La Bretagne face aux OGM

Publié le mar 26/09/2017 - 10:51

La culture d’OGM est interdite dans l’Hexagone, mais pas leur importation. Plus de 4 millions de tonnes de soja OGM venant d’Amérique du Sud transitent chaque année par les ports français pour nourrir les bêtes des élevages intensifs. Dont la moitié en Bretagne. Pollution de la terre et de l’eau, menaces sur la santé, les risques liés aux semences génétiquement modifiées sont reconnus. Ici et là-bas, la résistance est active.

Par Justine Carnec


 

DES PORTS BRETONS NOURRIS AUX OGM

La Bretagne est-elle dépendante au soja génétiquement modifié ? Moins coûteuse que son homologue tracée sans OGM, plus efficace nutritionnellement que le blé, le maïs ou le colza, cette céréale cultivée au Brésil et en Argentine est tout indiquée pour l’agriculture productiviste bretonne, qui en importe chaque année des milliers de tonnes. Au point d’en devenir accro ?

En France, les OGM sont interdits à la consommation humaine. Pourtant, les animaux que nous mangeons s'en nourrissent régulièrement... Et pour cause : chaque année, quatre millions de tonnes de soja sont importées en France, dont la moitié en Bretagne. 90 % de ces céréales sont génétiquement modifiées ou « contaminées par les OGM » (ayant été en contact avec des plantes OGM), complète René Louail, ancien conseiller régional EELV, spécialiste des questions agricoles. Transitant par les ports de Brest (29), Lorient (56) et Montoir-de-Bretagne (44), les importations bretonnes de soja OGM nourrissent les élevages de porcs et de volailles du Grand-Ouest, producteur de 56 % du porc et de 43 % du lait français, selon la Direction régionale de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt.

Si la consommation humaine de plantes OGM est interdite dans l’Hexagone, celle de produits d’origine animale nourris aux OGM ne l’est pas. Et son étiquetage n’est pas obligatoire. Pour cette raison, lorsqu’un produit n’est pas labellisé bio, il est possible qu’il contienne des OGM. « Il n’existe pas vraiment d’idéologie pro ou anti-OGM chez les coopératives bretonnes, c’est un positionnement de marché : le soja OGM est moins cher donc il est favorisé », explique Julian Pondaven, directeur du Réseau Cohérence basé à Lorient, qui fédère une centaine d'associations en région. En effet, il est plus coûteux pour le producteur de nourrir ses bêtes aux céréales tracées non-OGM. Car cette traçabilité a un coût : « de l’ordre de 100 € par tonne », précise Yves de la Fouchardière, directeur des Fermiers de Loué. Positionnée sur le sans-OGM dès 1997 − « nous étions les premiers », rappelle-t-il −, cette coopérative de mille éleveurs a toutefois dû attendre 2008 avant de pouvoir le communiquer. « L’étiquetage "sans OGM" n’était pas autorisé car les OGM n’étaient pas interdits. C’était dramatique, on dépensait un argent fou sans même avoir le droit de le faire savoir », raconte le directeur.

Pour René Louail, ces importations de céréales génétiquement modifiées cachent une autre problématique, moins connue : celle de la dépendance. « L’industrialisation de l’agriculture nous pousse à importer du soja cultivé à l’autre bout du monde », déplore l’ancien porte-parole de la confédération paysanne. En effet, parce qu’il est gorgé de protéines et permet une croissance rapide du bétail, le soja est la céréale favorite de l’agriculture productiviste. « Un poulet standard a besoin d’une alimentation très protéinée, contenant 25 à 30 % de soja », confirme Yves de la Fouchardière. Pour sa part, René Louail juge ce mode de production très fragile car dépendant des aides publiques. Et conclut : « Si ce système était performant, il n’aurait pas besoin de tant de subventions !»

Toutefois, il ne désespère pas : la Politique Agricole Commune (PAC), qui détermine pour des périodes de six ans le développement agricole européen, devrait être réorientée après 2021. Les discussions à ce sujet ont lieu actuellement et René Louail espère bien que les tenants de l’agriculture paysanne et durable parviendront à faire entendre leur voix. Pour tenter de sevrer les exploitations françaises des céréales OGM ?

 


OGM : une lutte mondiale

Chaque année, 600 000 tonnes de soja OGM (organisme génétiquement modifié) transitent par le port de Lorient. Et c’est là qu’à l’occasion des Rencontres Internationales de Résistance aux OGM (RIR-OGM 2017), des opposants sont venus des cinq continents avec un objectif commun : faire converger leurs luttes et partager leurs solutions.

C’est devant le port de Lorient, un des principaux port d'importation d’OGM en France, que Marie Nicolas, Yvon Le Guen et Claude Bonnin posent devant une inscription à demi-effacée : « OGM = DANGER ». Ces mots résument bien le combat de ces trois faucheurs bretons, réunis à Lorient au printemps dernier, à l’occasion des Rencontres Internationales de Résistance aux OGM. Claude appartient au collectif des faucheurs volontaires depuis 2003. Fin 2012, il a participé à la destruction d’un stock de soja OGM dans le port de Lorient, et sa dernière action a eu lieu en novembre 2016, près de Dijon. Avec une soixantaine d’autres militants, il a fauché des parcelles de colza rendu tolérant aux herbicides. Cette variété fait partie des « nouveaux OGM » (voir l’encadré), dont la présence s'intensifie ces dernières années.

Pour ce faucheur résidant à Auray, l’origine du combat remonte assez loin. « J’ai toujours vécu à la campagne. Mon grand-père était paysan. Petit, j’avais beaucoup de plaisir à aller au champ avec lui. » Selon Claude, l’objectif des entreprises qui commercialisent les OGM est « d’avoir une maîtrise sur les semences dans le monde ». S’inscrivant dans la désobéissance civile, Claude et les faucheurs d’OGM luttent contre l’utilisation et la commercialisation des semences transgéniques.

Vers la convergence des luttes ?

La deuxième édition des Rencontres Internationales de Résistance aux OGM s’inscrit dans ce combat. Les représentants de pas moins de 28 pays étaient présents à cette occasion. « La souveraineté des peuples réside dans la souveraineté alimentaire, affirme Ali Tapsoba, coordinateur des Rencontres 2016. Car nul n’a le droit de privatiser le vivant. »

Dans l'esprit du « Tribunal Monsanto » organisé à la Haye à l’automne 2016, les RIR-OGM sont l’occasion de rencontrer des acteurs d’autres pays du monde, directement confrontés aux conséquences de cette privatisation : accaparement des terres et de l’eau, pollution, maladies…

Durant la journée, les témoignages se succèdent. Blandine Sankara, co-fondatrice du Collectif Citoyen pour l’Agro-Écologie au Burkina-Faso explique que son pays est envahi par le coton BT commercialisé par Monsanto. Ce qui a rendu les agriculteurs dépendants des grandes firmes.

Sofia Gatica, Argentine lauréate du prix Goldman pour l’environnement et militante anti-OGM, raconte quant à elle que le quartier où elle vit, dans la ville de Córdoba, est entouré de plantations de soja Monsanto, régulièrement arrosées de Roundup. Dans cette zone, explique-t-elle, le glyphosate – l’herbicide contenu dans le Roundup – est présent dans le sang de 80 % de la population, le tiers de celle-ci est atteinte de cancer et les enfants naissent avec des malformations. « Les OGM tuent, et nous, nous pouvons le prouver », affirme Sofia, dont la fille est décédée d’une malformation rénale. En 2012, avec d’autres militants, elle s’est lancée dans un combat qui a duré 4 ans contre l’implantation de Monsanto dans la ville de Malvinas Argentina, dans la province de Córdoba. In fine, la multinationale a renoncé à s’y installer.

Rolando Lemus, du Réseau National pour la Défense de la Souveraineté Alimentaire au Guatemala (REDSAG), confirme ses propos : « les monocultures utilisent une grande quantité de pesticides qui contaminent l’eau : ils sont responsables de l’écocide du fleuve La Pasión, au nord du Guatemala. Vingt-trois espèces de poisson sont mortes ».

Alternatives aux OGM : quelles solutions ?

Les Rencontres 2017 ont abouti à la constitution d’un Front international des Résistances contre les OGM et les pesticides. Son credo : « résister et lutter dans la convergence contre l’écocide », et s’opposer « aux firmes dont l’objectif est le contrôle de l’alimentation mondiale ». Les rédacteurs de la déclaration finale des RIR-OGM évoquent également de nombreuses alternatives aux OGM et à l’agriculture intensive. Certaines sont déjà mises en place en France, notamment en Bretagne.

« Nous savons que nous n’avons pas besoin des OGM. On peut faire autrement », affirme Julian Pondaven, directeur du Réseau Cohérence. Cette association, qui rassemble une centaine d’adhérents du Grand-Ouest (syndicats, agriculteurs, entreprises, associations, etc.), se mobilise pour un développement durable et solidaire. Étiquetage des produits contenant des OGM, promotion des filières sans OGM auprès des opérateurs bretons, remplacement du soja OGM importé pour nourrir le bétail par des protéines végétales produites localement… Ils promeuvent par exemple l’élevage de porcs sur litière à la place de l'élevage hors-sol avec utilisation d’OGM et d’antibiotiques et défendent des revenus viables pour les éleveurs. Les alternatives aux transgéniques proposées par le Réseau Cohérence sont nombreuses. Mais, pour Julian Pondaven, « le non-OGM, c’est seulement la première marche ». Ensuite, « il faut aller plus loin ; vers l’agro-écologie, en faveur d'une alimentation saine moins carnée ».


Nouveaux OGM : quels dangers ?

À la différence des OGM transgéniques, les « nouveaux OGM » sont issus de techniques de biotechnologies telles que la métagenèse dirigée, la cisgenèse, etc. Ces nouveaux procédés permettent de modifier le génome des plantes de manière plus ciblée et moins détectable. Ce qui pourrait rendre difficile, voire impossible, leur différenciation avec les plantes « traditionnelles ». Les États-Unis et le Canada ont par exemple autorisé en 2015 la commercialisation par l’entreprise Okanagan de la pomme cisgénique « Arctic », modifiée pour ne pas brunir une fois épluchée. En Europe, la Commission européenne est encore en réflexion concernant la reconnaissance définitive du statut d’OGM des plantes issues de ces nouvelles techniques. C’est de cet avis que dépendront leur commercialisation, leur évaluation et leur étiquetage. En attendant, la réglementation appliquée est la même que celle des OGM.

Plus d'infos : infogm.orgogm.gouv.frreseau-coherence.org

 

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