[ CLIMAT ] Urgence climatique : la fin des petits pas ?

Publié le mar 14/01/2020 - 00:06

Par Julien Dezécot

Et si, face à l’urgence climatique, les « petits pas » ne suffisaient plus ? Faut-il définitivement les enterrer, comme le préconisent certains, et notamment l’ONU, au profit d’actions bien plus ambitieuses, à l’échelle des états ? Ou faut-il, comme le défendent d’autres, valoriser chaque petit pas, chaque petite pierre ainsi posée dans les rouages infernaux du réchauffement climatique, désormais inéluctable ? Deux visions s’affrontent chez les écologistes tels que Arthur Keller et Pierre Rabhi. Irréconciliables, vraiment ?

 

Alors que certains scandent la fin des petits pas, et réclament des chantiers plus ambitieux pour sauver la planète, d’autres continuent de croire en l’importance de l’action individuelle. Militants écologistes, universitaires, philosophes, adeptes de la thèse de l’effondrement, leurs visions se complètent et parfois s’opposent. Mais tous ont en commun la prise de conscience de l’urgence climatique. Des petits pas aux grandes enjambées, la course contre la montre est lancée.

« Face à l'urgence climatique, les petits pas sont un leurre ! »,scandent des militants d'ANV COP21 et Extinction Rébellion, venus nombreux une nouvelle fois participer à la dernière marche pour le climat, le 8 décembre à Rennes, Lyon, Avignon ou Toulouse, à la veille de la COP25 madrilène. Ce grand sommet climatique n'a pas accouché de réelles avancées supplémentaires du côté des pays les plus émetteurs de gaz à effet de serre. Toutefois, 80 pays ont tout de même promis de présenter de nouveaux objectifs plus ambitieux en 2020. Mais ils ne totalisent que... 10,5 % des émissions mondiales de CO2 ! Quand les pays du G20 représentent 78 % des émissions. Cherchez l'erreur…

« Les petits pas ne suffiront pas »

Pourtant, l'ONU a prévenu les gouvernements fin novembre dernier, en publiant un rapport cinglant. Pour espérer limiter le réchauffement climatique entre 1,5 et 2°C de hausse moyenne mondiale, le monde doit réduire ses émissions carbonées de 3 à 7,6 % par an, durant les 10 prochaines années.

« Aucun pays n’est pour l’heure pleinement engagé à les supprimer dans un délai précis », observe le rapport. Conclusion du Programme des Nations Unies : les « petits pas » ne suffiront pas à atteindre les objectifs de l’accord de Paris dans le temps imparti. Autrement dit, « des changements progressifs ne seront pas suffisants » et « des efforts sans précédents seront nécessaires pour transformer les sociétés, les économies, les infrastructures et les institutions de gouvernance », insistent les rapporteurs.

De facto, le monde est au pied du mur. À tel point que la Présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen vient d'annoncer, fin 2019, un « green new Deal », pour réussir à diviser par 4 les émissions de CO2 de l'Union à l'horizon 2030. Et tendre vers la neutralité carbone en 2050. « Ce projet identifie les bons chantiers à ouvrir, soulignent les ONG du réseau Action Climat, avec un ensemble d’initiatives prometteuses pour accélérer la transition écologique, comme la rénovation des logements ; la mise en place d’une stratégie industrielle ; ou encore la fin des exonérations fiscales pour le transport maritime et aérien. »

Dans ce contexte d'urgence climatique et de grands chantiers qui s'ouvrent, que valent finalement nos petits pas, traduits par des petits gestes - dont Pierre Rabhi initiateur du mouvement Colibri, a popularisé l'expression « faire sa part » ?

5 à 10 % d'empreinte en moins

Photo : Pixabay

Jean-Marie Jancovici, fondateur de l'entreprise Carbone 4, spécialiste des questions énergétiques et membre du Haut Conseil pour le Climat, a réalisé une étude de fond pour tenter de répondre à cette question cruciale : les petits éco-gestes servent-ils vraiment ?

Résultat de ce travail paru en juin dernier : « Pour un Français moyen, l’impact probable des changements de comportements individuels permettrait une baisse de 5 à 10 % de l’empreinte carbone. » Parmi les actions individuelles à plus fort impact, le passage d’un régime carné à un régime végétarien représente à lui seul une baisse d’environ 10% de l’empreinte carbone. Viennent ensuite les actions liées à la mobilité (covoiturage, suppression des trajets en avion, modes de transport doux), à la consommation de biens et services (achat de vêtements, d’électroménager et d’appareils high-tech d’occasion, zéro déchet) puis au logement (thermostat, éclairage LED). Et la baisse pourrait atteindre jusqu'à 20 % par personne, si ces efforts personnels sont combinés à des efforts d'investissements des ménages. Comme changer sa chaudière ou réaliser une rénovation thermique de sa maison, voire changer sa voiture pour un véhicule bas carbone. Conclusion de M. Jancovici : « Il est donc vain et même dangereusement contre-productif, de prétendre résoudre la question climatique en faisant reposer l'exclusivité de l’action sur les seuls individus. Le problème est systémique; la construction d’une solution viable et crédible ne peut faire l’économie d’une action collective forte, qui devra passer par la mise en mouvement de tous à la mesure des efforts déployables par chacun. » Et d'ajouter : « Les entreprises et l’État ont une responsabilité immense dans le nécessaire changement de paradigme à impulser.» Qui croit encore qu'il suffira désormais de faire sa part ?

Plus d’infos : www.jancovici.com

 https://www.colibris-lemouvement.org/
http://www.carbone4.com/

https://notreaffaireatous.org/
https://www.unenvironment.org/fr
www.globalcarbonatlas.org
www.citepa.org
 

 

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