[REPORTAGE] Lutte biologique : les insectes alliés des agriculteurs

Publié le lun 01/04/2019 - 16:02

La chercheuse Emma Jeavons dans un champs de La Gacilly (Morbihan).

Par Nicolas Troadec

Peu à peu, les pesticides de synthèse, dangereux pour l’homme et l’environnement, sont interdits par le législateur. Dans le laboratoire Ecobio de l’Université Rennes 1, des chercheurs travaillent à des alternatives naturelles. L’idée n’est plus de dompter la nature, mais de trouver la bonne formule pour s’en faire un allié précieux, afin de lutter contre les ravageurs de culture.

Dans un champ cultivé en bio à La Gacilly, dans le Morbihan, une lutte sans merci se joue entre les insectes. Des parasitoïdes2 (certaines guêpes, abeilles et fourmis) viennent pondre leurs œufs dans le corps des pucerons, alors transformés en cocons. Ce sont ces petites billes que la doctorante en écologie Emma Jeavons traque, le nez dans ce champ mélangeant de la féverole, du pois et du triticale, un hybride entre le seigle et le blé. Le décompte terminé, elle tire une première conclusion : « Les pucerons sont arrivés plus tardivement dans le champ qui mélange les cultures, par rapport à celui cultivé uniquement avec des céréales. » Les insectes, véritables ravageurs de cultures vecteurs de maladies, ont pour habitude de se fixer sur les céréales. Or, lorsque celles-ci sont associées à une autre plante, en l’occurrence ici des légumineuses comme la féverole et le pois, « ils mettent plus de temps à détecter le champ et à s’y installer ». Pour autant, les observations d’Ecobio n’ont pas encore permis de démontrer qu’il y a moins de parasitisme dans les champs mixtes que dans les monocultures. « Si on regarde de façon globale sur l’ensemble de la saison, il n’y a pas de différence », précise la doctorante, qui va retenter l’expérience cette année pour valider les résultats.

Le but de ces recherches n’est pas seulement d’observer comment les pucerons prolifèrent selon le champ. Le laboratoire va bien plus loin : il s’agit de comprendre comment favoriser la prolifération des auxiliaires de culture, qui parasitent ces pucerons. C’est la définition même de la lutte biologique par conservation, l’un des domaines de recherche du laboratoire Ecobio de l’université Rennes 1, dans lequel travaille Emma Jeavons. Ce mode de protection des plantes consiste à favoriser l’habitat et les ressources des auxiliaires naturels de cultures, pour que ceux-ci aident l’agriculteur dans sa lutte contre les ravageurs. Une manière efficace et naturelle de remplacer les insecticides.

Chute des budgets de recherche

Lorsqu’elle n’est pas en train de compter les pucerons, la chercheuse travaille au campus Beaulieu de l’université de Rennes 1. Son laboratoire, l’unité mixte de recherche Ecobio, fait partie du CNRS et consacre une part importante de son budget à la recherche d’alternatives aux pesticides.

Le 1er septembre dernier, les néonicotinoïdes, puissant insecticide accusé de décimer les populations d’abeilles, ont été interdits en France. Le 1er janvier dernier, un an après l’interdiction faite aux collectivités, c’était l’usage des pesticides de synthèse pour les particuliers qui passait à la trappe. Quant au glyphosate, la molécule de l’herbicide Roundup, elle pourrait être interdite en France d’ici trois ans, même si cette perspective semble s’éloigner à court terme1.

Pour les chercheurs français et Ecobio, une course contre la montre est lancée. D’autant que l’interdiction des néonicotinoïdes a généré de nombreux appels d’offres. Pour autant, le financement ne suit pas : « Il y a plus d’appels à projets qu’avant, mais les sommes par projet diminuent, précise Joan van Baaren, directrice de l’unité Ecobio. En 2010, nous avions 1,2 million d’euros répartis entre plusieurs équipes, ce qui était appréciable. Maintenant, nous devons diviser 200 000 € entre trois ou quatre équipes. »

Pour financer ses recherches, Emma Jeavons a obtenu une bourse Cifre (conventions industrielles de formation par la recherche). La moitié du temps, elle travaille dans des parcelles exploitées par la marque de cosmétiques Yves Rocher, comme c’est le cas dans l’exploitation de La Gacilly. Et au fil des années, le réseau d’Ecobio s’est étoffé d’agriculteurs avec lesquels le laboratoire travaille.

Pollinisateurs et parasitoïdes

Lors de ses observations, Emma Jeavons a aussi constaté que le champ en mélange était visité par de nombreux pollinisateurs, comme les abeilles domestiques et les bourdons. « Ils fleurissent quand le colza a terminé sa floraison », précise Cécile Le Lann, directrice de thèse d’Emma Jeavons.

La doctorante va donc chercher à vérifier si la présence d’abeilles domestiques peut diminuer celle des parasitoïdes, les deux espèces se nourrissant de nectar. Car ce n’est pas anodin, comme l’explique Cécile Le Lann : « Quand les abeilles sont là, les parasitoïdes sont moins présents, ce qui a une conséquence sur le parasitisme des pucerons. » Les abeilles se comporteraient un peu comme des éléphants dans un couloir : elles empêchent tout le monde de passer ! Il faut certes les favoriser car elles pollinisent, mais il convient également de favoriser la lutte biologique. L’affaire est sensible.

Le biocontrôle à ses balbutiements

Pour ses prochains travaux, Emma Jeavons, va essayer une autre technique, à l’aide de petites parcelles fleuries disposées en bande le long des champs ou réparties dans les cultures. Ces différentes configurations devraient influencer les comportements des pollinisateurs et des auxiliaires de culture.

« Mon hypothèse, c’est qu’au lieu de mettre des mélanges, il faudrait des parterres d’une seule fleur répartie en tâches, dans le but d’attirer les abeilles sur certaines parties et les parasitoïdes sur d’autres », explique Joan van Baaren. Avec ces travaux, il s’agit de trouver le juste équilibre pour favoriser à la fois la pollinisation et les ennemis naturels des ravageurs de cultures. Pour la directrice d’Ecobio, il faut une approche « chirurgicale » de la protection des plantes : « Plus on avance dans les réflexions, plus on se rend compte qu’il n’y aura pas de solution unique, mais des techniques différentes selon la région ou l’espèce à protéger. »

La recherche n’en est qu’à ses balbutiements, en matière de biocontrôle. Des usages empiriques existent déjà chez les agriculteurs : les haies en bord de champs sont de véritables nids à insectes, du fait de la diversification des plantes. Certains faits sont connus : les plantes adventices, systématiquement arrachées, peuvent fleurir et permettre un apport de ressources aux insectes. En outre, une étude publiée l’été dernier dans Nature Sustainability, a démontré que l’agriculture bio offre « une régulation naturelle plus importante » des bioagresseurs que l’agriculture conventionnelle. « Il faut voir ce qui se faisait avant l’intensification agricole, rappelle Emma Jeavons. La diversification végétale, dans les cultures ou en bord de champs, favorise une diversité d’insectes. »

Dans un monde sans pesticides, la protection des cultures va devoir faire face à des difficultés. « Il y a énormément de facteurs à prendre en compte, observe Emma Jeavons, car on essaie de recréer un équilibre qui n’existe plus. » La taille des cultures sera aussi un enjeu crucial : « Si des cultures s’étendent sur des centaines d’hectares, c’est impossible de contrôler des ravageurs ou des maladies, car il manque des ressources nécessaires pour favoriser la diversité et l’abondance des insectes bénéfiques. » Peut-être sera-t-il alors nécessaire de se réorienter vers des exploitations à taille humaine...


Plus d'infos :

ecobio.univ-rennes1.fr

1 Lors d’une session du « Grand débat » à Bourg-de-Péage, dans la Drôme, le 24 janvier, Emmanuel Macron, a affirmé que l’interdiction du glyphosate en trois ans « tuerait l’agriculture » : « On n’y arrivera, je pense, pas », a-t-il déclaré.

2 Un parasitoïde est un organisme qui se développe sur ou à l’intérieur d’un autre organisme dit « hôte », mais qui tue inévitablement ce dernier

Garantissez l'indépendance rédactionnelle et financière de Sans transition !