PARTAGEONS LES SEMENCES PAYSANNES !

Publié le jeu 11/01/2018 - 10:25

Qu’ils soient agriculteurs, jardiniers amateurs, citoyens militants ou scientifiques, ils ont comme point commun de participer à la préservation de la biodiversité. D’année en année, il plantent et sélectionnent des semences paysannes, des variétés anciennes, dites « de population ». Un savoir-faire millénaire passé au second plan par des décennies d’agriculture intensive. Mais toujours primordial. 

Par Éric Besatti

 


Dominique Viau, depuis son jardin d’Hyères, participe au programme scientifique du Groupement de recherche en agriculture biologique (GRAB) nommé Edulis pour « Ensemble Diversifions et Utilisons Librement les Semences ». Elle conserve aussi des variétés de blé avec l’association semencière Kokopelli. © Éric Besatti

Dominique se balade dans son jardin à l’organisation d’apparence anarchique. Elle s’arrête, éclate une fleur séchée de Nigelle de Damas pour en extraire les graines. Et aussitôt les lance à la volée dans un mouvement presque désinvolte. Puis, elle marque une pause et précise : « Je sais exactement où je les ai lancées ! » Par ce re-semage naturel, l’année prochaine, elle verra ses graines donner des fleurs à partir de la génération qui a réussi à pousser cette année. « Je sélectionne en arrosant très peu », explique-t-elle. De cette manière, d’une année sur l’autre, les graines sont de plus en plus adaptées au terroir et au climat provençal. La sélection naturelle, tout simplement. C’est exactement l’inverse de la sélection en laboratoire, qui grâce à des croisements de variétés, donne des semences hybrides F1, dont les plants de la première génération seront très productifs. Mais qu’il faut racheter d’une année sur l’autre auprès des semenciers pour en conserver les propriétés...

UNE DÉMARCHE SCIENTIFIQUE

Dans son « Jardin d’Hyères aujourd’hui pour demain », Dominique Viau, la dynamique petite soixantaine, pratique la sélection participative de semences paysannes et la conservation des variétés anciennes, avec le programme scientifique Edulis pour « Ensemble Diversifions et Utilisons Librement les Semences ». Cette initiative, portée par le Groupement de recherche en agriculture biologique (GRAB) depuis 2011, a pour ambition de mettre en réseau les agriculteurs professionnels et les jardiniers amateurs, pour favoriser l’autonomie des premiers dans leur approvisionnement en semences et soutenir les seconds dans leur effort de conservation du patrimoine. L’initiative répond au besoin « d’une mise en réseau à l’échelle de la région. L’objectif : travailler ensemble pour trouver les variétés adaptées à ce climat particulier, à la sécheresse », explique Chloé Gaspari, la coordinatrice du programme. C’est elle qui fait le lien entre la trentaine de participants au programme et l’Institut national de la recherche agronomique (Inra), qui conserve dans ses frigos des précieuses collections de semences. À Avignon, il y a « 1600 variétés différentes, surtout des tomates, des piments, des aubergines, des laitues et des melons », déballe Anne- Marie Sage-Palloix, ingénieure à l’Inra. La sélection des variétés remises en circulation s’est faite entre les scientifiques et les agriculteurs, en fonction des envies de chacun et de l’intérêt agronomique. Ces dernières années, le réseau s’est concentré sur « les melons et les légumes ratatouille : poivrons, aubergines, tomates », décrit Chloé Gaspari.

Dans son jardin, pour le programme, Dominique s’occupe, entre autres, de conserver le poivron sucette d’Hyères, un petit poivron doux abandonné par l’agriculture intensive, mais aux propriétés gustatives uniques. Et aujourd’hui elle préserve les précieuses semences pour les partager avec le réseau. Tous les ans, les participants se rejoignent pour des sélections participatives. « Sur 10 ou 15 variétés d’aubergine sorties des frigos de l’Inra ou échangées avec des jardiniers amateurs, on va privilégier celles qui nous intéressent. Nous regardons les critères de taille, le nombre de fruits par plan, leur forme... » Le tout est ensuite consigné dans de précieux inventaires et permet la mise à disposition par des échanges entre les participants.

ARTISAN SEMENCIER, UN MÉTIER MILITANT


Sous la serre du Potager d’un Curieux à Saignon (84), Jean- Luc Danneyrolles fait pousser des variétés anciennes dont certaines ne sont pas inscrites au catalogue officiel donc dont les semences sont interdites à la vente en grande quantité. © Éric Besatti

Jean-Luc Danneyrolles souhaite « aller vers l’utopie de la graine comme bien commun ». Mais il sait que tout travail mérite salaire. Et le sien, c’est artisan semencier ou « grainier », comme il aime se faire appeler. Depuis son « Jardin d’un curieux » à Saignon, dans le Luberon, il multiplie les graines et les revend. Sous sa serre, l’avenir de la tomate caramel, du poivron petit vert marseillais, de l’aubergine oeuf vert… Des variétés inscrites ou non au catalogue officiel et donc théoriquement interdites à la vente. Il fait partie du Réseau Semences paysannes qui se bat pour une évolution de la réglementation (lire l’encadré suivant). À terme, Jean-Luc souhaite voir se matérialiser l’idée des « Maisons de semences : des lieux où sont stockés les graines apportées par les gens. Pour ensuite les distribuer soit généreusement, soit les échanger ou les vendre. » Une idée partagée depuis des années par les militants et dans les faits, déjà une réalité à amplifier.

UN MARCHÉ GRANDISSANT À FOURNIR

À une autre échelle, au pied de la Sainte-Victoire, près d’Aix-en-Provence, Cyriaque Crosnier-Mangeat multiplie les semences depuis sa ferme du Petit Sambuc. Il est le président d’Agrosemens, une entreprise qui propose des graines de 900 variétés bio différentes, dont 200 anciennes, inscrites au catalogue. « L’idée est de construire un modèle d’entreprise qui va dans le sens d’une société durable, pour que le bio devienne la norme et remplace l’agriculture chimique. » Il fait face à une demande en croissance permanente des jardiniers amateurs et des producteurs bio qui se tournent vers les variétés oubliées. Pour avoir un catalogue aussi large et le stock nécessaire, il travaille en réseau avec une quarantaine de fermes reproductrices. La semence paysanne n’a pas fini de faire des petits.

+ D’INFOS
grab.fr
www.lepotagerduncurieux.org
www.agrosemens.com


UNE NOUVELLE RÉGLEMENTATION pour sortir les semences paysannes de la clandestinité

À l’heure actuelle, la loi française interdit la vente de graines issues de variétés non-inscrites au catalogue officiel. Les tests de validation pour entrer dans ce catalogue sont coûteux et inadaptés aux semences paysannes. Certaines variétés anciennes peuvent être inscrites sur des listes annexes mais peuvent être vendues seulement par petits conditionnements. Cette aberration législative enferme la circulation des graines et restreint donc la biodiversité cultivée.

Par Éric Besatti


© E. Besatti

Bientôt un mauvais souvenir ? Le 20 novembre dernier, le Parlement européen a adopté un compromis définitif concernant le nouveau règlement européen sur la production biologique. Une partie concerne la commercialisation des semences. Il introduit notamment une nouvelle catégorie de « variétés » de semences disponibles pour l’agriculture biologique : le « matériel biologique hétérogène », qui correspond essentiellement aux milliers de variétés traditionnelles actuellement interdites à la vente par l’effet du « catalogue officiel ».

Cette nouvelle catégorie sort du champ de la législation actuelle sur le commerce des semences. Fini le passage par la case catalogue officiel. Les semences pourront être mises sur le marché après une simple déclaration préalable fournissant une description sommaire des caractéristiques agronomiques et phénotypiques de la variété. L’administration compétente du pays aura trois mois pour formuler des observations. Passé ce délai, le dossier sera de facto accepté et les graines pourront être mises sur le marché.

« Ce nouveau règlement devra encore faire l’objet d’un vote final en séance plénière au Parlement, au mois d’avril, et d’un vote également définitif par les ministres de l’Agriculture des États membres réunis formellement au Conseil. Ces dernières procédures ne sont plus que des formalités », analyse Blanche Magarinos-Rey, avocate spécialisée dans le droit environnemental. Et ajoute : « Ces décisions sont très positives. »

+ D’INFOS
www.semencespaysannes.org


INTERVIEW

JONATHAN ATTIAS ET ALEXANDRE LUMBROSO : « Cultiver librement les semences ! »

Propos recueillis par FS

Jonathan Attias et Alexandre Lumbroso ont réalisé le film Des Clics de Conscience, sorti en salle le 4 octobre dernier. Ce documentaire raconte un parcours du combattant : celui de transformer en loi leur pétition en ligne ayant recueilli quelque 80 000 voix, et qui demande le droit, pour les maraîchers, de multiplier et d’échanger librement leurs semences.


© Comunidée Production

Avant le film Des Clics de Conscience, vous avez réalisé la série « Jardiniers, levez- vous ». Qu’est-ce que cela vous a appris sur les semences paysannes ?

Les semences paysannes s’adaptent à leur terroir et aux conditions climatiques. Elles représentent un véritable patrimoine culturel ! Grâce à ces semences, les paysans étaient autonomes et pouvaient eux-mêmes multiplier leurs graines pour la saison suivante. Mais, dans les années 60, la loi a changé et a obligé les agriculteurs à acheter des variétés de semences inscrites dans un catalogue officiel. Les critères pour inscrire une semence dans celui-ci sont impossibles à obtenir pour une variété traditionnelle, ce qui les exclues du commerce. De fait, on demande à la nature de produire des robots en série !

Après cette série, vous avez lancé une pétition demandant le libre échange des semences. Comment avez-vous réussi à la transformer en loi ?

On a réalisé qu’on ne sait jamais ce que deviennent les pétitions que l’on signe ! Alors nous nous sommes demandés comment faire pour que notre pétition devienne une loi. Le sénateur morbihannais Joël Labbé nous a proposé d’inscrire nos revendications dans la loi sur la biodiversité sous forme de deux amendements : le premier demandant que les agriculteurs puissent échanger librement leurs semences et le second appelant à l’interdiction des semences hybrides. Nous avons ensuite dû prendre part à cette machine institutionnelle, participer à une forme de lobbying citoyen, pour tenter d’écrire et de faire voter cette loi.

Seul le premier amendement a été voté favorablement, que change-t-il pour les agriculteurs ?

C’est une petite victoire, car nous ne changeons pas le commerce des semences. Mais désormais quand la répression des fraudes vient voir un maraîcher et lui demande de justifier où il a acheté ses semences, il peut dire que c’est un collègue qui les lui a données ! Pour la première fois depuis plus de 50 ans, un agriculteur peut cultiver librement toutes les variétés traditionnelles hors catalogue !

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