Éolien occitan : pourquoi tant de blocages ?

Publié le dim 17/12/2017 - 17:36

À Bouriège, dans l’Aude, dans le massif de l’Escandorgue (Hérault) ou encore à Servières en Lozère. En Occitanie, plusieurs projets de parcs éoliens ou d’agrandissement de parcs existants sont contestés par des riverains et des associations. Les raisons invoquées sont diverses : « défiguration » des paysages, pression sur la biodiversité, risques pour la santé ou manque de concertation… Enquête houleuse.

Par François Delotte

« Nous avons déjà 24 éoliennes sur la colline à côté et ils essaient d’en construire six supplémentaires ici ! », s’indigne Mireille Maunier, opposante au projet de parc éolien de Bouriège-Tourreilles. Depuis 2005, ces deux communes de l’Aude voient se cristalliser une opposition féroce à l’installation d’un parc éolien par la société Valéco. Les camions qui apportent les éléments nécessaires au montage des machines sont bloqués depuis l’été dernier par des riverains ou opposants qui se relaient en permanence pour leur barrer la route. « On est sinistrés ! On a tellement d’éoliennes qu’on ne sait plus quoi en faire. Ils détruisent le paysage », justifie Mireille Maunier.

Le cas n’est pas isolé. À Servières, en Lozère, un projet d’agrandissement du parc éolien fait débat. Des parcs déjà en fonctionnement comme celui du massif de l’Escandorgue et d’Aumelas (34) sont accusés par des naturalistes d’être dangereux pour les rapaces et autres chauves-souris. L’important parc éolien du Sambrès, sur la commune de Roquefère (11), et ses 26 machines, ont finalement été inaugurés à l’été 2016 après huit ans de procédure…

Trop plein ?

Peu étonnant dans la quatrième région française pour le nombre de parcs en activités (100 en 2017) et la troisième en terme de puissance (1241 MG), selon l’association France Énergie Éolienne. Les installations se concentrent surtout dans les secteurs venteux situés entre les rivages de la Méditerranée et le sud du Massif central. « Une trentaine de parcs sont installés dans l’Aude, 25 dans l’Aveyron, autant dans l’Hérault, une vingtaine dans le Tarn et six en Lozère », énumère Sébastien Duchêne, fondateur de l’entreprise de pièces détachées pour éoliennes, Mywindparts (Gigean, 34). L’ingénieur avance : « Une des raisons de l’agacement d’une partie de la population peut venir de la densité des projets. Elle peut estimer que c’est positif d’avoir deux ou trois parcs. Mais le fait d’être entouré d’éoliennes peut susciter des rejets ». Une impression de trop plein à mettre en balance avec un sentiment d’inégalité territoriale : « Les gens des villes sont loin. Ils disent qu’il faut faire la transition énergétique. Mais comment il vont manger quand il n’y aura plus de terres agricoles ? », lance ainsi Mireille Maunier.

Des riverains qui peuvent s’associer opportunément avec des naturalistes. En août dernier, un aigle royal muni d’un GPS a été retrouvé mort dans le massif de l’Escandorgue. « C’est la première fois que la collision mortelle entre un aigle royal et une éolienne est avérée. Mais cet événement ne nous surprend pas », commente Simon Popy, président de FNE LR. « Il existe 50 machines et 38 sont sont à venir dans le domaine vital des aigles royaux de l’Escandorgue. Il faut prendre en compte l’impact cumulé des projets », poursuit-il. FNE LR a porté plainte pour « destruction d’espèce protégée » contre EDF Énergies Nouvelles (EDF EN) qui exploite ce parc éolien. « Il n’y a pas eu de dépôt de demande de dérogation par EDF EN pour la destruction d’espèces protégées auprès des services de l’État, ce qui est la démarche à suivre en cas d’enjeux environnementaux importants », précise Simon Popy. Cette procédure doit normalement s’accompagner de mesures de préservation de l’espèce (relâcher des animaux capturés, renforcement des populations…) ou de compensations. Sur le causse d’Aumelas, à l’ouest de Montpellier, FN LR reproche à EDF EN et à sa trentaine d’éoliennes d’être impliquées dans la mort de 28 faucons crécerellette. (Nous avons contacté la direction régionale d’EDF EN mais celle-ci n’a pas souhaité répondre à nos questions, ndlr). « Nous sommes convaincus qu’il faut développer l’énergie éolienne pour la réussite de la transition énergétique. Mais nous demandons que soient considérées des zones sensibles », défend Simon Popy qui prône un plus grand dialogue en amont des projets.

Davantage de concertation

Un aspect qui préoccupe Mellyne Massebiau, directrice associée de la société Terre et Lac Conseil, spécialiste des ENR, et déléguée régionale de France Énergie Éolienne, association des professionnels de l’éolien. « Je travaille dans l’éolien depuis 15 ans. Et je constate qu’en Occitanie il y a effectivement des défauts de concertation. Certaines sociétés sont peu transparentes, notamment sur des projets hors-sol pouvant dépasser les vingt machines », confie-t-elle.

Effectuer des études d’impact est obligatoire avant la réalisation de tout projet. « Une commission d’enquête est alors mise en place. Mais son avis a peu de valeur. Les services de l’État sont souvent plus sensibles à l’analyse technique faite en amont », indique Mellyne Massebiau. Les choses pourraient cependant rapidement changer avec la publication d’une ordonnance, approuvée par le Sénat en octobre dernier, pour la création d’une Commission Nationale du Débat Public visant à mieux intégrer la participation des citoyens et à faciliter leur accès aux informations.

Mais d’autres parient sur le développement de l’éolien local par le local. C’est le cas du réseau ECLR (Énergie citoyenne et renouvelable en Occitanie). Cette structure co-financée par le fournisseur d’énergie renouvelable Enercoop et l’Ademe (Agence de la maîtrise de l’énergie et de l’environnement) fédère 41 projets portés par des citoyens et collectivités. Pour l'heure, un seul parc éolien « citoyen » est sorti de terre : celui de la Luzette, au confins du Lot et du Cantal (voir article p. 21). « La plupart des projets font l’objet d'au moins un recours. Mais la promesse des parcs citoyens est qu’ils soient maîtrisés et financés localement », précise Alenka Doulain, animatrice d’ECLR. Les particuliers sont en effet détenteurs de parts sociales des sociétés qui portent les initiatives. Ces dernières « sont mieux acceptées. Parce que des réunions publiques ont lieu en amont pour attirer les souscripteurs. La concertation est plus importante que pour les projets conventionnels. Les riverains savent à qui s’adresser », précise-t-elle. Bien plus qu’une plateforme de crowdfunding, l’idée est de prendre part au projet de A à Z. Et de le faire évoluer ensemble, au gré du vent.

Plus d'infos : ec-lr.orgwww.enr.fr 


INITIATIVES

Parc de la Luzette : l’éolien citoyen et territorial

Aux confins du Lot et du Cantal, le parc éolien de Luzette est un exemple réussi de coopération entre développeur et territoire.

Les éoliennes du parc citoyen de la Luzette, entre Lot et Cantal. © SAS Ségala ENR

Les éoliennes de la Luzette tournent depuis l’été dernier. Une énergie verte produite grâce aux efforts de la coopérative agricole Les Fermes de Figeac. Cette dernière réunit plus de 600 adhérents, essentiellement des éleveurs. Après avoir mis en place un système d’approvisionnement des exploitations en intrants et créé des magasins agricoles en libre-service, la structure s’est attaquée aux énergies renouvelables. En 2009, la société Valorem souhaite créer un parc éolien sur le territoire. « Nous les avons rencontrés et nous avons proposé un partenariat. Ils ont accepté car pour eux cela permettait de faire accepter le parc localement », indique Laurent Causse, salarié des Fermes de Figeac.

Un pacte est conclu entre Valorem et une SAS locale (Ségala ENR), créée pour l’opération. Les communes de Sousceyrac (Lot) et Saint-Saury (15) sont mises dans la boucle.

Un seul recours

Le parc de 7 éoliennes (de 2 MGW chacune) est porté à 40 % par le territoire. Soit 2,4 millions d’euros récoltés en trois mois. Dont la majorité (1,8 millions) est détenue par 180 particuliers. Le reste étant réparti entre 105 agriculteurs (500 000 euros) et la coopérative (100 000 euros).

« Il n’y a pas eu de fortes tensions. Il n’y a pas eu de cristallisation de l’opposition car nous avions une volonté affirmée d’agir par la coopération. Et les élus de faire un projet bien perçu par la population », explique Laurent Causse. Notons aussi que la première habitations est à 650 mètres du parc. Ce qui réduit le risque de crispations.

Un seul recours est déposé par la Ligue de Protection des Oiseaux du Lot, en 2012. « Il y a des chauve-souris et de la migration d’oiseaux observée sur le site », témoigne Marc Esslinger, directeur de la LPO du Lot. « Mais le recours a été abandonné. » Laurent Causse assure qu’il est « convenu de faire des contrôles réguliers de la population d’oiseaux ». La LPO espère qu’un suivi des impacts potentiels sera effectué.

Plus d’infos : www.sicaseli.fr


INTERVIEW

Pierre-Yves Guihéneuf : « Dialoguer pour prendre la meilleure décision publique »

Propos recueillis par FD

Pierre-Yves Guihéneuf est consultant pour DialTer, société coopérative montpelliéraine qui organise des actions de concertation sur des projets d’aménagement locaux. Dont ceux de parcs éoliens.

Pourquoi assistons-nous aujourd’hui à une méfiance vis-à-vis de plusieurs projets éoliens ?

Cette méfiance n’est pas propre à l’éolien. Elle est générale aux projets d’aménagement. L’opposition à ces projets va croissant depuis des années. Ce que l’on appelle la « conflictualité environnementale » augmente : à Sivens, à Notre-Dame-des-Landes, à Bure... Elle est due à de multiples raisons. Notamment à un attachement des populations, de plus en plus important, au cadre de vie, à la qualité des paysages et à l’environnement. Une crise de confiance se manifeste aussi envers les élus, les experts et les entreprises. Cela est parfois dû à de mauvaises expériences de concertation : on organise une réunion publique, on dit qu’on a entendu les personnes. Mais rien ne change. C’est fréquent.

Quelles sont les principales plaintes des opposants ?

Les oppositions vont de la préservation de l’intégrité des paysages à la peur de voir les prix de l’immobilier chuter. En passant par les perturbations de la réception des télévisions et des impacts possibles des infrasons sur la santé – ce qui n’est pas avéré selon un récent rapport de l’Anses1. Mais il faut regarder cela de plus près car les connaissances scientifiques ne permettent pas d’être formel.

Des oppositions sont de nature plus générale. Elles renvoient au modèle énergétique de la France (expression de pro-nucléaires) ou à la défense des oiseaux et de la biodiversité. Certains considèrent que ce sont les ruraux qui subissent les nuisances des installations destinées aux urbains. Lorsque des éoliennes s’ajoutent à une déchetterie ou à une ligne à haute-tension, un sentiment d’injustice territoriale peut s’exprimer. Il faut l’entendre. D’autres expliquent que ces projets d’aménagement viennent de l’extérieur et non pas de la commune ou de intercommunalité pour répondre aux besoins du territoire. Cela peut créer des oppositions et des fractures dans les sociétés locales.

Comment faire, selon vous, pour désamorcer les blocages ?

Il faut promouvoir une véritable concertation, où chacun s’écoute. Où on prend le temps d’examiner les arguments des uns et des autres. On essaie ensuite d’avancer en distinguant les points d’accord et de désaccord. La concertation vise à prendre la meilleure décision publique. Dans certains cas, on, peut arriver à un compromis. Mais, parfois, la meilleure décision est d’abandonner le projet.

Plus d’infos : www.dialter.fr

1Exposition aux basses fréquences et infrasons des parcs éoliens : renforcer l’information des riverains et la surveillance de l’exposition aux bruits - Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail - 2017

 

 

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