[BIODIVERSITE] Insectes : faire le jour sur l’éclairage nocturne

Publié le sam 30/03/2019 - 15:20

Le lac de la Ramée, au cœur de la commune de Tournefeuille, est un réservoir de biodiversité. © Kold/Wikimédia Commons

Par Guillaume Bernard

La commune de Tournefeuille, en banlieue Toulousaine, a décidé en 2015 de couper son éclairage aux heures avancées de la nuit. Cette mesure, qui a pour but premier l’économie d’énergie, dispose d’un autre avantage : la protection des insectes, maillons essentiels de notre biodiversité.

« Désolé, ça fait des mois que je me bats pour avoir de vraies tasses... », s’excuse Isabelle Meiffren en nous tendant, presque honteuse, un café dans un verre en plastique. Adjointe au maire de Tournefeuille, déléguée au développement durable et à la transition écologique, l’élue regrette que certaines initiatives écologiques aillent trop lentement au sein de la municipalité.

Mais, si elle n’a pas encore gagné la bataille concernant les gobelets de sa mairie, cette encartée chez EELV (Europe Écologie Les Verts) peut en revanche s’enorgueillir d’avoir institué un projet écologique d’importance à Tournefeuille : l’arrêt de l’éclairage nocturne entre 1 h et 5 h 30 du matin. « En trois ans, la municipalité a réduit de 28 % sa consommation d’électricité et économisé environ 90 000 euros par an. On laisse le centre-ville allumé, mais on éteint de nombreux quartiers résidentiels dont Tournefeuille est essentiellement composée », commente l’adjointe.

Cette mesure a déjà séduit près de 13 000 communes en France et, si elle peine à s’imposer dans les grandes villes, certaines villes moyennes, telles Saumur ou Saint-Brieuc, en Bretagne, l’ont adoptée récemment. Tournefeuille, avec ses 27 000 habitants, fait partie de celles-ci. « On savait que l’impact écologique en termes d’économie d’énergie allait être important. Ce qu’on avait moins prévu, c’est l’influence positive de l’extinction sur la faune, notamment sur les insectes », explique l’élue.

En effet, avec 8000 points lumineux, l’éclairage tournefeuillais ne manquait pas de troubler la vie nocturne des insectes et notamment des papillons de nuit. Or, l’absence de soleil permet à 5000 espèces différentes de papillons de nuit de se développer, alors qu’ils ne sont que 500 en journée. La nuit est donc un véritable repaire pour ces invertébrés.

Pas d’insectes, pas de biodiversité

Dire que nos petites bêtes ont besoin d’être protégées relève presque de l’euphémisme. En 2017, des chercheurs allemands publient une étude basée sur des captures d’insectes réalisées depuis 1989. Les résultats sont édifiants : leur nombre total aurait diminué d’environ 80 %, en 27 ans. Destruction des milieux, pesticides… La cause identifiée de cette disparition de masse est bien souvent l’agriculture intensive, mais l’influence de l’éclairage nocturne sur la faune entomologique est loin d’être négligeable.

« Il n’y a qu’à voir les chouettes insectivores perchées au-dessus des lampadaires, qui n’ont plus qu’à se servir pour comprendre qu’il y a un problème. Les insectes sont également détournés de leur trajet et s’épuisent sous les lampadaires », témoigne Pierre Zagatti, entomologiste à l’Inra (Institut national de recherche en agroalimentaire). Ses observations sont confirmées par une étude franco-suisse publiée dans la revue Nature en août 2017. Elle dévoile que la fréquentation des plantes par les insectes pollinisateurs diminue de 62 % dans les zones éclairées.

La disparition des insectes ne concerne donc pas seulement quelques scientifiques passionnés : elle influence toute notre biodiversité. « On pense qu’il n’y a que l’abeille qui pollinise, ponctue Mathieu de Flores, entomologiste à l’Opie (Office pour les insectes et l’environnement). C’est oublier tout le travail que les papillons, entre autres, effectuent la nuit. » Ainsi, la même étude révèle que la production de fruits est réduite de 13 % en présence d’éclairages artificiels nocturnes.

La diminution de la pollinisation n’est pas le seul argument en faveur de l’arrêt de l’éclairage nocturne. Les insectes font aussi office de garde-manger pour la faune, en particulier pour les oiseaux, et de nettoyeurs de la nature. Autant d’arguments qui devraient pousser les municipalités à revoir leur usage de l’éclairage public.

(Se) Protéger la nuit ?

Pourtant, éteindre en ville la nuit n’est pas chose aisée, et lorsqu’Isabelle Meiffren, notre élue tournefeuillaise, évoque son action à Tournefeuille, elle parle d’une « décision courageuse ». « La nuit et l’obscurité qu’elle engendre peuvent inquiéter, précise l’adjointe, c’est pour cela que nous avons d’abord fait une phase de test d’un an. »

Pendant cette période, la municipalité a rassuré ses habitants : avec l’aide de la police municipale et de la gendarmerie, elle observe attentivement le nombre de cambriolages et l’heure de leur survenue. « Il s’est avéré qu’ils avaient surtout lieu entre 10 h et 16 h, précise l’élue. Aucun effet de l’arrêt de l’éclairage nocturne n’a été remarqué. Sur l’année, leur nombre est resté stable. » La période de test terminée, le dispositif est validé. « Les mécontents ont été très peu nombreux. Au contraire : des habitants sont venus me dire que l’obscurité retrouvée avait grandement amélioré leur sommeil », conclut Isabelle Meiffren.

Toutes ces précautions en disent long sur le souci qu’ont les municipalités de rassurer leurs concitoyens. Car, à ce jour, le lien entre insécurité et obscurité n’a jamais été démontré et aucun texte de loi n’oblige d’ailleurs un maire à éclairer sa commune. En cas d’accident dû à la pénombre, la responsabilité des élus ne peut être mise en cause que s’il y a dysfonctionnement de l’éclairage, et non pas si le choix a été fait d’éteindre à certaines heures. Reste que l’inquiétude provoquée par la nuit freine plus d’un élu, notamment en ville, et que le nombre de points lumineux en France ne cesse de croître, au détriment des insectes. En 2012 le pays comptait 11 millions de points lumineux, soit une augmentation de 89 % en 20 ans.

La guerre des étoiles

Une autre alternative à l’extinction lumineuse est cependant possible : remplacer le parc d’éclairage public actuel, dont les lumières trop fortes et trop énergivores, sont vieillissantes. Or si cette possibilité permet d’économiser de l’énergie, elle n’est pas acceptable concernant la protection des insectes. « Les nouvelles LEDS qui sont installées produisent de la lumière bleue, que l’on sait attractive pour les insectes et plus nocive que la lumière jaune des anciennes lumières », indique Dominique Carrière référent de l’Association nationale pour la protection du Ciel et de l’environnement nocturne (ANPCEN) en Occitanie. « La vraie solution, c’est d’éteindre », complète cet astronome amateur.

Or l’extinction généralisée n’est pas une solution acceptable pour l’Association française d’éclairage (AFE) qui préconise au contraire la rénovation du parc, et promeut un éclairage public « à la demande », équipé de capteurs, voire d’interrupteurs. « Deux logiques s’affrontent : celle de l’ANPCEN, environnementaliste et décroissante, et celle de l’AFE, techniciste et capitaliste », estime Samuel Challéat, chercheur en géographie à l’université Toulouse II et auteur d’une thèse sur la pollution lumineuse.

Dans cette bataille, Isabelle Meiffren et tous les élus de France ont un rôle considérable à jouer : ils sont les seuls habilités à trancher le débat en choisissant, ou non, de couper l’éclairage. « Ils ne le feront qu s’il y a une prise de conscience massive du problème de la part de leur administrés », conclut Dominique Carrière.


Plus d’infos :
https://www.anpcen.fr/
https://renoir.hypotheses.org/

 

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