonique de l’air, l’azote de l’air, les minéraux du sol », regrette Marc Dufumier. Car ce sont bien de ces ressources, naturellement présentes et abondantes – et ne nécessitant aucun transport ! – dont les plantes dépendent pour leur croissance. C’est alors qu’intervient l’agroécologie. « En augmentant la couverture végétale, on optimise l’usage des rayons solaires et des surfaces au sol », préconise le spécialiste. L’association des cultures, en alternant ou associant légumineuses et cultures maraîchères, permettent aussi de maintenir une fertilisation suffisante du sol, « les légumineuses assimilant l’azote de l’air dans le sol et les vers de terre, collemboles et autre invertébrés assurant le travail du sol et la régénération de l’humus ». Quant aux arbres, en plus de servir d’abri climatique, leurs racines sont capables d’aller puiser en profondeur l’eau et les derniers éléments minéraux nécessaires aux plantes, redistribuer par l’intermédiaire des champignons ou par décomposition des feuilles au sol. « Alors évidemment, reconstituer un écosystème comme le sol prend plus de temps qu’il n’en a fallu pour le détruire, admet l’agronome, mais nous savons aujourd’hui que c’est tout à fait faisable en un temps limité, à condition d’y laisser la biodiversité s’exprimer. »

Des agro-écosystèmes diversifiés

Car pour que ces agro-écosystèmes soient fonctionnels, productifs et surtout résilients, il faut y cultiver la diversité. « Aujourd’hui, les variétés choisies par l’agriculture mondiale sont très limitées en nombre, reprend Félix Lallemand. Cette uniformisation des cultures les rend vulnérables aux perturbations nombreuses et imprévisibles ». Ainsi, en diversifiant les productions et les variétés au sein d’une même production ou d’un pays, « nous maximisons les chances de survie d’une partie de la production. » Nicolas Verzotti, maraîcher dans le Vaucluse, se coordonne ainsi avec ces collègues pour établir des productions différentes, en rotation sur les parcelles mais aussi entre les exploitations. « Cela nous permet de profiter de nos expériences mutuelles pour adapter nos techniques et cultures aux conditions locales, tout en limitant la concurrence entre producteurs », justifie-t-il. Mais la diversification, ce n’est pas seulement multiplier les productions. « C’est aussi les associer entre elles pour créer une résistance collective », complète Félix Lallemand. Par exemple en favorisant les interactions entre êtres vivants sur les cultures, « nous pouvons limiter l’impact des ravageurs naturellement plutôt que de les éradiquer mécaniquement », témoigne Nicolas Verzotti. « En somme, diversifier les productions c’est reconstruire des infrastructures écologiques capables de résister à un plus large spectre de perturbations », résume Marc Dufumier.

« A quel prix nous rendriez-vous service ? »

Mais ces techniques sont autant de nouvelles tâches s’ajoutant à celles de l’agriculteur, qu’il va donc falloir apprendre, mettre en pratique et… rémunérer. « Nous ne pouvons pas laisser le coût de cette charge de travail supplémentaire aux consommateurs, notamment les plus modestes, reprend l’agronome. En emprisonnant le carbone de l’air dans le sol, en limitant le recours aux énergies fossiles, les agriculteurs participent à la lutte contre le changement climatique ». En rémunérant ces services environnementaux, l’État pourrait non seulement valoriser l’agriculture et les pratiques agroécologiques, mais permettrait également de contrebalancer le surcoût de production de ces techniques. « Nous devons demander aux agriculteurs : à quel prix êtes-vous prêts à nous rendre ce service ? », insiste l’agronome. Or ce n’est pas ce qui se passe. « Le Ministère [de l’agriculture] et la Politique agricole commune (PAC) préfèrent récompenser les immenses monocultures, le développement technologique, la robotique et la génétique pour sauver nos productions », peste le co-fondateur des Greniers d’Abondance. « La véritable difficulté est politique, reconnaît Marc Dufumier, et tant que nous ne donnerons pas les moyens à nos agriculteurs de transformer leurs pratiques, la résilience de notre système ne sera pas assurée ».

Note de bas de page :

(1) « Temperature increase reduces global yields of major crops in four independent estimates », Chuang Zhao et al., 2017. https://www.pnas.org/doi/10.1073/pnas.1701762114

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