À l'occasion de la venu de Jean Jouzel au salon des maires, le 21 Novembre prochain, Sans transition ! vous propose à la relecture, un entretien avec le climatologue.
Propos recueillis par Quentin Zinzius
Jean Jouzel est un paléoclimatologue français, et membre du GIEC. Il est reconnu à l’international comme l’un des plus grands spécialiste du climat. Du haut de ses 74 ans, il redouble d’énergie pour faire entrer les pays dans une dynamique de réduction des émissions et de restauration de la biodiversité, éléments indispensables à notre résilience.
Cette année, le rapport du GIEC, le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat, a annoncé clairement et pour la première fois, une « catastrophe » à venir en raison du dérèglement climatique. Pourtant, d’aucuns observent que les inondations, les incendies... ont toujours existé...
Cette crise climatique que nous traversons n’a aucun équivalent historique. Bien sûr, en prenant des faits isolés, comme les inondations en Allemagne, les feux au Canada, ou même la crise de la Covid-19, certains peuvent se dire : « il y a déjà eu pire », « ce n’est pas si dramatique ». Mais ces évènements ne sont pas isolés, ni dus au hasard. Leur fréquence, leur brutalité, sont directement liées au changement climatique, lui même induit par les activités humaines. Ce qui veut dire que les évènements que nous jugeons actuellement « extraordinaires » vont se poursuivre, de manière de plus en plus répétée.
Comment la nature réagit-elle à ces menaces climatique et humaine ?
À ce sujet, les différentes projections du GIEC sont unanimes : avec le réchauffement climatique, de nombreuses zones à travers le monde vont devenir hostiles, non seulement pour l’Homme, mais aussi pour de nombreuses espèces. Aujourd’hui, la biodiversité connaît sa 6ème extinction de masse, à un rythme affolant : une espèce animale disparaît toutes les 20 minutes dans le monde ; ce qui est cent fois supérieur à la normale ! Le changement climatique va rendre encore plus palpable cette extinction, car même en le limitant à seulement +2°C, ce sont des centaines, des milliers d’autres espèces qui vont s’éteindre. Ce qui fragilise d’autant plus les écosystèmes, qui dépendent de la biodiversité, et qui sont déjà menacés par les activités humaines, mais aussi par la fonte des glaces, les feux de forêts, ou l’asséchement des zones humides. Cette fragilisation globale de la nature ne sera pas sans conséquences pour l’Homme. La déforestation en a déjà fait la démonstration, puisqu’elle conduit à l’apparition de zoonoses(1) [maladies d’origine animale]. C’est une forme de réponse naturelle à l’emprise anthropique : plus nous détruisons, plus la nature nous menace en retour.
La nature a pourtant un rôle important à jouer dans ce combat pour le climat...
La nature est très importante dans l’équilibre de la planète. Les océans, les zones humides mais aussi les forêts jouent un rôle primordial dans la captation du CO2. Ce sont tous des « puits de carbone » ; c'est-à-dire que ces écosystèmes emprisonnent naturellement les gaz à effet de serre contenus dans l’air. De plus, ces écosystèmes entretiennent un lien profond avec la biodiversité qu’ils abritent, car elle participe à son bon fonctionnement, à sa pérennité. Et à chaque fois que l’Homme détruit un de ces écosystèmes, il perd un allié de taille contre le changement climatique. C’est une réalité qui commence à être prise en compte, même si le réchauffement global est inéluctable aujourd’hui, et d’ici à 2050 nous ne pourrons pas l’empêcher. Ce qui veut dire que nous continuerons inévitablement à perdre des alliés dans ce combat pour le climat. Mais tout n’est pas perdu pour autant, nous pouvons encore le stabiliser, protéger les écosystèmes et reconstruire la biodiversité.
Quelles sont les actions concrètes à mettre en place pour y parvenir ?
Aujourd’hui parmi les solutions envisagées, il y a surtout la compensation carbone, avec des actions de reforestation, mais elle n’est pas une réponse à long terme. Elle n’a de sens que si les émissions diminuent, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Et il ne faut pas que l’utilisation de la nature pour lutter contre le réchauffement climatique se fasse au détriment de la biodiversité : créer des forêts artificielles, avec une ou deux essences d’arbres, ça ne rime à rien. Pour que ces forêts soient efficaces, il faut recréer des écosystèmes complets, pas seulement planter des arbres. Et cela prend du temps, beaucoup de temps. Faire renaître la biodiversité, ça ne se fait pas en quelques jours, c’est un processus long et coûteux, et plus nous attendons, plus nous perdons du temps !
L’augmentation de la protection des écosystèmes via les « aires protégées » est en revanche un bon exemple, et elle est nécessaire pour atteindre la neutralité carbone. Mais il ne faut pas négliger tous les autres aspects : on peut protéger les milieux naturels autant que possible, si le climat continue de se réchauffer, la biodiversité continuera de s’effondrer.
Pourquoi n’y-a-t-il pas plus de réactions à l’échelle internationale autour de ces enjeux ?
Le problème, c’est que pour le moment, les gouvernements se contentent de réagir aux catastrophes, plutôt que de les prévenir à la source, en réduisant nos émissions de CO2. Il ne faut pas se précipiter, c’est une chose. Mais à un moment, il faut passer à l’action ! Il est très important de comprendre qu’il n’est pas possible de répondre au problème climatique de manière indépendante : le climat sans la biodiversité, la nature sans le social… ce n’est pas possible, c’est un tout. Il existe une véritable interconnexion entre tous les problèmes de notre siècle, et l’Homme en est l’épicentre. Les gens devraient comprendre que si rien n’est fait, la Terre va devenir invivable. L’année 2021 est censée être une année charnière en terme de réduction des gaz à effet de serre. Si nos dirigeants n’ouvrent pas les yeux aujourd’hui, ils ne les ouvriront jamais ! Pour que nous atteignons les objectifs que nous nous sommes fixés à l’échelle européenne, il faudrait réduire nos émissions de 7 % par an. C’est l’équivalent de la réduction constatée en 2020, en raison de la crise du Coronavirus. Alors imaginez que cela devienne la norme ! Cet objectif requiert un changement complet du mode de fonctionnement de notre société, avec un profond recentrement autour de la nature, mais pas dans 10 ou 15 ans, dès aujourd’hui !
Notes :
(1) https://www.cirad.fr/espace-presse/communiques-de-presse/2021/maladies-…